Il faut bien du courage, de l’optimisme et de l’obstination pour travailler au théâtre en ce moment. Les Fables de Marie de France devaient donner lieu à un spectacle cette saison (pour la première fois au monde car, pour le spectacle donné à la Comédie française, j’avais associé Lais et Fables), et les répétitions se déroulent en ce moment, mais les représentations prévues pour les scolaires pourront-elles avoir lieu les 4 et 5 mars ? Ce n’est pas certain. Quant à la représentation tout public du 6 mars, elle aura bien lieu, mais à huis clos, à la Ferme de Bel Ébat, Théâtre de Guyancourt… Affaire à suivre…
En tout cas, voici le dossier du spectacle mis en scène par Aurore Evain.
Dans la suite du Monde comme siet de mes recherches sur le lobby patronal breton, plus puissant que jamais, j’ai été amenée à participer à une mise au point sur le rôle de la société Yves Rocher dans l’arrestation d’Alexeï Navalny et de son frère Oleg.
On pourra trouver cet article sur la page Facebook d’André Markowicz.
Pour ceux qui ne sont pas sur Facebook, voici un résumé de l’affaire.
Je ne reviens pas sur l’héroïque combat des frères Navalny contre la dictature poutinienne et ses malversations. Son film sur le château de Poutine a été vu par plus de cent millions de personnes dans le monde. Or, la parodie de procès qui vient d’avoir lieu suite à son retour volontaire en Russie résulte d’une plainte de la société Yves Rocher.
Je ne m’en serais pas occupée sans le communiqué, que l’on dirait traduit du russe, de cette société qui ose assurer au moment où elle publie ce communiqué pour soutenir le pouvoir russe : « Nous ne nous engageons jamais, sous aucune forme, au débat politique ».
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BREF RÉSUMÉ DES FAITS
— Yves Rocher, membre du Club des Trente, lobby fondé en 1988 dans son château, décide en 1991 de commercer avec la Russie. Yves-Rocher-Vostok prospère au point que le marché russe devient le deuxième marché de l’entreprise.
— En 2008, il sollicite l’entreprise des frères Navalny pour assurer la livraison d’une partie des commandes de ses clients.
— En 2012, Bruno Leroux, directeur général de la filiale russe, porte plainte. Il dénonce une surtarification des tarifs pratiqués mais, lors du procès, il assurera que les tarifs étaient inférieurs à ceux du marché et qu’il serait prêt à signer à nouveau le même contrat…
— En 2014, comme il fallait s’y attendre, les frères Navalny sont condamnés (voir à ce sujet l’article de Benoît Vitkine dans Le Monde). Oleg est condamné à trois ans de prison sans sursis, Alexeï à trois ans de prison avec sursis mais obligation de se présenter deux fois par semaine à la police. Peu après, Leproux quitte le groupe Yves Rocher.
— En octobre 2017, la Cour européenne des Droits de l’Homme invalide le jugement et condamne la Russie à payer des dédommagements aux frères Navalny.
— En 2018, ces derniers décident de porter plainte contre Yves-Rocher pour diffamation. Le tribunal de Vannes signe une ordonnance de rejet. Ils font appel : le tribunal de Rennes a toujours le dossier en attente…
— En 2020, Alexeï Navalny est empoisonné.
— Sauvé de justesse, soigné en Allemagne, il décide de rentrer en Russie le 17 janvier. Du fait qu’il ne s’est pas soumis à son contrôle judiciaire (puisqu’il était à l’hôpital), il est arrêté.
— C’est alors qu’Yves Rocher, publie un communiqué de presse mensonger puisqu’il passe sous silence le jugement de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce communiqué allègue que l’entreprise est apolitique dans le temps même qu’elle intervient de manière à soutenir l’accusation contre Navalny.
— Alexeï Navalny est condamné à trois ans et demi de prison ferme.
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Or, voici la synthèse de l’affaire telle que la présente la presse régionale :
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C’est ce spécimen d’information locale qui m’a amenée à réagir.
Jour après jour, depuis des années, les médias bretons, qui font partie du lobby patronal de Produit en Bretagne, déversent leur propagande à la gloire des bons patrons bretons. En l’occurrence, cet article n’a rien que de banal. C’est peut-être parce qu’il s’efforce d’être informatif qu’il est plus écœurant que les purs articles apologétiques. On apprend (en gros titre) que ce pauvre Yves Rocher est inquiet car il se trouve « au cœur de la tourmente »… Provoquée par qui ? Lui-même ? Allons donc ! « Le groupe Yves-Rocher se défend de commenter une affaire en cours ». Son communiqué ne la commente pas du tout, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Enfin (c’est la conclusion, en gras, bien visible) l’entreprise est « totalement apolitique ».
Une petite mise au point s’imposait puisque les médias bretons sont muselés et que le lobby breton n’a droit, hors de Bretagne aussi, qu’à des articles apologétiques.
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L’art du masque
Le Club des Trente dont Yves Rocher a été le fondateur avec Jean-Pierre Le Roch, fondateur également d’Intermarché et de l’Institut de Locarn, s’est créé dans le but de faire pression sur les pouvoirs publiques pour émanciper la Bretagne des lois pesantes de la France républicaine. Il a développé des projets, comme celui d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui ne se comprennent que replacés dans le contexte de faire de la Bretagne, avec Nantes pour capitale, une eurorégion autonome. Cet aéroport international était une ineptie, sauf à considérer qu’il était indispensable à la future nation. L’association Produit en Bretagne a été créée par l’Institut de Locarn et compte près de 500 membres actuellement.
C’est dans les locaux d’Yves Rocher à La Gacilly qu’elle a tenu sa dernière assemblée générale. Bien que ce ne soit assurément pas une partie de plaisir, je ne peux que vous inviter à regarder la vidéo qui a été réalisée à cette occasion et mise en ligne par les militants nationalistes de l’Agence Bretagne Presse : on y voit les rédacteurs en chef d’Ouest-France et du Télégramme se congratuler sous la présidence de Loïc Hénaff, donné pour incarnation de l’écologie bretonne, d’ailleurs sanctifiée par le climatologue breton Jean Jouzel, qui en tant que climatologue authentiquement breton vient cautionner le lobby de l’agro-alimentaire et de la grande distribution en le félicitant de ce qu’il fait pour le climat, le tout avec la bénédiction du président du conseil régional (théoriquement socialiste), du président du Médef breton et du président du Crédit mutuel Arkéa, du fondateur de la Breizh Marketing Akademy et, bien sûr, de Jacques Rocher, heureux d’avoir des « racines fortes ».
Cette grand-messe se termine par un hommage à Yves Rocher, puis de touchants adieux associant… René Char, le résistant, à ce qu’il aurait assurément le plus haï. C’est ce qu’on appelle la « Culture Breizh » : inféodée au capitalisme à relents ethnorégionalistes ? Allons donc ! La culture, c’est la liberté, la presse est est libre, on vous en administre la preuve, et le château d’Yves Rocher est accueillant.
Preuve de l’ouverture de la Bretagne sur le monde, la gare de Rennes, par exemple, gigantesque bâtiment récemment inauguré par Jean-Yves Le Drian sous le label gare européenne, nous offre un parcours guidé d’ Yves Rocher à Hénaff. L’espace public ainsi colonisé offre aux yeux éblouis des bons Bretons l’image de leur identité, elle aussi labellisée sous les dehors d’une prospérité conquérante. Ceux qui ne sont pas fiers d’être Bretons sont des jacobins attardés, qualifiés d’« antibretons », voués aux gémonies et, si possible, au silence.
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Rappelons tout de même que, directeur des relations extérieures d’Yves Rocher, Guy Plunier, pilier de l’Institut de Locarn, était à l’origine du Club de Bretagne, et du Cercle des Nations. Lié aux réseaux de l’Opus Dei, il fut le successeur d’Yves Rocher au conseil régional. Maire de sa commune, comme son fils après lui, et conseiller régional, Yves Rocher était en relation avec les réseaux de la droite identitaire appuyée sur une volonté de reconquête de l’Europe chrétienne. En parfait accord donc avec les réseaux russes qui se mettaient en place et qui, à présent, font de la Russie de Poutine le soutien des droites extrêmes. Le communiqué de l’entreprise n’a donc pas été rédigé par hasard, à cette date précisément.
Reste une petite consolation : il n’est vraiment pas difficile de se passer des produits Yves Rocher. Boycotter Produit en Bretagne amène à renoncer à ce qui fit jadis l’agrément des pique-nique dans les bois, voire une vareuse, une andouille ou un saucisson, mais faire une croix sur le glow highlighter, le mascara feel stronger, la palette trio regard catch the magic (en breton dans le texte) ne provoque pas de mélancolie.
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Rappelons au passage la pétition en ligne contre l’installation d’un hôtel de luxe à l’île Berder, vendue par Yves Rocher, grand défenseur de la Nature, comme on le sait, au groupe Giboire. La manifestation contre le projet a eu lieu le 17 janvier, le jour même de l’arrestation d’Alexeï Navalny.
Hélas, triste illustration de la situation en Bretagne, ont été bombardés présidents du collectif à l’origine de la pétition le pire barde nationaliste, Gilles Servat, la pire romancière inféodée au lobby breton, Irène Frain, et le navigateur Eugène Riguidel, constant soutien des pires nationalistes.
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Pour être bien assuré que le soutien du conseil régional à Produit en Bretagne est resté constant, il est possible de lire le compte rendu de la « première journée professionnelle Culture et Économie » de Produit en Bretagne à La Gacilly en octobre 2021.
Soumettre la culture à l’identitaire et l’identitaire au pouvoir de l’argent pour mieux imposer son pouvoir : la méthode de Poutine a fait ses preuves.
Première lecture de L’Oiseau loup aujourd’hui au TNP… Extraordinaire expérience par temps de confinement… Même arrêtés, on, avance, on avance…
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Et demain, ce sont les livres de éditions Mesures et Le Maître et Marguerite qui sont présentés à la librairie de Garin de Chambéry, de 14 à 16 heures pour respecter le couvre-feu (réservation obligatoire auprès de la librairie).
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Ce sont des actes de résistance et des témoignages de solidarité si précieux par les temps qui courent…
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Message de Marie-Pierre, la libraire, sur Facebook, après la rencontre…
Le journal Bretage-Ile-de-France consacre une pleine page à « l’année Luzel », l’année du bicentenaire de la naissance d’un folkloriste qui aura bien dérangé les nationalistes, l’a payé et continue de le payer très cher.
Au cours de l’année passée, j’ai publié deux volumes de la collection Coquelicot magnifiquement illustrés par Pierre Favreau et qui sont parus au moment même où toutes les librairies fermaient…
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…Puis, avec André Markowicz, la traduction de La Fille du capitaine qui semble avoir aussitôt disparu…
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…Encore avec André Markowicz, Le Maître et Marguerite, qui nous a valu un nombre stupéfiant d’articles élogieux mais toutes les rencontres avec le public ont été annulées par le deuxième confinement…
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…Les Contes de Bretagne semblaient voués à disparaître puisque leur parution a correspondu avec le début du deuxième confinement mais, miracle dû aux lecteurs des éditions Mesures, le tirage est en voie d’épuisement…
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…Armand Robin ou le mythe du Poète commence tout juste son difficile chemin dans les broussailles de la vieille année….
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L’année nouvelle commence par un article plein de bienveillance sur ma dernière traduction d’un album de de Sendak — un album paru en 2019 car le volume prêt à paraître en 2020 a été annulé au dernier moment par l’agent de Sendak au motif que l’on venait de retrouver un album original dont les couleurs étaient différentes de celles qui étaient jusqu’alors imposées : à l’éditeur français de refaire sa maquette… Ainsi commençait l’année climatérique. Nous étions loin de nous douter de ce qui nous attendait.
Et j’allais oublier le septième et dernier album des Mistoufles, mis en suspens au moment où il devait être enregistré… Puisse-t-il voir le jour en 2021…
Les éditions Garnier m’annoncent la parution de l’essai qui met fin à une saga éditoriale que j’ai déjà résumée ici.
Mes recherches ayant été pillées, détournées, puis plagiées pour être détournées, ce qui m’a obligée à engager une procédure et faire condamner ma plagiaire, Catherine Coquio m’a proposé de publier ma thèse d’État en la réactualisant, ce qui aurait le mérite de rendre plus difficile la contrefaçon.
C’était un bon argument et j’en ai profité pour développer la partie de ma thèse que j’avais dû abandonner car, les textes d’Armand Robin volés chez Gallimard ayant été restitués peu avant ma soutenance, je m’étais trouvée obligée de faire un archivage et de reconsidérer sous un nouveau jour toutes les hypothèses que j’avais formulées.
Procédant à cet archivage, j’avais découvert que les archives avaient été démantelées de manière à fabriquer un volume hétéroclite intitulé Le Monde d’une voix. Or, pour ce faire, les éditeurs avaient détruit un manuscrit intitulé Fragments. Il m’avait semblé plus utile de préparer l’édition de ces Fragments que d’étudier la fabrication du Poète, ce qui, à l’origine, devait faire l’objet du dernier chapitre de ma thèse.
L’intérêt de ce chapitre fantôme s’est trouvé réactualisé par la réédition du Monde d’une voix cependant que les Fragments passaient au pilon. Ainsi, et alors même que Robert Gallimard faisait partie de mon jury, le manuscrit miraculeusement retrouvé passait-il à la trappe pour laisser place à une aberration textologique indéfendable mais qui avait le mérite de mettre en œuvre le mythe du Poète.
Du moins était-il intéressant de le voir se constituer par agglomération de lieux communs visant in fine à faire passer à la trappe l’œuvre atypique de Robin, victime de son avatar.
C’est donc la fin d’un travail commencé au lycée et qui a visé à faire connaître une expérience de poésie poursuivie envers et contre tout par des voies non frayées.
J’avais décidé d’intituler Fabulettes le dernier disque des Mistoufleset nous nous proposions de le dédier à Anne Sylvestre. Hélas, le confinement a fait que nous avons dû reporter l’enregistrement et elle n’est plus de ce monde…
Reste sa voix et ces inoubliables fabulettes auxquelles nous ne finirons jamais de rendre hommage, comme le dit David… Puisse ce dernier disque, au terme d’une si belle expérience, être aussi un témoignage de reconnaissance.
Faire paraître un livre quand il n’y a plus de librairie ouverte est un curieux pari sur l’avenir mais nous voulions que ces Contes de Bretagne voient le jour comme si de rien n’était. Nous devions faire des rencontres en novembre et décembre pour le présenter (ainsi que la deuxième saison des éditions Mesures) et ces rencontres n’auront sûrement pas lieu… Tant pis, le livre existe et il est possible de le commander sur le site des éditions Mesures ou dans les librairies amies. Les abonnés, bien sûr, le reçoivent à domicile. Pas de diffusion sur amazon, pas de service de presse, juste une édition numérotée et signée, avec une dédicace. Et, cette fois, un livre que l’on peut écouter.
Les éditions Mesures ayant l’immense l’avantage de me laisser totalement libre de concevoir un livre comme je le veux, sans souci de rentabilité et sans injonction d’avoir à tenir compte de ce que le lecteur lambda, le redoutable lecteur lambda, universel fléau, est supposé attendre, j’ai décidé, en quelque sorte, de faire entrer le lecteur dans l’atelier du conteur.
J’ai donc plongé dans les carnets de Luzel, et j’en ai extrait les notes de terrain : celles du conte de « L’homme juste », matériau exceptionnel puisque Luzel en a tiré plusieurs versions ; puis un autre conte exceptionnel, « Le lièvre, le renard et l’ours » qui est, dirait-on, pris à l’état natif, sous la dictée de deux mendiantes ; ensuite, un conte qui, chose exceptionnelle encore, n’existait qu’en version bretonne dans les manuscrits de Luzel, et enfin un grand conte merveilleux, « La princesse de Tréménézaour » écrit en français par Luzel mais jamais repris en volume. Cette petite fabrique du conte m’a permis de rendre justice à une grande oubliée, Perrine, la sœur de François-Marie Luzel qui avait la charge de collecter pour lui contes et chansons.
Lorsque je me suis lancée dans cette recherche sur le conte qui allait m’amener à éditer les œuvres de Luzel sous un violent tir de barrage des militants nationalistes, ma question était celle du folklorisme ou plus précisément de l’élaboration et de l’usage qui était fait du texte folklorique. L’Affaire Luzel[1] a eu, faute de mieux, l’avantage de le montrer : la parole du peuple, récrite, détournée, travestie, est employée comme instrument destiné à promouvoir les origines d’une nation à faire advenir. Le premier à avoir dénoncé cette fabrique du folklore a été Luzel qui a été mis au ban pour avoir osé dire la vérité sur le Barzaz Breiz.
Découvrant ses archives à la bibliothèque municipale de Rennes, j’ai été surprise de l’état de déshérence où elles étaient laissées : j’ai passé des semaines à les archiver (archivage que j’ai offert après avoir soutenu ma thèse), ce qui m’a permis de faire un plan d’édition méthodique. Cette édition, parue aux Presses universitaires de Rennes, compte 17 volumes (à quoi s’ajoute la biographie de Luzel). On peut encore les commander chez l’éditeur. Si elle est parue, malgré la concurrence instaurée par les éditeurs nationalistes à la solde de mon ex-directeur de thèse, c’est grâce au soutien du entre national du Livre qui l’a classée au nombre des éditions majeures du patrimoine français. En Bretagne, non seulement elle n’a eu aucun soutien mais les aides de la région sont allées à l’édition falsifiée des contes donnés pêle-mêle, toutes les notes supprimées, innommable édition visant à court-circuiter l’édition scientifique en cours aux Presses universitaires de Rennes. L’édition des PUR devait compter vingt-cinq volumes : elle s’est arrêtée sur la publication d’une pièce de théâtre populaire miraculeusement montée par Madeleine Louarn au théâtre de Morlaix — autre tentative pour faire sortir la littérature orale du ghetto dans lequel elle est enfermée.
Après avoir élargi ma recherche aux grandes collectes du domaine français et publié les œuvres bien souvent oubliées de folkloristes de nombreuses régions de France pour situer la recherche de Luzel dans un ensemble plus vaste, je suis revenue à l’origine de cette recherche, à savoir la manière de transmettre le conte sans en trahir la poésie.
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En travaillant avec des enfants et des comédiens, j’ai proposé une sorte de méthode à partir de laquelle j’ai publié des CD qui ont été vite épuisés. Comme le livre est devenu un produit éphémère, il m’a été possible de reprendre mes droits et de donner à entendre ces contes, cette fois avec le texte qui ne figurait pas avec l’enregistrement.
Ce livre est donc une synthèse de mes recherches et un adieu au domaine du conte. Il se trouve qu’il correspond au bicentenaire de la naissance de Luzel, bicentenaire qui risque d’être passé sous silence ou d’être l’objet de commémorations consternantes, cependant que des fonds sont débloqués massivement pour célébrer celui que Luzel appelait « le grand lama de la ménagerie celtique », le patron du « clan des bardes et des cléricaux », le faussaire, l’auteur du Barzaz Breiz. En 2021, en effet, c’est La Villemarqué qui sera célébré, ses archives achetées à prix fort étant valorisées par des conférences, des travaux de recherche et une grande exposition à sa gloire. Le « père de la nation bretonne », qui a détourné la chanson populaire pour en faire un instrument de haine contre la France est ainsi promu par les institutions françaises, indécence contre laquelle nul ne proteste plus. Eh bien, si. Et ce livre est d’abord une protestation.
Pour ceux qui le souhaiteraient, je signale qu’en 1995 j’ai réalisé une exposition qui est disponible et peut être présentée gratuitement comme elle l’a été en son temps dans les plus grandes bibliothèques de Bretagne.
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Le poids de la censure s’étant par la suite considérablement alourdi, cette exposition a été supprimée du catalogue des expositions destinées à être mises à la disposition du public. Elle aurait été détruite si je ne l’avais pas prise en charge et remise à un ami bibliothécaire qui ne demandait pas mieux que de la faire vivre mais a été, à son tour, ostracisé. Ce simple fait parle mieux, me semble-t-il, que de longs développements sur l’état de la culture en Bretagne.
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[1] En bref, mon directeur de thèse, un nommé Pierre Denis dit Per Denez, apprenant que je compte publier les carnets de Luzel en respectant leur orthographe, résilie sa direction, se met à éditer massivement les œuvres de Luzel d’après des copies fautives pour concurrencer mon édition et, si possible l’empêcher de paraître. Il obtient pour ce faire les aides de la Région via l’Institut culturel de Bretagne qu’il dirige et, détournant un courrier par lequel je proteste, m’intente un procès en diffamation qu’il perd, non sans avoir mobilisé le ban et l’arrière-ban des militants bretons. À titre de sanction, l’université de Rennes 2, dont il concurrence les presses, lui retire l’éméritat en juin mais le lui restitue en septembre sous la pression des nationalistes. Entre temps, j’ai découvert et traduit les textes racistes et antisémites qu’il a réédités sur fonds public. Lorsque l’université publie un recueil de Mélanges en l’honneur du professeur Per Denez préfacé par Edmond Hervé, maire socialiste de Rennes, André Markowicz et moi adressons au président de l’université une lettre ouverte par laquelle nous exposons les motifs de notre démission (avec le soutien du directeur de notre département, le département des Arts du spectacle, Hervé Joubert-Laurencin, et des enseignants du département, dont le philosophe Bruno Tackels, qui espèrent en vain une réponse de la présidence). C’est à partir de cette affaire que j’ai écrit Le Monde comme si.
Il est mort hier, au bas de l’escalier de son immeuble, sans que personne à l’hôpital où il avait été transporté se soit soucié d’informer quiconque. C’était le plus grand poète russe pour enfants, le plus grand traducteur de poésie, le plus drôle, le plus gentil, le plus généreux, le plus pareil à un personnage sorti d’un album de Sendak, le plus pareil à lui-même jusque dans l’incongruité la plus inattendue. J’ai déjà parlé de lui ici. Il était l’enchanteur des enfants qu’il faisait venir pour participer à son émission de poésie qui rassemblait deux millions d’auditeurs autour du poste chaque lundi. Puis, un lundi, venu pour faire son émission, il a trouvé porte close. Le studio avait été vidé, ses affaires jetées. Plus de poésie : business et propagande.
C’était triste, mais comment ne pas rire quand il nous faisait le récit de son éviction ?
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Il était venu à Rennes avec Léna Baïevskaïa pour traduire des contes de Luzel et des ballades du Barzaz Breiz : c’était aux pires moments de la fin de l’URSS et nous avions pensé que nous pourrions faire de la poésie le biais d’échanges qui aideraient les uns à survivre et les autres à vivre… Merveilleux échanges, merveilleuses traductions, là encore arrêtés. Plus de poésie : business et propagande. Cette fois, la mafia était la petite mafia nationaliste bretonne hostile à tout ce qui lui échappait.
C’était triste, mais comment ne pas rire quand il nous faisait le récit des fureurs subitement déchaînées ?
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Il n’empêche que les premières traductions de contes de Luzel en russe ont paru grâce à lui (et ont même été rééditées en édition de luxe dans une prestigieuse collection — qui aurait pu le croire ?)…
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et que ses traductions du Barzaz Breiz, même interrompues, auraient pu donner lieu à des recherches passionnantes sur les enjeux de la tradition populaire en Europe — passionnantes mais gênantes…
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Il était déjà ailleurs, heureux de poursuivre mille et un projets qui attendaient depuis si longtemps qu’il puisse enfin les rattraper. Je me souviens, parmi tant d’autres, de sa traduction des chansons françaises illustrées par Boutet de Monvel…
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Quand je lui ai dit que c’était un chef d’œuvre, il a ri comme un gamin de huit ans. Tchoudetstvo !
Pour entendre sa voix qui dit trois de ses poèmes pour enfants, voici un lien (mais il faut passer une annonce publicitaire — business et propagande… Hélas, il n’est plus là pour rire…).
J’ai mis en ligne sous le titre « La parole est à Micha » un entretien qui n’avait jamais été publié, autre façon de faire entendre, malgré tout, sa voix.
En 1943, Monjarret recrute dans les colonnes du journal collaborationniste Ololê
En 2011, lorsque le maire de Plescop a décidé de donner le nom de Polig Monjarret à son nouveau collège, de nombreuses associations ont rédigé un communiqué pour protester ; un travail d’information au sujet de ce collaborateur des nazis m’a été demandé et j’ai rédigé un essai qui peut être lu en ligne sur le site du Groupe Information Bretagne où un long dossier sur cette affaire a été rédigé.
Heureuse conclusion de cette bataille (aussi violente que la débaptisation de la rue Youenn Drezen, autre nationaliste breton collaborateur des nazis) : le collège de Plescop a pris le nom d’Anne Franck.
En 2014, la bataille a repris à Guingamp où les autonomistes de l’UDB alliés aux Verts entendaient donner le nom de Monjarret à une rue. Ayant fini par réfléchir, les élus ont voté contre.
Par la suite, j’ai amélioré ma connaissance du parcours de Monjarret en étudiant sa prétendue « déportation » (en fait, une exfiltration par la Gestapo avec les SS du Bezen Perrot).
Or, un film à la gloire de Monjarret vient d’être réalisé et se trouve diffusé partout. Après M6, c’est Tébéo, puis des dizaines de salles dans toute la Bretagne qui le diffusent…
Alors que le film de Vincent Jaglin, La Découverte ou l’ignorance, Grand Prix du documentaire historique, n’a pu être projeté que deux fois en Bretagne, ce médiocre film de propagande bénéficie du soutien de toutes les institutions et de tous les médias. Vincent Jaglin, je le rappelle au passage, a filmé le SS Miniou expliquant qu’en fuite en Allemagne il partageait sa chambre avec Monjarret (ce Miniou faisait partie des tortionnaires du Bezen Perrot qui ont assassiné les jeunes résistants au cours de la rafle que je raconte dans Miliciens contre maquisards).
Allons, à quoi bon protester encore ? Écoutons plutôt « La complainte des nazis » et remercions Pierre Dac qui la chantait sur Radio-Londres au moment où Monjarret s’enfuyait avec ses amis du Bezen.
Miliciens, mouchards, tristes apôtres, Cette complainte est également la vôtre, Vous les traîtres, les vendus, les vomis, Vous les lâches, elle est la vôtre aussi.