La voix d’un traducteur

Ce soir à 20 heures, projection à la librairie du Globe, du film André Markowicz, la voix d’un traducteur. Tourné en 1999, le film a eu le prix du meilleur documentaire au Canada et se trouve présent dans toutes les universités (à peine arrivé à Montréal, André était reconnu dans la rue par des étudiants et des enseignants qui venaient lui parler). Mais il n’a jamais été diffusé en France : indifférence totale à la traduction.

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Platonov

Bizarrement, au moment même où se posent toutes sortes de questions sur le statut    de l’adaptateur et du traducteur en France, commence le travail sur l’adaptation (et, en l’occurrence, il s’agit d’une véritable adaptation, pensée par le metteur en scène) de Platonov.

Rodolphe Dana et Katja Hunsinger, qui animent le Collectif Les Possédés, étaient partis de notre traduction de l’intégrale de ce manuscrit de Tchekhov adolescent et ils avaient puisé en même temps à une traduction anglaise qui, en bien des occasions, offrait des solutions plus évidentes…

Au bout d’un heure de travail à partir de ces pistes de travail si évidentes, il apparaît que toutes occultent ce que Tchekhov a mis en place, ces menus indices qui mènent à d’autres et qui forment la trame de la pièce jusqu’à sa conclusion. Et Rodolphe, à une semaine du début des répétitions, décide de partir de la traduction que nous venons de revoir pour la publier chez Actes Sud en octobre. Extraordinaire expérience que cette remise du texte en jeu : le traducteur anglais avait normalisé le texte, donnant une impression d’évidence qui simplifiait et, tout à la fois, effaçait les non-dits, en sorte que la situation de jeu n’était plus la même… Travail à suivre.

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Les Molières rénovés

À mon retour, je trouve une invitation à voter pour des acteurs et des spectacles dans le cadre de la résurrection des Molières : ayant été moliérisée (quoique in absentia), j’ai un droit de vote. J’observe que la résurrection des Molières s’accompagne d’une disparition du Molière de la traduction… ou plutôt de la traduction déjà trahie sous le terme d’adaptation… Lorsque j’ai protesté que nous avions reçu le Molière du meilleur adaptateur pour  Platonov qui n’était pas du tout une adaptation mais une traduction, il m’a été répondu que, depuis longtemps, les traducteurs tenaient à être désignés comme adaptateurs… Incroyable ? Mais non : l’adaptateur a tout de même un petit rôle créateur, une petite touche d’inspiration, même si, bien sûr, c’est un sous-auteur. Le traducteur, lui, n’est rien. Je me souviens de ce journaliste qui, pour commencer un entretien, posait à André Markowicz la question clé : ça ne vous ennuie pas de n’être qu’un second couteau ?

La disparition du Molière de l’adaptateur arrive à point après l’épisode du Balcon.

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Le balcon

Alors que je rentrais de Martigues, arrive un courriel de France Culture : Laurent Goumarre veut m’inviter pour parler du Balcon… Du Balcon ? Après douze ans ? Quelle mouche le pique ? Car c’est en 2002 que Stanilas Nordey m’a proposé d’écrire un livret d’opéra pour Peter Eötvös, d’après Le Balcon de Jean Genet.

Il m’apparaît alors que l’Athénée donne Le Balcon dans une nouvelle mise en scène : nul, ni le metteur en scène, ni la SACD, ni le producteur, ni le compositeur et l’éditeur allemand aux dents si longues  n’a cru devoir m’informer que mon livret était utilisé.

En 2002, souhaitant se voir reconnaître le statut de colibrettiste, le compositeur, hongrois, avait modifié ce malheureux livret en y ajoutant des fautes de français : y sont-elles toujours ? Le metteur en scène l’a-t-il à son tour changé ? Mystère ! Interrogé à ce propos, ce dernier n’a pas daigné répondre.

En conclusion, je ne sais rien du spectacle, hormis ce qu’en ont dit les critiques (j’adore surtout la déclaration du chef d’orchestre qui annonce que « le texte est au cœur du projet »). En tout cas, je n’y suis pour rien, je le note car cet opéra doit (m’a-t-on dit) se donner à Lille et à Covent Garden.

 C’est une belle illustration de ce que je constate depuis des années : la sacralisation du metteur en scène doublant la sacralisation de l’auteur induit un mépris pour le texte qui autorise tous les abus. Le librettiste, comme le traducteur, est jugé persona non grata, vil truchement, nécessaire, hélas, entre l’Auteur et le metteur en scène mais sous-auteur, intermédiaire dont la vertu première est de savoir être invisible.

Je viens d’écrire que le traducteur est nécessaire — signe que, malgré tout, je n’arrive pas à me défaire de mes illusions — mais combien de metteurs en scène se contentent de trafiquer une traduction pour la faire passer sous leur nom… C’est précisément sur la base de cette indifférence au texte que le plagiat peut se répandre, comme je me suis efforcée de le montrer ici.

Le Balcon m’aura au moins offert l’occasion d’essayer une fois de plus de tenter d’attirer l’attention sur ce problème qui ne cesse de s’aggraver.

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La saga des petits radis

À peine de retour de Genève, départ pour Martigues. La saga des petits radis a été choisie par les bibliothécaires de la médiathèque parmi des dizaines, des centaines de livres pour enfants, dans le cadre de l’opération « Les croqueurs de mots », et je ne vais pas ménager ma peine pour faire connaître le premier titre de la collection « Coquelicot » : il est héroïque par les temps qui courent de lancer une collection de poésie pour enfants ; les éditions MeMo comptent sur moi, pas question de me dérober…

J’ai pris mon billet de train dans un esprit christique et je suis prête à boire le calice jusqu’à la lie. Gare de Lyon, train bondé, retours de vacances, chaos. Je dois descendre à Aix où m’attend Dominique Bernard, la responsable des « croqueurs de mots » qui ont choisi mes petits radis. Une longue expérience m’a appris à connaître les aléas des attentes, rencontres et rendez-vous dans les gares et je dispose d’un kit de sauvegarde tout prêt. Pas un instant d’attente : miracle, elle est là.

Elle est là, et elle me propose tout uniment, comme si la chose allait de soi, et comme si tout son temps était à moi, de me faire connaître pour commencer le pays de Martigues : une petite visite pour voir les calanques, l’étang de Berre, la Méditerranée. L’offre est faite si généreusement que j’accepte, tout en me disant qu’il ne doit pas y avoir beaucoup de bibliothécaires qui consacrent leur dimanche à l’accueil d’un auteur…

Un dimanche, oui, un beau dimanche de mai, bleu, avec un souffle de vent soulevant les vagues. Sur le port de Caro se pratique une forme de surf dit kitesurf, activité pour moi totalement inintéressante, mais quand je suis devant la mer, je reste fascinée par ces espèces de papillons à ailes translucides glissant sur des reflets d’argent, ou plutôt sur un condensé de reflets d’argent qui serait la mer.

Toute honte bue, j’ai fini par dire que j’aimerais prendre une ou deux photos, comme un touriste, et c’est presque à la dérobée que j’ai capturé ces images. Aucun rapport apparemment avec notre sujet mais ces figures sur la mer avec un pétrolier glissant sur l’horizon me restent comme une ouverture sur ces journées si étonnantes, et sur notre travail à tous dans ce qui touche à l’art et la culture (ou ce qu’on appelle art et culture faute de mieux).

À l’hôtel m’attend une charmante lettre de l’autre auteur invité, Agnès Domergue, et nous voilà parcourant le port dans la lumière dorée du soir : une légère odeur d’anis, un cliquetis de coques contre le môle, le bleu de la nuit…  Chose stupéfiante, Agnès Domergue, qui pratique (entre autres) l’alto, l’aquarelle, le haïku, la bande dessinée, le quatuor à cordes et l’éducation féline, a déjà trouvé le moyen de repérer le meilleur (ou peut-être le seul) restaurant de Martigues ouvert le dimanche après avoir fait le tour du port, visité les calanques et pris un petit bain de pied dans la Méditerranée (moi, j’ai juste médité sur le kitesurf).

Mais c’est que, le lendemain, il s’agit de se lever tôt pour rencontrer les classes : d’abord,  des petits, puis des plus grands, très nombreux… Je me demande comment font les instituteurs pour s’occuper de classes de 28 élèves, certains venus de quartiers très pauvres, certains issus de familles immigrées. Pour la plupart, c’est la première fois qu’ils entrent dans une bibliothèque et le but de ces rencontres est de permettre aux petits d’entrer dans le monde du livre et d’y revenir avec parents et grands-parents.

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C’est certainement pour cette raison que le lieu est si lumineux, avec ses couleurs dorées, ses reflets de soleil sur les présentoirs et ses espaces clairs. Je ne pensais pas avoir eu la présence d’esprit de garder une image du lieu, mais si (quoique, à regarder les photos que j’ai prises, le kitesurf semble avoir mobilisé l’essentiel de mon temps).

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La médiathèque est le centre autour duquel rayonnent des bibliobus et s’organisent des antennes locales. Incroyable travail rassemblant des dizaines de classes auxquelles un exemplaire du livre choisi a été remis. Les enfants ont donc préparé des questions.

Pendant que je les attends je regarde les pêcheurs de dorades le long du canal — car la médiathèque se trouve au milieu d’une île.

Le premier enfant qui passe la tête par la porte constate : « C’est joli ! » Oui, le mobilier clair, les petits fauteuils grenouille qui sourient et les chaises en forme de fleurs donnent envie de s’asseoir et d’écouter (c’est la salle des contes).

La première classe est une classe dite facile : quinze élèves, une institutrice heureuse, une bonne école… et la préparation de la rencontre a été si bien soignée que je reste ébahie d’entendre les enfants former le chœur des petits radis.  Ils savent tout le début du texte et ils l’interprètent en faisant la grosse voix d’Eustache, la petite voix des radis qui s’enfuient, la feuillette sur la tête, toute tendre et freluquette (ils adorent faire la feuillette avec les doigts et rient de réciter tous ensemble). Ils vont peut-être faire un spectacle… J’ai oublié leurs questions tant le chœur des petits radis m’a plu. Et je dois dire que je mélange un peu les questions de toutes les classes suivantes…. En général, on me demande pourquoi je m’intéresse aux légumes, et j’en profite pour attirer l’attention sur les drôles de noms des rutabagas, des topinambours, des scorsonères, des épinards et même des carottes — des drôles de noms qui permettent de trouver des rimes cocasses… Et nous voilà parlant de rimes et de rythmes. Ce qui est curieux (mais pas du tout curieux en réalité puisque je rencontre le même problème auprès des traducteurs, au théâtre et partout) est la manière dont les maîtres isolent la rime mais ne tiennent aucun compte du rythme… Des enfants m’ont écrit deux strophes complémentaires. La première dit :

                                              
                                   Allez vous cacher sous le thym
                                   Vous serez loin de l’assassin
                                   Vous y serez bien
                                    Et vous n’aurez plus de pépins. 
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Il est extraordinaire de voir avec quelle justesse, une fois qu’ils ont compris comment le rythme permet de chanter un poème, ils l’interprètent. En fait, à la fin de la classe la plus difficile, la dernière du séjour, nous avons passé un moment extraordinaire à scander en chœur (et par cœur tant ils retiennent vite) l’opéra des radis.

Beaucoup m’ont demandé ce que c’était une saga et beaucoup m’ont amenée aussi à expliquer que c’était une histoire un peu rigolote mais aussi une fable (je n’ai pas dit que c’était une fable sur les enfants cachés mais les instituteurs ont tous compris, non sans surprise parfois, qu’il y avait aussi un double sens, qu’on le voie ou pas).

Bref, voilà l’une de mes classes après notre rencontre. J’ai appris beaucoup sur mon travail grâce aux questions.

La matinée finie, nous embarquons dans la navette pour la cafétéria. Car, chose incroyable, on se rend à la bibliothèque en vaporetto local (on passerait bien ses journées à aller et venir sur l’eau, y compris avec les enfants lecteurs de La saga des petits radis).

Voici Agnès Domergue, ma coautrice, Dominique Bernard et, debout, Marie-Emmanuelle, toutes deux organisatrices des Croqueurs de mots, qui veillent sur nous.

Le soir, on passe par le Miroir aux oiseaux pour aller à la librairie Alinéa (l’une des meilleures librairies de France, autant que je puisse en juger : bel espace, bel accueil et choix intelligent des livres).

Et le lendemain, nous sommes invités comme en famille chez Cathy qui est l’autre organisatrice et nous avons droit aux sanguins, à la poutargue, à la tapenade, au pain provençal, aux grillades et à des échanges passionnants sur Frédéric Mistral (dont je me glorifie d’avoir été la première à publier sa collecte de contes — j’apprends alors qu’il doit y avoir des fêtes pour commémorer le centenaire de sa mort, ce que j’ignorais).

Et c’est fini : ma dernière classe, qui avait l’air d’être la plus difficile, a été passionnante. Marie-Emmanuelle nous conduit à la gare, en ayant encore la patience d’attendre l’arrivée du train… Me voilà partie pour Paris et pour de nouveaux soucis après ces jours heureux…

Conclusion : je suis une grande admiratrice de la médiathèque de Martigues et de ses bibliothécaires (que celles que j’ai oublié de nommer me pardonnent…).

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Désir sous les ormes

Dernière de Désir sous les ormes dans la mise en scène de Guy-Pierre Couleau à la Comédie de Genève.

Je n’avais pas pu voir la pièce à Colmar car j’étais mobilisée par des colloques à Brest et à Grenoble. Je pensais aller la voir à Mulhouse et ce n’était encore pas possible. Quelle mélancolie de voir un spectacle au moment où il s’arrête… et de retrouver des acteurs rencontrés voilà si longtemps dans d’autres spectacles : amis perdus sans être perdus, images qui se fondent en d’autres images, voix qui reviennent comme en surimpression pour rendre plus étranges les décalcomanies du temps.

En fin de compte, c’était une chance de happer une dernière représentation juste avant qu’il ne soit trop tard, avec cette fragilité de l’urgence — ce qui est, en fait, le thème de la pièce. Et de la voir à la Comédie de Genève, lieu de théâtre si doux, si amène, et placé sous le signe de figures énigmatiques qui m’ont toujours fascinée.

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Je trouve aussi que j’ai eu de la chance de capter ces images avant que la nuit tombe.

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Après la représentation, nous sommes allés manger dans un restaurant nommé le Croissant d’or sous la conduite d’un comédien qui en disait le plus grand bien et nous avons passé une heure et demie à parler de la vie au théâtre avant de nous rendre compte que nous n’avions toujours rien dans nos assiettes. Ensuite de quoi, le thuriféraire du Croissant d’or a obtenu qu’une brusque accélération du service suscite l’apparition de frites molles, brochettes froides et autres mets assortis, ce qui a eu pour effet non de provoquer la révolte mais de donner à tous le sentiment euphorique de comprendre soudain pourquoi cette soirée désastreuse était si réussie : nous avions partagé ce qui nous était donné en partage et le reste, bon ou mauvais, venait en surplus.

Dans le cas du Croissant d’or, le surplus était réduit à la portion congrue et je ne le recommanderais à personne mais, ça ne fait rien, l’expérience valait la peine d’être vécue.

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La légende des Bonnets rouges…

De l’histoire à la légende ou comment un bonnet bleu devient rouge pour signifier une chose et son contraire…

 

Sous ce titre est paru dans le dernier numéro de La grande oreille un article que j’ai consacré  à fabrique du bonnet rouge dont tout bon Breton est désormais supposé s’affubler pour exprimer sa révolte native.

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O’Neill

 

 

 

Après vingt ans, voici disponible ma traduction de Désir sous les ormes d’Eugene O’Neill.

Elle vient de paraître aux éditions de l’Arche qui, jusqu’alors, s’opposaient à sa publication (comme je l’ai expliqué dans l’article que j’ai consacré sur ce site à cette expérience de traduction).

Si elle a pu voir le jour, c’est grâce à Guy-Pierre Couleau qui a insisté pour que le texte puisse être mis à la disposition des spectateurs de Colmar, de Mulhouse et Genève qui verraient la pièce dans sa mise en scène, sans parler des lecteurs intéressés à découvrir cette transposition de l’anglo-irlandais en franco-breton.

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Le monde comme si : nouvelle édition

Le monde comme si est d’abord paru hors collection aux éditions Actes Sud. Il a connu, en fait, deux éditions car, Alan Stivell étant mécontent de se voir en photo sous uniforme des scouts Bleimor (scouts nationalistes rattachés aux scouts d’Europe auxquels il se vante pourtant d’avoir appartenu), nous avons supprimé cette image lors du second tirage et j’en ai profité pour faire quelques corrections.

L’illustration de couverture est une photo argentique que j’avais prise depuis mon balcon avant même de savoir que j’allais écrire Le monde comme si.

Le livre est ensuite paru en collection de poche Babel-Actes Sud.

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Il est miraculeux qu’un tel livre, non seulement presque sans relais dans les médias à parution, mais en dépit du refus de nombreux libraires en Bretagne de le mettre à disposition des lecteurs et en dépit du vandalisme, ait pu faire tout seul son petit bonhomme de chemin.

Merci aux lecteurs qui l’ont défendu, merci aux libraires qui ont bravé les menaces, et, entre tous, merci aux libraires de Virgin qui, pendant des années, ont gardé en caisse des exemplaires pour leur éviter d’être cornés, salis et déchirés.

Merci à Charlotte Perry, à Daniel Mermet, aux journalistes qui ont tenté d’ouvrir le débat sur un problème, hélas, plus actuel que jamais : avec l’éclatement du ministère de la Culture et la dévolution de la culture à la région Bretagne, selon le vœu des autonomistes, la « dérive identitaire » que je dénonçais est en voie d’achever de se changer en cauchemar institutionnalisé.

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Plagiat : justice rendue

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J’avais longuement hésité avant d’assigner Anne-Marie Lilti, auteur d’une biographie intitulée Armand Robin : le poète indésirable,  préfacée par Jean Bescond, responsable du site armandrobin.org. Un procès est toujours une épreuve, chronophage, aléatoire, dévoreuse d’une énergie que l’on voudrait employer ailleurs et souvent blessante.

Mais, d’une part, l’auteur de cette biographie était un professeur d’université, doublement responsable à ce titre, en un temps où les étudiants pensent pouvoir reproduire n’importe quel texte sans en mentionner l’origine ; d’autre part, ce professeur reprenait, souvent mot pour mot, mes recherches en vue de les faire servir précisément les lieux communs que j’avais combattus en recueillant les textes d’Armand Robin et en espérant ainsi l’amener à témoigner pour lui-même ; enfin, cette biographie avait bénéficié de l’aide du Centre national du Livre et représentait donc ce que l’institution littéraire entendait soutenir.

Des années de travail, des publications, des articles, des émissions de radio, un film, un doctorat d’État — rien n’avait servi : anarchiste et breton, Armand Robin était le Poète indésirable ainsi rendu indéfiniment désirable en vue de promouvoir des cercles de poètes, des poètes de cercles, des amis des poètes, des poètes anarchistes, des anarchistes bretons, et des critiques, des conférenciers, des journalistes prêts à promouvoir le poète indésirable, les cercles de poètes et ainsi de suite à l’infini. Un petit cas littéraire parmi tant d’autres, pas tellement intéressant, peu rentable… Et pourtant l’occasion de la plus grande violence, passant outre tout ce qu’il était possible d’admettre d’un milieu littéraire sclérosé : un auteur sans œuvre, sans vie, poursuivant son travail autant dire invisible par cent poètes parlant par sa voix, une expérience littéraire sans égale vouée à se terminer dans l’anonymat de la préfecture de police — et tout ça pour être, envers et contre tout, enfermé dans la biographie qu’il avait voulu fuir, une biographie fabriquée à partir de phrases détournées de leur sens et de citations sans mention de source…

Tandis que l’audience se déroulait au Palais de Justice, Tribunal de grande instance de Paris, 3e chambre 2e section, je voyais la Seine briller au soleil. De l’autre côté, la préfecture de police où Robin était venu mourir.

Ôtant son soulier, le remettant, jouant avec sa robe, l’avocate d’Anne-Marie Lilti m’accusait d’avoir pillé ceci, trouvé cela chez l’un, chez l’autre, et lisait en se délectant les attestations de Bescond et consorts. Le plagiaire n’a rien de plus pressé que d’attaquer celui qu’il pille. Une épreuve, quand bien même on s’y est préparé…

Par jugement rendu le 14 mars, le Tribunal a jugé qu’Anne-Marie Lilti s’était rendue coupable d’actes  de contrefaçon à mon préjudice et l’a condamnée à me verser 3 000 euros au titre de l’atteinte à mes droits patrimoniaux et 3 000 euros au titre de l’atteinte au droit moral.

Il a par ailleurs ordonné la publication du jugement dans la limite de 3 500 euros par publication.

Enfin, 5 000 euros de frais d’avocat me seront remboursés au titre de l’article 700.

Je donne ces chiffres pour que les plagiaires comprennent qu’il y a une loi et qu’elle peut s’appliquer, pour peu qu’on aie le courage d’aller jusqu’au bout de la procédure.

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On trouvera ici en PDF le jugement signé par le juge Éric Halphen.

Jugement du 14 mars 2014

Pour ceux qu’intéresse le problème du plagiat, je joins la liste des emprunts retenus. Colonne de gauche : mes écrits ; colonne de droite, les écrits d’Anne-Marie Lilti ; en bleu, dans une colonne ajoutée, les passages correctement référencés dans la thèse d’Anne-Marie Lilti (1999) mais non sourcés dans sa biographie et qu’elle assurait résulter de recherches personnelles ou de recours à une source commune non identifiée  — cette pseudo-source commune effacée dans la biographie était clairement désignée dans la thèse.

Liste des emprunts PDF

Absolument convaincue d’avoir employé une méthode en tout point recommandable, cette universitaire a fait appel mais, l’appel ayant été rejeté, le jugement est désormais définitif.

On pourra lire à ce propos un dossier de Jean-Noël Darde, sur son site « Archéologie du copier-coller » consacré au problème de la contrefaçon à l’université.

En prime aussi, un article intéressant du Monde. 

Plagiat Le Monde 2010

J’ai aussi mis sur ce site un dossier consacré au plagiat, Chroniques de l’anticoucou  : les lecteurs peuvent y collaborer s’ils souhaitent participer au combat…

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