Enfin, le voici paru, ce troisième livre de la troisième saison des Éditions Mesures… Pour moi, c’est un livre important car il met fin à mes traductions de l’ancien français en faisant la synthèse d’une expérience que j’ai commencée à la Sorbonne, un été que, m’étant inscrite trois fois aux mêmes certificats, je me trouvais trois fois licenciée sans l’être : on m’avait fait savoir qu’il fallait que je fasse de l’ancien français et de l’anglais pour être dans les cordes. C’est alors que j’avais découvert (grâce à Albert Pauphilet, à présent impitoyablement chassé de la Pléiade où il régnait), cette Folie Tristan et les Lais de Marie de France.
La question qui, d’ores et déjà, se posait à moi était : comment pouvait-on traduire en lourde prose ces poèmes où l’octosyllabe offrait un cadre à la fois léger et strict aux rimes et aux récurrences, si importantes puisque ces poèmes étaient faits pour être portés par la voix…
Il était naturel, bien sûr, de donner aux étudiants une version ligne à ligne expliquant le texte mais cette visée pédagogique laissait place à un exercice qui, tout en se donnant pour traduction, n’en était pas et tendait, qui plus est, à se substituer au texte original, au motif que l’octosyllabe n’était rien de plus qu’une forme vétuste appelant la mise en prose.
Lorsque j’ai traduit La Trilogie de Pathelin puis les Lais et les Fables de Marie de France, j’ai constaté que le respect de la forme permettait, contrairement à ce que veut la tradition française, de mieux respecter le sens. Je me suis donc efforcée de le démontrer en accompagnant cette Folie Tristan de notes sur cette expérience de traduction.
Il m’a semblé que ce texte (qui met en scène Tristan déguisé en fou pour voir Yseult prisonnière) se prêtait au théâtre, et ce sont d’ailleurs de jeunes comédiens qui, pour la première fois, lui ont donné voix au TNP. En janvier, l’expérience va se poursuivre, et il est d’ailleurs heureux que ce travail soit mis en relation avec Avrilet L’Oiseau-loup. Voies de traverse qui ouvrent la littérature médiévale à l’écriture contemporaine en passant par le théâtre…
À l’imprimerie, dernières mises au point des images de Pluie, le livre qui doit paraître pour la troisième saison des Éditions Mesures. Cette fois, nous avons décidé d’accompagner les quatre chapitres du livre de photographies que j’ai prises par temps de pluie à Rostrenen (ville hautement recommandable à qui souhaite goûter les charmes de la pluie) dans la maison qui est le sujet principal de Sur champ de sable (dont Pluie est le complément). Emmanuel, le virtuose de Média Graphic, procède aux ajustements de couleurs et ce n’est pas simple…
La première année j’avais fait des aquarelles pour illustrer les couvertures, la deuxième année j’avais retravaillé des portraits et, cette année, j’ai peint des images allusives mais encadrées de pastel légèrement écrasé comme si l’image s’arrachait à la page.
Les couvertures de Pluie et d’Orbe, le recueil de poèmes d’André Markowicz se répondent.
Voici la couverture d’Orbe… dommage que la teinte délicatement ivoirée du papier semble ici bizarrement jaune.
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Et la couverture de Pluiedans son état préparatoire…
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C’est un livre tout simple qui raconte une année d’enfance à partir d’instants de pluie : quatre fois seize quatrains, le quatrain étant en quelque sorte une manière de pratiquer le haïku à la française.
Et maintenant, je prépare l’édition de La Folie Tristan, édition bilingue, beaucoup moins simple mais tout aussi passionnante…
Au moment où je m’apprête à partir sous une pluie battante pour assurer la clôture du festival de traduction vo-vf, je reçois un bel article de Christine Lapostolle au sujet d’Armand Robin ou le mythe du Poète – article qui me rappelle la censure dont ce travail a été l’objet en Bretagne (belle occasion pour moi de faire le point ici) et aussi dans les cercles de poètes autorisés, cercles que Robin avait fui par la « non traduction » (belle occasion aussi pour moi de rappeler combien cette expérience devrait trouver place, au moins hors de Bretagne où la parole est encore libre, dans les lieux où l’on s’intéresse à la traduction).
Ah la la, non, je ne vais pas raconter ce spectacle mémorable. André a fait ça sur Facebook et, moi, je me suis contentée de noter ce qu’avait d’improbable cette rencontre autour de textes écrits sur une journée de printemps froid en Bretagne dans un oratoire brûlant abrité au creux d’une forteresse génoise dominant la mer.
Totalement improbable et appelé par cette forme de résistance aux formes imposées qui va de la haute poésie à la politique – une résistance naturelle, amicale, joyeuse, appelée par la bienveillance… Quelle joie de rencontrer un public si chaleureux dans un endroit si sublime !
Et quelle joie aussi de sentir que l’on ouvre, si peu que ce soit, une brèche dans l’édifice sinistre de l’identitaire maçonné par le nationalisme pour tout réduire à sa laideur bête ! Ah, nous en étions bien loin à Calvi ! Puissent les polyphonies vivre longtemps et continuer de mériter leur nom…
Demain, à 18 h, nous jouons Avril à l’oratoire de la chapelle Saint-Antoine à Calvi. Ultime répétition…
Le spectacle se donne dans le cadre des 33e rencontres de chants polyphoniques. Une fois de plus, Annie Ebrel, Hélène Labarrière, André Markowicz et moi nous trouvons rassemblés pour ce spectacle français, breton, russe…
Ça y est, la troisième saison commence ! L’annonce est faite sur le site des Éditions Mesures.
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Non seulement nous avons tenu deux ans mais nous avons cinquante mille projets, ce qui, à raison de cinq livres par an, va laisser de quoi faire…
Le lancement du premier livre, nous l’avons fait à l’Olympia hier.
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C’était le concert des Têtes raides et le fabuleux chanteur des Têtes raides, Christian Olivier, est aussi à l’origine de la traduction des Douze d’Alexandre Blok qui ouvre la troisième saison des éditions Mesures – à l’origine et pas seulement puisqu’ila illustré le texte avec Lionel Le Néouanic, son complice du collectif Les Chats Pelés, et qu’il dit le poème : on pourra l’écouter sur le site des éditions et en streaming.
Les illustrations sont un véritable hommage au poème de Blok.
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Les Douze est un poème mythique – le poème par excellence de la Révolution d’octobre et aussi de la trahison de la révolte par la révolution. Un poème fondateur pour André Markowicz et pour moi, puisque nous avons commencé notre travail par l’étude des traductions d’Armand Robin, et Les Douze occupe une place capitale dans ses Quatre poètes russes.
C’est en travaillant avec Christian que, pour la première fois depuis tant d’années, André a senti le rythme qui porte le poème le traverser et qu’il l’a traduit comme dans la lancée, ce dont il avait été si longtemps incapable – petit miracle dû à l’écoute et à la générosité : hier, à l’Olympia, personne n’aurait pu dire le contraire… C’était à pleurer d’entendre la salle entière porter la voix du chanteur, la relayer, lui répondre et reprendre les chansons après avoir entendu Prévert et Vian. Ah ! il aurait été heureux, Prévert ! Et Ursula Vian ! … J’imaginais une conversation sur la terrasse de la cité Véron, à l’ombre des ailes du Moulin-Rouge, au sortir du lycée. Le petit rire de Prévert, alors même qu’il était triste, et tout l’esprit joyeux de ces gens qu’on traite comme rien… Quelle revanche !
Bref, c’était merveilleux, et voilà notre premier livre de la nouvelle saison.
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Nous avons gardé le même papier de couverture que pour les livres des saisons précédentes mais l’encrage noir lui a donné un satiné qui semble venir des profondeurs, et la dissemblance lève de la ressemblance, ce qui était essentiel pour que le livre s’inscrive dans l’ensemble. Il est vraiment heureux que ce soit un premier livre, comme une ouverture sur une nouvelle vie.
On a beau s’être accoutumé aux mœurs et coutumes du mouvement breton, avoir expérimenté depuis un quart de siècle le poids de la censure, la prolifération des invectives, les falsifications wikipediesques, le machisme, la diffamation, la violence et j’en passe, on se défend mal d’une certaine naïveté qui laisse surpris quand le pire se découvre.
Ma présence, héroïquement imposée par les organisateurs du festival de poésie de Douarnenez malgré les protestations d’écrivains locaux, ne pouvait pas être tolérée par les militants nationalistes. Aussitôt après la rencontre avec Yoann Barbereau sur notre traduction du Maître et Marguerite, l’Agence Bretagne Presse mettait en ligne un article scandaleux accompagné d’une vidéo de la rencontre prise clandestinement : « Tel l’inquisiteur guettant chafouinement la pécheresse pour la mener au bûcher, un militant glissé dans l’assistance s’est chargé de filmer clandestinement et de choisir l’image la plus hideuse possible pour nous confondre », écrivais-je. Mais j’étais encore loin du compte.
Répondant à un correspondant qu’il a censuré (lui aussi), le directeur de l’Agence Bretagne Presse, un nommé Philippe Argouarch, accuse ce correspondant, Frank Bodenès (un excellent connaisseur du breton qui a précédemment montré qu’Argouach, malgré les cours de breton qu’il prenait, était incapable d’écrire une phrase de breton sans faire trois fautes – démonstration hilarante pour qui s’intéresse au sujet), Argouarch, donc, l’accuse de soutenir André Markowicz par calcul car ce dernier serait son éditeur. Bel exemple de la méthode nationaliste : on écrit n’importe quoi et les allégations circulent, mêlées à des palinodies et des mensonges assortis de douceurs mielleuses, fielleuses et sermonneuses. Le mouvement nationaliste breton est sorti des cénacles catholiques : il en a gardé le jésuitisme. Cette allégation ridicule sert, comme de coutume, à en amener d’autres : André Markowicz aurait menacé ce pauvre Argouarch de menaces judiciaires mais aurait reculé car il aurait découvert que « s’attaquer à la presse est une partie perdue » (la presse, c’est lui).
La réalité est qu’Argouarch a été informé que s’il ne retirait pas cette vidéo clandestine, il recevrait un courrier recommandé avec mise en demeure, le droit à l’image garanti par la loi française s’appliquant encore. Il n’a rien retiré et poursuit dans le même registre. Libre à lui. Il sait ce qui l’attend.
Sur ce, il ajoute de son propre chef :
« J’ai fait mon travail et donné mon point de vue dans une chronique qui est un genre où les points de vue sont bien-venus (sic)… Je suis venu en journaliste faire une photo car il y avait des rumeurs que (sic) FM allait être enfarinée. »
Ainsi donc, sachant que les militants nationalistes préparaient une opération commando (faisant suite à d’autres opérations du même genre), il est venu, selon ses propres dires, faire en voisin une petite photo – qui, par pur hasard, s’est changée en vidéo.
Celui qui filmait, caché dans l’assistance, c’était lui, en tant que directeur de l’Agence Bretagne Presse, lui qui, au courant des « rumeurs » annonçant l’enfarinage, est venu filmer, en se gardant bien d’alerter le festival et en se réjouissant par avance du scoop.
C’est moi qu’il s’agissait d’enfariner, moi seule, pas André Markowicz, pas Yoann Barbereau. Les enfarineurs ont sans doute reculé devant la perspective d’agresser deux mâles en présence d’une assistance si nombreuse, mais le complice a néanmoins filmé pour pouvoir étayer ses accusations de délire et autres : un vrai travail de journalisme à la bretonne, qui mériterait un deuxième collier de l’hermine – assigné après la parution du Monde comme si, le directeur du journal Betagne hebdo avait, sitôt condamné pour diffamation, été herminisé. À quand la deuxième herminisation d’Argouarch ?
Il a bien mérité de la nation : c’est lui qui, tout récemment, lorsque la mairie de Pont-L’Abbé a décidé de débaptiser la rue Youenn Drezen, est allé filmer le fils de Drezen pour lancer une campagne de contre-information relayée par le conseil culturel. Pas antisémite pour un sou, Drezen, Argouach l’assure. On peut traduire ses textes antisémites, les mettre en ligne, c’est bien simple, il ne les voit pas. C’est encore une forme d’enfarinage, un enfarinage finalement bien utile puisqu’il permet d’accuser ceux qui les voient de nuire à la Bretagne – c’est-à-dire cette « Bretagne des militants de la cause bretonne », comme il l’écrit, qui entend par tous les moyens imposer sa loi. Je viens, une fois de plus, d’en apporter la preuve.
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SUITE…
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Oui, les militants bretons peuvent encore, même après des années, vous surprendre : comme pour confirmer ce que j’écrivais hier, voilà que le nommé Argouach m’adresse un message sur ce site.
On aurait pu croire qu’il se serait défendu d’avoir connu le projet d’enfarinage au festival de Douarnenez et de s’en être rendu complice en venant filmer clandestinement… Mais non ! L’enfarinage, c’était très bien, nul besoin d’y revenir : il en est fier, c’est lui qui en a parlé et son message est un nouvel aveu puisqu’il se consacre à ce qui pour lui est autrement intéressant.
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il m’écrit pour me demander de ne pas adopter la graphie bretonne de son nom mais la graphie française, l’odieuse graphie française qui change le noble C’H en CH. Serait-il traître à sa patrie ? Et son regard serait-il troublé ? Car, pour ma part, j’écris Argouarch, au contraire des nationalistes de gauche (qui après avoir collaboré à l’Agence Bretagne Presse depuis 2003 sans états d’âme, se sont soudainement avisés en 2009 qu’ils s’étaient égarés dans les parages de l’extrême droite et ont produit des articles qui, de fait, le mettent en cause sous le nom d’Argouarc’h).
Ce, donc, Argouarch m’écrit également pour m’aviser qu’il vient de produire une critique du Monde comme si ». Avec l’urbanité jésuitique qui le caractérise, il s’excuse : « Désolé pour le retard mais j’ai fini par faire une revue du Monde comme si »…
Allons, pourquoi s’excuser ? Qu’est-ce qu’un petit retard de vingt ans ? Et surtout pour produire un texte que l’on croirait tout droit sorti des colonnes de feu Bretagne hebdo… Quelle constance ! Quelle obstination ! Et surtout quel immobilisme de la part de la part de ce qui se désigne comme « mouvement breton » ! À cela près que, voilà vingt ans, Bretagne hebdo se contentait d’enfariner ses lecteurs en leur déversant des sacs de propagande et de ragots : à présent, l’enfarinage, pratique des droites extrêmes, se présente comme un moyen d’interdire de parole qui ne se soumet pas à la doxa nationaliste.
S’il y a mouvement, c’est bien dans le sens que prévoyait Le Monde comme si. Voici le dernier commentaire publié par ce même Argouarch — commentaire anonyme, bien sûr (et qui se termine, pour rester dans la même tonalité, par « Priez pour elle ! », vœu qui peut s’interpréter de différentes manières) :
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Cela n’ajoute rien au florilège des invectives, direz-vous. Si ! Un thème nouveau est apparu : selon la propagande nationaliste actuelle, nous sommes, André Markowicz et moi, des « migrants ». Lui, en tant que juif russe, est naturellement « le type parfait du migrant » ; moi, « née en Bretagne », j’ai, comme l’indique Wikipedia, « suivi mes parents dans la région parisienne ». Vu que j’avais trois semaines, on serait en droit de penser que je n’avais pas vraiment le choix mais, peu importe, le but est atteint (et l’on voit le rôle joué par Wikipedia).
André Markowicz est donc présenté comme l’archétype du « combattant de la Légion étrangère » (la Légion étrangère française en Bretagne) et, moi, comme l’incarnation des migrants de l’intérieur, ces étrangers, ces envahisseurs, ces nocifs qu’il faudrait chasser. C’est ce que dit un nommé Grua qui — demandez-vous pourquoi — s’est subitement déclenché juste après la publication de nos articles sur l’affaire Navalny et Yves Rocher et passe désormais l’essentiel de son temps à dénoncer André Markowicz, coupable, écrit-il, de soutenir les « provocations d’une femme aigrie contre sa terre d’accueil ».
La Bretagne n’est pas, comme on pourrait le croire, ma terre natale : c’est ma terre d’accueil. Ravalée au rang d’immigrée, je vais devoir, avec le juif qui assure ma « promotion », laisser place aux vrais Bretons, bien soumis, qui ne se rebellent pas et adhèrent au dogme. La conclusion du commentaire publié par Argouarch est claire : chassons-les ! Enfermons-les dans les hôpitaux psychiatriques ! Rééduquons-les !
Lire Le Maître et Marguerite, c’est bien, mais comprendre à la lumière de ce roman ce qui se passe en Bretagne, c’est mieux.
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…ET ULTIME DÉMONSTRATION
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Précisément, comme pour mieux le donner à comprendre, le géographe autonomiste Jean-Jacques Monnier vient apporter de l’eau au moulin de l’Agence Bretagne Presse qui publie ses commentaires sur Le Monde comme si à titre de complément de la prose d’Argouarch.
Quoi, direz-vous, un élu de l’UDB, parti nationaliste qui se dit de gauche, venir cautionner l’Agence Bretagne Presse dénoncée comme étant liée à l’extrême droite par des nationalistes de gauche ? Un site où l’on ose assurer que Drezen n’était pas antisémite ? Et alors que le nommé Argouarch se vante d’être venu filmer un enfarinage ? Voudrait-il rendre risible le nom de son parti qui se proclame Union « démocratique » bretonne ? Ou illustrer la collusion des nationalistes bretons que dénonce Le Monde comme si ? Une collusion qui (telle est ma thèse) finit toujours par servir l’extrême droite ?
Jean-Jacques Monnier, spécialiste de la réhabilitation des vieux nazis bretons, est allé jusqu’à présenter l’un des pires d’entre eux, Hervé Le Helloco, comme un « juste parmi les nations » (voir à ce propos Résistance et conscience bretonne). C’est lui qui, dans les colonnes du Peuple breton, organe de l’UDB, s’est livré à la plus scandaleuse apologie d’Alain Guel à partir d’un hommage à Guel, rassemblant, autour de Jean Mabire, la fine fleur de l’extrême droite nationaliste et néodruidique bretonne).
Ainsi collabore-t-il naturellement à l’Agence Bretagne Presse qui publie sa prose avec les plus grands égards quand tous les commentaires critiques sont impitoyablement censurés. Portrait du nationalisme breton par lui-même.
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Cette intervention de J.-J. Monnier me permet de répondre à ceux de mes lecteurs qui m’assurent que ces gens ne sont rien, ne sont lus par personne et ne représentent qu’eux-mêmes. C’est une erreur ; ils jouent un rôle essentiel, ignoré assurément de l’immense majorité des électeurs mais officiel dès lors que l’on tient compte de l’appui apporté par les élus régionaux au projet politique dont ils sont porteurs. Que l’on se réfère au colloque de 2014 où l’appel à la « guerre » contre la France semble aller de soi ou au simple fait que c’est précisément à ce géographe autonomiste que le conseil régional a confié la charge d’écrire une histoire de la Bretagne sous forme de film diffusé dans tous les établissements scolaires de Bretagne…
C’est à l’ignorance, à l’aveuglement et à la lâcheté que ces militants doivent leur pouvoir. Dire que, faute de résister, il faudra subir leur loi est déjà faire preuve d’aveuglement car, cette loi, nous la subissons, que nous le voulions ou non (comme le montre, exemple entre mille, l’histoire officielle de Bretagne ainsi promue par le conseil régional), et elle s’impose par la censure et la violence contre ceux qui osent tenter d’alerter sur le projet obscurantiste dont la Bretagne est désormais le nom.
Comme je l’ai rappelé voilà peu à l’occasion de la réédition du Monde comme si, depuis 2002, date de la parution de cet essai, j’ai interdiction de m’exprimer publiquement sur le sol breton, quel que soit le sujet. Soit des meutes de militants bretons se précipitent pour empêcher la tenue du débat, de la conférence, voire la lecture de poèmes (ainsi, par exemple, à Guingamp), soit les organisateurs sont objets de telles menaces qu’ils préfèrent s’abstenir (ainsi la responsable de la Fondation Fouéré invitait-elle les militants à « mettre la pression sur les organisateurs de ces soirées pour qu’ils évitent d’inviter cette femme nocive sur la Bretagne » et seul Jean Schalit a décrété que les menaces le stimulaient et que rien ne l’empêcherait de me donner une place aux Lieux mouvants, ce qui, héroïquement, s’est poursuivi depuis 2016 jusqu’à cette année). La plupart du temps, le courage n’étant pas la chose du monde la mieux partagée, les responsables de salons et de festivals, les bibliothécaires, les journalistes, les libraires, les organisateurs de rencontres choisissent la solution la plus simple, l’abstention, et le règne de l’autocensure rend inutile celui de la censure qui s’exerce ainsi plus pesamment. C’est aussi le sujet du Maître et Marguerite et, interdit sa vie durant, Boulgakov a résisté en laissant ce merveilleux pied de nez à tous les censeurs. Ce serait bien de traduire La Cabale des dévots pour compléter le tableau.
Objet d’une cabale des services secrets russes et emprisonné en Sibérie, Yoann Barbereau tout en préparant son évasion, lisait Le Maître et Marguerite. Il a rapporté, portant le tampon de la prison d’Irkoutsk son exemplaire des œuvres de Boulgakov en Pléiade.
Installé à Douarnenez où se tient depuis de longues années place de l’Enfer un festival littéraire en présence de nombreux éditeurs de poésie, il a cru bon, le malheureux, de proposer de nous inviter pour présenter notre traduction du Maître et Marguerite et des éditions Mesures. Il ne s’attendait pas à apprendre que ça ne serait pas possible car « inviter Françoise Morvan, c’est trop dangereux ». Phrase bien digne des littérateurs du Massolit décrits par Boulgakov. Soulignons l’esprit d’indépendance des responsables de l’association Poèmes bleus qui ont décidé à l’unanimité qu’il n’était pas question de céder à la censure : ô miracle de la témérité, après vingt ans d’absence, nous avons fait un petit retour sur la scène littéraire bretonne…
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C’était très bien : nous avons rencontré beaucoup de lecteurs tout ébaubis de me voir et qui m’apportaient leur soutien, nous avons vendu un très grand nombre de livres des éditions Mesures et nous avons fait une rencontre très agréable (mais malheureusement écourtée) avec Yoan Barbereau devant plus d’une centaine de spectateurs qui sont venus ensuite en foule acheter les exemplaires du Maître et Marguerite (le libraire n’en avait pas commandé assez).
Tout aurait pu s’arrêter là, à la satisfaction générale, mais, allons donc, les nationalistes ne pouvaient pas supporter ça : tel l’inquisiteur guettant chafouinement la pécheresse pour la mener au bûcher, un militant glissé dans l’assistance s’est chargé de filmer clandestinement et de choisir l’image la plus hideuse possible pour nous confondre afin d’alimenter le dossier que nourrit de longue date contre moi l’Agence Bretagne Presse. Je choisis à dessein la référence à l’Inquisition car, obsédé par la Bretagne (dont il n’était pas question dans cette rencontre), le responsable de cette agence de presse nationaliste m’accuse d’être incapable de parler d’autre chose et conclut : « Cette vieille querelle avec les militants de la cause bretonne lui colle à la peau. Elle en est marquée au fer rouge à vie. » Eh oui, telle la sorcière, je suis marquée au fer rouge. Mais, nuance, je suis une sorcière qui se marque elle-même au fer rouge et puis, la marque, ça colle à la peau, et, pis encore, s’opposer à « la cause bretonne », c’est contagieux et donc, comme l’écrit un autre militant, nous sommes des « pestiférés en Bretagne ». Cet article émane d’un « journaliste » qui non seulement a pignon sur rue mais a été récompensé en 2015 par le Collier de l’Hermine décerné par l’Institut culturel de Bretagne aux Bretons les plus méritants (l’ICB est notoirement inféodé aux nationalistes). Sans craindre le ridicule, il nous accuse, comme Boulgakov en son temps, d’être trotskistes. Sur Facebook, il approuve d’un « like » le « post » d’un militant dénonçant « ce couple méphitique qui ne peut pas s’empêcher de cracher son venin brittophibe (sic) dès qu’il le peut. Relisez les posts FB de Merdowicz»…
Machisme et scatologie : dans Le Monde comme si, je dressais déjà un portrait du mouvement breton par ses discours. Ils sont allés s’aggravant au fil des années, nous en avons ici un spécimen qui, naturellement, en appelle d’autres, le thème majeur des commentaires de cet article étant « mais comment a-t-on pu la laisser apparaître ? » Stupeur et tremblement… on a osé enfreindre la loi de la meute – une petite meute mais qui est au pouvoir et qui entend réduire au silence tout ce qui se moque de ce que l’auteur de l’article appelle, sans même se douter de ce qu’il dénonce ainsi lui-même, « la Bretagne des militants de la cause bretonne ».
Au nom de la « cause bretonne », on appelle à la censure, on insulte, on bafoue le droit à l’image et on crie au martyre quand on est condamné en justice. Par chance, la loi s’applique encore.
Le Monde comme si est paru en novembre 2002. Pour la couverture, j’avais choisi une photo que j’avais prise en voyant passer sous ma fenêtre les invités de rencontres folkloriques organisées par la mairie de Rennes. Ces gens déguisés en Bretons qui défilaient dans les plis de leur drapeau figuraient si bien le sort assigné aux indigènes par le lobby autonomiste breton que je n’ai pas cherché d’autre image : la marche en avant, les lunettes fixées sur la ligne bleue de l’avenir promis aux vrais Bretons fiers d’être bretons, et surtout le drapeau, le sinistre drapeau noir et blanc, partout proliférant… Oui, tout y était, y compris cette invite consensuelle à faire comme si et jouir à loisir du plaisir du faux.
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Les nationalistes, je ne l’ignorais pas, bénéficiaient d’un staff d’avocats rôdés (grâce à l’activisme des terroristes du FLB) à défendre leurs clients, vite offusqués par la moindre atteinte à leur considération, en tout premier lieu par le rappel de faits amnistiés (attentats et autres actions glorieuses dont ils se vantaient à l’intérieur du sérail mais qui, ayant été amnistiés, ne pouvaient plus être mentionnés). Vérité glorieuse à l’ouest, atteinte diffamatoire à l’est : nombreux ont été les journalistes condamnés pour avoir rappelé des faits parfaitement exacts mais amnistiés au détour d’une élection par le lâche fait du prince. Amnistiés au nom du peuple français tant haï, les militants pouvaient continuer leur combat en toute impunité, soutenus par des avocats qui trouvaient là une activité lucrative. Nous avions donc pris soin de faire relire deux fois cet essai, et nous n’ignorions pas quels angles d’attaque les nationalistes risquaient de trouver.
Au bout de trois mois, nulle assignation. Seul Alan Stivell menaçait d’agir en justice si la photo qui le représentait en scout Bleimor (scouts nationalistes intégristes rattachés aux scouts d’Europe) n’était pas supprimée. Là encore, vérité glorieuse à l’ouest, atteinte diffamatoire à l’est : Stivell, qui avait été heureux de publier ce cliché dans un article à sa gloire, se sentait soudain atteint dans son honneur et sa considération.
Le premier tirage du livre étant épuisé, nous avons décidé en décembre de procéder à une réédition en supprimant la photo. C’était dommage : elle montrait des scouts Bleimor en tenue évoquant celui des miliciens de la grande époque ; à la tête de Bretons en costumes folkloriques défilant sous un vaste gwenn-ha-du, ces scouts (âgés, comme Stivell, d’une bonne vingtaine d’années – il ne s’agissait pas d’innocents bambins enrôlés dans les scouts identitaires par des parents d’extrême droite) portaient une gigantesque croix. C’était le juste pendant de l’image que j’avais choisie pour couverture du livre ; tout y était : le catholicisme intégriste en arrière-fond de la revendication ethniste telle qu’issue des origines du nationalisme et exprimée par le répertoire de Stivell – ainsi, entre autres, « An Alarc’h », chant de guerre vibrant de haine de la France – un chant inventé par le vicomte Hersart de la Villemarqué, le père du nationalisme breton :
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“Din din daon ! dann emgann ! dann engann !
O din din daon ! dann engann a eann ! ”
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“Heureuse nouvelle aux Bretons, malédiction rouge aux Français”,
“Le seigneur Jean est de retour, il vient défendre son pays ; nous défendre contre les Français qui empiètent contre les Bretons”,
“Tenons bons, Bretons ! Ni merci ni trêve ! Sang pour sang ! ”,
“Les loups (de Bretagne) à l’odeur des Français hurlent de joie”
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“Din din daon ! au combat ! au combat !
O din din daon ! je vais (ou plutôt : j’on va[1]) au combat ! ”
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Cette photo était une belle image de la reconquête de l’Europe chrétienne via l’Europe des ethnies voulue par Dieu – le projet même du fondateur de l’Institut de Locarn – et le néobardisme de Stivell se condensait là en une image qui prêtait à réfléchir : on conçoit qu’il ait pris conscience qu’elle était peu compatible avec l’image de gauche qu’il entendait se donner.
Il y a donc deux premières éditions du Monde comme si, l’une avec scouts Bleimor, et l’autre sans.
Cela n’a d’ailleurs pas calmé Stivell qui a continué pendant des années à s’acharner contre ce livre tout en jurant ne pas l’avoir lu.
Je lui ai opposé une réponse argumentée (qui offre un prolongement au Monde comme si), ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre ses attaques et se poser en victime (première caractéristique du militant breton).
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Le livre, peut-être n’est-il pas inutile de le rappeler, n’a bénéficié d’aucun article, d’aucune émission, d’aucun compte rendu en Bretagne (au total, un entrefilet dans Le Télégramme, prudemment accompagné d’un article louant un roman d’une militante nationaliste. Les comptes rendus rédigés par deux journalistes, l’un pour Ouest-France, l’autre pour ArMen, ont été interdits par les rédactions).
Je parle, bien sûr, d’articles dans les médias non directement inféodés au mouvement nationaliste. Dans la presse nationaliste, en revanche, on a assisté à un véritable déchaînement. Pas tout de suite : les militants ont adopté dans un premier temps la stratégie de l’omerta, ce qui m’a valu de passer quelques mois de tranquillité – mais un article dans Le Monde des livres, un autre dans L’Express, une rencontre à l’université de Brest, organisée par des militants syndicalistes, rencontre à laquelle insistaient plusieurs centaines de personnes… et, subitement, dans les jours qui suivent, c’est un déferlement simultané d’attaques (qui n’ont jamais cessé depuis). Non contre le livre, d’ailleurs, car jamais aucun militant n’a pu y trouver d’erreurs factuelles, mais contre ma personne, ma carrière, mes notes d’inspection, mon caractère, mes mœurs, mes fréquentations, mes liens avec l’extrême droite, l’extrême gauche, les complotistes, les lambertistes, les staliniens, les trotskistes, les islamistes, les sionistes, les homophobes, les francs-maçons, les juifs… Quel portrait d’un « mouvement breton » qui se proclame démocrate et n’a de cesse de défendre les droits de l’homme (breton) ! Extrême droite et extrême gauche employant le même langage, le même vocabulaire machiste, comme si ces militants chassaient en meute…
Pour arrêter la meute, il était alors encore utile de faire appliquer le droit de la presse. Condamné pour diffamation, le journal nationaliste Bretagne-hebdo fondé par des terroristes, disparaît mais son rédacteur en chef est immédiatement récompensé : décoré du Collier de l’Hermine par l’Institut culturel de Bretagne (donc sur fonds publics), il pavoise.
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À compter de la parution du Monde comme si, je disparais des médias bretons, des librairies, des salons et autres lieux où se célèbrent le culte et la vente du livre. Je suis un auteur absent. Mais, croyez-le bien, la censure n’existe pas en Bretagne, le vice-président à la Culture (lui-même autonomiste) s’en porte garant…
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Malgré tout, grâce aux lecteurs, le livre continue de vivre. Il passe en collection de poche et connaît encore plusieurs tirages. Soudain, on décide de changer les couvertures des livres de la collection Babel.
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La photo perd son sens…
Ça ne fait rien, même sous sa nouvelle couverture, le livre interdit continue de se vendre grâce à la ténacité de libraires héroïques.
Ainsi le Virgin de Rennes, hélas, disparu depuis, qui a lutté pendant des années contre le vandalisme systématique exercé par les militants bretons…
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Or, voici que Sophie Duc, la directrice de la collection Babel, me propose de revoir les fichiers de mes éditions pour qu’ils soient disponibles en cas de retirage et permettent de donner des éditions corrigées. Une amélioration considérable… Portée par l’optimisme, je lui soumets le problème de la couverture du Monde comme si, et, presque aussitôt, je vois arriver une couverture conforme à l’original. Ô bonheur ! Merci, Sophie !
Si ce livre vit, c’est grâce aux lecteurs qui continuent de le faire circuler, grâce aux libraires qui continuent de le diffuser, y compris en affrontant invectives et menaces : qu’ils en soient tous remerciés.
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[1] Je ne vois pas comment traduire autrement « a ean ».
Un bonheur ne venant jamais seul, je découvre que Véronique Hotte, qui était présente à la rencontre du 18 juillet à Lanrivain, n’a pas seulement consacré un article à la traduction du Maître et Marguerite mais toute une page de son blog hotellotheatre (toujours passionnant) à la création des éditions Mesures.
Il faut dire qu’elle a été la première (et la seule) à accompagner l’expérience qui a été à l’origine de cette création. En parcourant son blog, je trouve un article précis, bien informé et plein de bienveillance sur Incandescence, le premier spectacle français-russe-breton que j’avais écrit à partir des textes d’Assomption le premier volume de Sur champ de sable. C’était en 2016… Je pensais que les spectateurs partiraient tous, accablés de voir ce spectacle qui ne ressemblait à aucun autre, et en plus sous un soleil de plomb, mais ç’a été tout le contraire et c’est en écoutant les spectateurs venir me parler et me demander les textes que j’ai soudain réalisé qu’il fallait les publier avant qu’ils ne disparaissent avec moi. Mais où et comment ? Je n’ai jamais cherché un éditeur et je n’en connaissais aucun qui puisse publier ensemble quatre livres atypiques.
Par la suite, Avrila connu un succès plus grand puisque le spectacle a été donné au TGP, au Théâtre du Nord à Lille et va l’être à Calvi, puis au TNP (et, je m’en rends compte, l’article de Véronique Hotte reste, une fois de plus, le seul à avoir rendu compte de ce dépaysement).
En fait, le meilleur souvenir que nous gardions, Annie, Hélène, André et moi, est celui de Brumaireà Burthulet, voilà deux ans.
Il restait, pour clore la série, à donner Vigile de décembrecomme conclusion d’une synthèse des quatre spectacles, mais le confinement, puis la disparition de Jean Schalit ont tout remis en cause. Il était d’autant plus normal de lui rendre hommage en revenant sur cette aventure peu banale et qui n’est pas terminée : la création des éditions Mesures a été l’occasion d’ouvrir une autre zone de liberté, plus précieuse que jamais.
Ce sont les rencontres avec le public qui nous ont décidés à franchir le pas et publier, non pas, comme je le pensais, une petite brochure pour accompagner les spectacles, mais de vrais livres, et, qui plus est, numérotés, signés et dédicacés à la demande. Les quatre livres de Sur champ de sableont été vite épuisés, problème que nous n’avions pas envisagé, et nous en sommes à préparer notre troisième saison, toujours sur abonnement, système amap. Drôle d’aventure… suivie avec une constance vraiment touchante par Véronique Hotte qui n’en sera jamais assez remerciée.