Maurice Sendak

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Moi qui avais décidé de ne plus faire de traductions, voilà que les éditions MeMo me proposent de traduire douze livres de Maurice Sendak. Comment refuser ? Maurice Sendak, Max et les maximonstres…

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Ce que je découvre, c’est Sendak auteur et illustrateur de titres peu connus. La fenêtre de Kenny, et Loin, très loin… toujours sur la solitude de l’enfance. Il me semble que tous ces titres forment une fresque où les personnages reviennent, ainsi le cheval, toujours lié au rêve. Une nouvelle aventure.

 

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Armand Robin

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.Le 11 mars, inauguration de l’exposition des photographies d’Armand Robin organisée par le centre d’art GwinZegal.

L’histoire de ces photographies est assez simple : en 1937, de retour à Rostrenen, Armand Robin entreprend de photographier la ferme du Ouesquié, son père, ses voisins, les herbes, les chevaux. Il me tiendra probablement plus un appareil photo par la suite mais certains des Fragments qu’il écrit à partir de ce moment laissent à penser qu’ils sont nés de ce regard posé sur un monde qu’il avait quitté — pour le faire vivre par le long périple à travers les poésies du monde entier.

Voilà quelques années, j’avais publié ces photographies en les mettant en relation avec certains des fragments retrouvés après la mort d’Armand Robin.

.Le livre est paru sous le titre Le cycle du pays natal. Il a connu deux éditions. C’est le seul des six volumes de textes de Robin que j’ai donnés aux éditions Ubacs devenues La Part commune qui soit encore disponible.

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Le parti-pris de Jérôme Sother et de tous ceux qui ont travaillé à cette exposition a été de d’accorder à ces photographies d’amateur le plus grand soin et, loin de les considérer comme documents, de leur donner leur espace en les mettant en relation avec quelques textes — peu de textes, juste quelques fragments que j’ai choisis parmi ceux que j’avais archivés aux éditions Gallimard parce qu’ils formaient, en relation avec les images, une histoire sans histoire, le récit d’une perdition.

Travaillant sur ces images pour GwinZegal, je me suis rendue compte que celles que je préférais étaient souvent les plus manquées.

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Elles m’étaient plus proches d’abord parce qu’elles me rappelaient des souvenirs d’enfance, la vieille Madame Hénaff dont je retrouve là le visage, le sourire d’un petit voisin, le chaume sur les poteaux de bois, les herbes de la prairie en pente…

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Et puis parce qu’elle faisaient écho à ces fragments si simples, si étrangers à la « poésie pour poètes » que Robin disait vouloir fuir et a, de fait, réussi à fuir le temps de les écrire et de traduire certains poèmes…

Ultime miracle : après sa mort, un ami se rend dans son appartement et sauve, extraits de montagnes de papiers, ces quelques manuscrits et ces quelques clichés.

Archivant ces pages dactylographiées, de plus en plus raturées, tachées, déchirées, j’avais l’impression de rendre vie à ce qui avait permis à Robin, plongé dans le monde de la littérature, d’en réchapper, d’une manière ou d’une autre…

De même, peut-être l’exposition offre-t-elle, bien paradoxalement, une manière d’échapper aux clichés par les clichés…

En tout cas, le travail à partir des manuscrits et des images s’inscrit dans un souci de rigueur qui pourrait ouvrir sur une recherche nouvelle.

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Dostoïevski

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Le dernier tome des œuvres romanesques de Dostoïevski en Thésaurus vient de paraître. Pendant onze ans, j’ai relu toutes ces traductions. Daredjane, la mère d’André, relisait pour vérifier d’après le texte russe et renvoyait le manuscrit avec ses annotations en russe ; moi, je reprenais après intégration de ses corrections et je corrigeais sur un nouveau tirage ; ensuite, mes corrections étaient ou non intégrées, ce qui donnait un troisième manuscrit ; puis il y avait le stade de la relecture par l’éditeur, Hubert Nyssen, ou par Sabine Wespieser qui dirigeait alors la collection Babel. Et quand le premier livre est paru, le traducteur a reçu par Interflora un superbe bouquet de fleurs de la part de son éditeur. Autre temps, autres mœurs… Nous avions alors tous l’impression de participer à une expérience nouvelle, une exploration des voies non frayées de la littérature, par la traduction, une expérience de poésie.

Ce travail était tout à fait héroïque de la part de Daredjane qui détestait Dostoïevski et ne manquait jamais de souligner les incohérences de ses romans d’un дурак bien senti. Quant à moi, je ne cessais pas de rectifier, en sorte que mes corrections auraient pu offrir (d’après le traducteur) une version de Dostoïevski conforme à la doxa française et permettant de délimiter les normes auxquelles il fallait échapper.

Pendant des années, j’ai archivé ces étapes de la traduction, pour chaque roman, dans ces bacs de plastique transparent comme on en vend pour ranger les jouets des enfants. C’étaient des bacs empilables et je les empilais dans ma cave, le long des murs. Roman après roman, la cave se remplissait. Et puis, un jour, des dealers se sont installés chez une vieille femme de l’immeuble, et ils ont commencé à entasser dans sa cave, puis dans les parties communes des caves, des caisses. J’ai (seule de tout l’immeuble) protesté. Les dealers ont fui mais ont mis ma cave à sac et de toutes ces strates de corrections archivées en vue de constituer une histoire de cette traduction il n’est resté que des piles et des piles de papiers en vrac. Je les ai mis dans des sacs et je les ai jetés.

En fait, il m’est arrivé à peu près la même chose avec les nationalistes bretons vers la même époque : j’ai découvert un trafic, j’ai protesté, et tout ce que j’avais soigneusement archivé, préparé pour une étude qui aurait pu être intéressante a été pulvérisé. Inutile d’y revenir, c’est le sujet du Monde comme si.

Mais, dans le cas de Dostoïevski, bien des romans n’étaient pas encore traduits, et nous avons archivé les strates de corrections dans des cartons, moins bien rangés, il est vrai, mais, avec les dossiers de presse, ils constituent un fonds intéressant pour l’histoire de la traduction. Il s’agirait de savoir à qui le donner… Ce que montrent ces dossiers de presse, c’est la manière dont une traduction, qui a d’abord été l’objet de polémiques virulentes, a fini par être admise (grâce au théâtre et malgré l’université), puis comprise — et l’article du Monde des livres qui est paru ce jour est passionnant à cet égard : pour la première fois, le critique passe outre la polémique et considère l’ensemble en montrant combien la langue en forge le sens. Ce faisant, Sabri Louatah donne raison au traducteur qui expliquait, au début de cette expérience, qu’il était inutile de traduire un seul roman car il fallait aller à l’encontre de la tradition française : seule la traduction intégrale des romans pouvait créer le contexte et permettre une lecture nouvelle. Créer le contexte, tel était le but. Et, de fait, il a été atteint.

Dostoïevski, Le Monde, 3. 3. 2016

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Poésie : Marchak

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J’ai traduit six livres de Samouil Marchak. Deux d’entre sont toujours inédits et les quatre autres sont devenus introuvables (c’était une très belle édition, Quant la poésie jonglait avec l’image, un chef d’œuvre des éditions MeMo, hélas, épuisé depuis des années). Le livre, sous ce titre que je n’avais pas choisi, contenait la traduction de quatre poèmes, Le CirqueLa Glace, Hier et aujourd’huiLe Rabot. 

J’ai également traduit L’Étourdi mal dégourdi et Enfants sauvages enfants en cage (ce sont les titres que j’ai trouvés) mais je n’ai pas d’éditeur, donc encore des traductions introuvables…

Marchak est le plus grand poète russe pour enfants. Ses livres sont autant de fables allègres qui laissent transparaître une dénonciation terrible de la dictature qui, allait s’aggravant d’année en année. Lui qui faisait vivre des illustrateurs et des auteurs en proposant leurs projets les a vu disparaître, arrêtés les uns après les autres, tandis qu’il survivait en faisant des traductions. Des millions d’enfants russes connaissent ces poèmes par cœur mais ils sont à peu près inconnus en France.

Il va de soi que ses livres ont été édulcorés au fil des années, tant leur contenu, même dissimulé, se laissait entendre. Ce que nous essayons de faire connaître, André Markowicz et moi, en donnant des lectures illustrées de ses poèmes, c’est la version originale, avec la musique du russe et la musique des couleurs. Nous faisons à présent des lectures en images de ces textes, faute de pouvoir les donner à lire.

Ces lectures s’inscrivent dans le cadre du cycle organisé par le Théâtre du Nord à Lille.

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Poésie à l’école

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À la médiathèque de Roubaix, rencontre avec les enfants de l’école Elsa Triolet qui ont lu depuis la rentrée La Saga des petits radis. Belle occasion de parler de poésie et de faire vivre la collection Coquelicot. C’est une rencontre organisée par le Théâtre du Nord.

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Lecture de poésie

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Demain, début d’un cycle de lecture de poésie.

J’ai choisi Vigile de décembre pour commencer.

La soirée est annoncée sur le site du Théâtre du Nord à Lille.

 

 

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Floraison de nazillons

 

.Comme pour illustrer ce qui précède, une lectrice m’adresse un article du Canard enchaîné intitulé « Breizh akhbar ».

Il est paru le 10 février dernier.

 

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Il évoque le cas d’un militant nationaliste qui revendique l’héritage de Breiz Atao (groupe nationaliste breton à l’origine de tout ce qui est supposé caractériser la Bretagne aujourd’hui, le drapeau, l’hymne, les Seiz Breur, le breton surunifié, la croyance en une celtitude opposant l’ethnie bretonne à la France métisse). Il revendique cet héritage et l’assume pleinement : hostile à la, selon lui, pollution de la race bretonne par des apports sémites, il a été condamné en 2013 pour provocation à la haine raciale, apologie de crimes contre l’humanité et contestation de crimes contre l’humanité, sur plainte initiée par la section de Rennes de la Ligue des Droits de l’homme — j’avais, en effet, permis qu’il soit identifié : jusqu’alors, il n’écrivait que sous pseudonymes. Plusieurs autres procès ont suivi, aboutissant en 2015 à une condamnation à six mois de prison ferme.

Ces multiples condamnations ne l’empêchent nullement de continuer à déverser sa propagande raciste sur le site Breiz Atao.

Le gouvernement incite tout citoyen mis en présence de propos racistes ou diffamatoires à procéder à un signalement. Nombreux sont ceux qui ont procédé au signalement du site Breiz Atao. Pourquoi ne pas tenter votre chance ?

Bon courage.

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Au même moment, je recevais un livre que j’avais fini par me résigner à commander — un lourd, très lourd pavé : plus de 600 pages…

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Intitulé Breiz Atao ! (avec point d’exclamation pour se différencier du Breiz Atao de Mordrel[1]), il présente en couverture (et en rouge pour que le lecteur puisse imaginer que tout ça relève aussi de la gauche) un dessin de ce même Mordrel pour l’affiche Lisez Breiz Atao de 1929. Un Breton viril, et rouge, sur une Bretagne réunifiée, et rouge : tout une symbolique, que la récente « révolte des Bonnets rouges » avait déjà su exploiter, pour mettre le rouge au service de l’ultralibéralisme sous drapeau.

Le projet de l’auteur, Sébastien Carney, est finalement complémentaire de ce mouvement : suivant le parcours de quatre éminents collaborateurs des nazis membres de Breiz Atao, il banalise et normalise leur idéologie en interdisant de poser la question essentielle : la revendication ethniste a mené l’ensemble du mouvement breton à collaborer avec les nazis — comment et pourquoi ? Question interdite.

Le concept fumeux de « non-conformisme des années 30 » imaginé par un professeur à l’IEP de Toulouse, Jean-Louis Loubet del Bayle, permet de dissoudre le fascisme dans un sympathique anarchisme anticonventionnel, cherchant à l’estime dans les brumes une troisième voie entre communisme et nazisme. Ainsi peut-on faire passer à la trappe les raisons pour lesquelles Mordrel, Delaporte, Lainé et Fouéré ont choisi le nazisme.

Pourquoi avoir élu ces quatre-là en tenant soigneusement à l’écart Marchal, Sohier, Debauvais, figures complémentaires, inséparables de la dérive nazie de Breiz Atao ? Bien sûr, parce qu’il fallait fondre cette dérive dans le brouillard de quelques destinées individuelles finalement réductibles à une espèce de moyen disant tolérable.

Au final, 30 pages pour les enfances du « petit Célestin » et 7 pages pour le Bezen Perrot : tout un résumé de la méthode… Oui, le « petit Célestin » était timide et avait les oreilles décollées, il était, au fond, très fragile, et pendant que les Waffen SS bretons qu’il avait enrôlés assassinaient et torturaient, il ne faisait que poursuivre son rêve mystique. Et ce grand rêve de la Celtie dispense de se pencher sur les sordides massacres de résistants bretons auxquels il a, malgré tout, c’est dommage, donné lieu.

Ce livre a été publié aux Presses universitaires de Rennes, imprimé sur les presses de cette université, avec le soutien de l’université de Bretagne occidentale et de la Société d’histoire et d’archéologie de Bretagne — il représente quelque chose comme la version officielle de l’histoire, cautionnée par des services qui fonctionnent sur fonds publics.

Au détour du dernier chapitre, mélancoliquement intitulé « Crépuscules », on apprend, comme par incidence, car il faut vraiment se pencher sur la question pour arriver à trouver la réponse, perdue comme une aiguille dans cette vaste botte de foin, que Mordrel, condamné à mort par contumace, s’est enfui en Argentine, que Lainé, également condamné à mort par contumace, s’est enfui en Irlande, que Fouéré, lui aussi condamné à mort par contumace a organisé une filière de faux passeports pour tous les nazillons bretons et que, comme Delaporte, il a finalement réussi (mais comment, la question est aussi passée sous silence) à être acquitté pour mieux reprendre le « combat breton ».

Je ne me suis forcée à retrouver les informations données à ce sujet que pour indiquer clairement le contexte dans lequel s’inscrit la conclusion de cette ultime et officielle version de la grande dérive nazie du nationalisme breton :

« Il s’avère donc que, malgré l’exil, les “relèves” bretonnes continuèrent à être actives dès la fin de la guerre, grâce à de nombreux soutiens dans les jeunes générations, auxquelles elles livrèrent leur message, transmirent une foi qu’elles avaient inventée. Ces jeunes ont grandi en espérant, eux aussi le royaume, comme d’autres le font aujourd’hui. Mordrel, Delaporte, Lainé et Fouéré leur ont laissé les promesses de la Bretagne, qui furent pour eux celles d’une aventure, d’une lutte, de leur sacrifice et de leur salut. »

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De leur salut ?

Mais oui, de leur salut.

Car, sachez-le, il n’y a jamais eu de phases et de mouvements historiquement distincts dans l’enrôlement du mouvement nationaliste breton au service du nazisme : « Il n’a existé qu’un seul emzao, qui fut le personnalisme breton ».

L’emzao ou emzav, c’est la manière dont le mouvement nationaliste se désigne.

Rappeler ses choix, ses écrits, ses liens précoces avec l’Allemagne nazie, son rôle dans la lutte contre la Résistance, est déplacé : il ne s’agissait en fin de compte que de simples manifestations du personnalisme breton.

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Ultime manifestation en date du personnalisme breton, m’arrive, peu après, Breiz Aao !, la dernière production de l’indépendantiste Yves Mervin.

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Comme j’ai déjà perdu mon dimanche à commenter ce livre, je me contente de renvoyer à la page que je lui ai consacrée.

Mervin mène carrière dans le domaine de la Défense, Carney est publié par les presses de l’université : il ne s’agit plus, comme au temps de Breiz Atao, de marginaux drôlatiques assez semblables aux poètes non-conventionnels du groupe Dada, mais de tenants de la vérité officielle.

Et là est bien le problème.

La Bretagne plonge dans un magma identitaire de plus en plus opaque et de plus en plus trouble…

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@ Françoise Morvan

[1] Mordrel : Olivier Mordrelle, dit Olier Mordrel, fils de général, soudain converti au nationalisme breton et nazi de la première heure, jamais repenti, agent de la Gestapo sous l’Occupation et militant du GRECE (entre autres).

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PETITE NOTE COMPLÉMENTAIRE

À la suite de la publication de cet article, Boris Le Lay s’est répandu en menaces à mon endroit.

Échantillon de sa prose :

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Il serait intéressant de savoir quelle subvention j’ai pu recevoir de qui et quand, mais l’essentiel n’est pas là : cette diatribe de Le Lay a été reprise sur Facebook avec une stupéfiante violence machiste et de nouvelles menaces à mon endroit en raison de mes propos antipatriotiques. Or les patriotes ainsi déchaînés par Le Lay étaient principalement des identitaires proches du FN qui n’avaient pas saisi que la patrie à défendre était la Bretagne contre la France. Belle démonstration de rhétorique nationaliste comme expression d’une fureur vide, amenant pathologiquement au racisme. 

Le 21 avril 2016, Boris Le Lay a été condamné à deux ans de prison ferme pour incitation à la haine raciale.

Son site étant à présent hébergé au Texas, si je n’avais pas porté plainte et incité la LDH à porter plainte, il n’aurait jamais été identifié puisqu’il n’écrivait alors que sous pseudonymes.

On pourra constater que le site Breiz Atao apporte son fervent soutien à Mervin.

 

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Les nationalistes bretons n’aiment pas la gwerz

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Comme pour illustrer la lettre précédente, un lecteur m’adresse copie des commentaires de la page facebook en breton qui font suite à la diffusion de l’émission de France Inter sur la gwerz.

Mon ami inconnu écrivait : « Instinctivement, j’ai toujours senti qu’il y a une sorte de mystification du mythe quelque part, si vous me permettez l’expression, sans parvenir à discerner d’où cela vient. Et soudain : vous ! Avec votre histoire et ce procès ! Vous l’espèce d’hystérique. C’est vrai que l’argument, pétri de l’archaïsme rebattu des hommes faisant une guerre éternelle aux femmes, est vite trouvé quand on est une femme dérangeante qu’il faut faire taire. » Or, en voici la démonstration — plutôt aggravée, à dire vrai, car à l’hystérie peut s’ajouter la schizophrénie et le machisme ordinaire peut être relayé avec une égale virulence par des militantes de la cause dite bretonne.

On aurait pu croire que le fait de donner une audience nationale au genre majeur de la chanson bretonne, et avec en bonus et en première mondiale la diffusion de la « Gwerz d’Anna Le Gardien » chantée par Annie Ebrel, aurait été de nature à faire frémir de joie les militants bretons. Mais non, loin de là, ils sont furieux.

Ce qui les sidère, avant même de les révulser, ce n’est pas l’émission elle-même, c’est le fait que j’y sois. Ainsi illustrent-ils la manière dont, en Bretagne, la censure touche au tabou : je devrais normalement être absente, radiée des ondes comme d’ailleurs, pour avoir osé exprimer une opinion contraire à leur doxa. Or, ma voix s’entend. Sur une radio forcément jacobine, et forcément antibretonne puisque je m’y fais entendre.

Le sujet de l’émission, c’est la gwerz, mais le sujet des échanges en breton, c’est moi.

Voici une brève traduction de ces échanges.

Pour commencer, un nommé (ou surnommé) Éric le Brun fait part de son désarroi. Son message est simple : mon nom seul suffit.

Ce désarroi ouvre sur le questionnement métaphysique d’un nommé (ou surnommé) Jérémy Ar Floc’h. Son nom est bretonnisé mais en son prénom subsistent des accents qui laissent à subodorer quelque laxisme dans sa bretonnitude. Du fait qu’il se trouve en instance de stabilisation breizhopatique, son questionnement est atypique.

Première étape :

— « Il y a des choses que je n’arriverai jamais à comprendre… »

Deuxième étape :

— « Est-ce que quelqu’un pourrait m’expliquer comment il peut se faire qu’une personne née à Rostrenen devienne une vraie acharnée du combat contre la Bretagne et les langues minorisées ? »

En l’occurrence, mon combat consiste à faire connaître la gwerz et notamment la « Gwerz d’Anna le Gardien » qui, sans moi, aurait sans doute sombré à tout jamais dans l’oubli et connaît là une fortune inattendue, mais ce sujet a totalement disparu du débat.

Une réponse lui est apportée par un militant qui s’est baptisé Roue Henouk et a choisi pour se représenter un portrait de l’écrivain nationaliste Youenn Drezen. Il fournit une explication qui dispense d’aller chercher plus loin.

« Ar sorserez a zo klanv fall, rannet e spered skyzofrenek. »

Je traduis :

« La sorcière est une malade mentale, son esprit schizophrène est divisé. »

Une sorcière qui, comme une chienne, « vel ur giez », défend le Paris des communistes qui sont ses vrais maîtres…

La sorcière, la chienne, la prostituée vendue à ses maîtres, ceux de Paris, les communistes, tout ça en vrac, telle est l’explication habituelle, car l’ennemi du bon Breton, c’est Paris, et Paris, c’est le communisme, le mal, le diable, la Révolution française, le lupanar, la grande hérésie antibretonne depuis les origines, et plus encore depuis la nuit du 4 août, l’horreur absolue, le crime inexpiable.

Le diagnostic est posé : d’un côté, il y a Rostrenen, la race bretonne qui parle en moi, et, de l’autre, l’influence pernicieuse de la France. D’où la schizophrénie.

Conclusion :

« Pez a zo sur he deus graet poan braz da vreizh. »

« Ce qui est est sûr est qu’elle a fait grande mal à la bretagne » (je traduis en transposant les fautes).

Car ces vrais Bretons pas schizophrènes s’acharnent à unifier leur esprit en charabia.

Tel est le message que véhicule le Facebook en breton, message cautionné par le militant nationaliste Marc Kerrain, professeur de breton et donc fonctionnaire de l’Éducation nationale, payé depuis de longues années par l’État français. Il approuve et trouve simplement que la gwerz a le tort d’être vieille et que la chanson bretonne est mieux servie par la chanteuse nationaliste Nolwenn Korbel.

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Et tout cela, sous l’égide de Youenn Drezen…

Ces militants m’accusent de voir des nazis partout — mais qui les oblige à les exhiber ?

Où peut-on, en effet, trouver pire collaborateur des nazis que l’immonde Drezen qui, à la veille de la rafle du Vel’ d’Hiv’, non seulement approuvait avec enthousiasme le port de l’étoile jaune mais en rajoutait, invitant le gouvernement de Vichy à exiger que les Juives méritantes (pas les Juifs, juste les Juives heureuses qu’on leur offre une belle étoile) se collent en plus une étoile jaune sur le derrière puisque le port de la plaque minéralogique venait d’être imposé pour les vélos ?

Voilà très exactement ce qu’il écrivait dans La Bretagne, avec cet humour gras qui le caractérisait, le 9 août 1942 :

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« L’étoile jaune
Depuis le 7 juin dernier tous les Juifs doivent porter une étoile jaune sur la poitrine. En Bretagne, on ne voit peut-être pas beaucoup de ces étoiles se promener le jour. Mais à Paris on en voit à chaque pas. Certains portaient déjà inscrit sur leur visage leur race et leur religion : gros nez crochu, cheveux noirs et ondulés, pieds plats… que sais-je ! D’autres cependant ressemblaient à n’importe quel chrétien et on leur aurait donné le bon Dieu sans confession. Voilà pourquoi ç’a été une bonne chose de les obliger à porter l’étoile de David ; comme ça, personne ne pourra s’y tromper : quand on voudra conclure un marché avec un Juif, ça ne sera pas chat en poche, on pourra se tenir sur ses gardes. À mon avis, les vrais Juifs, ceux qui n’ont pas honte de leur race, n’ont pas à se soucier beaucoup de cette étoile. Il y a pourtant des gens qui trouvent à les plaindre. Hier, dans le “métro”, une chrétienne, s’approchant de trois filles d’Israël au corsage étoilé, gémissait ainsi : “Si ce n’est pas une honte de vous faire ça, mes pauvres. Et en plus vous faire dépenser de l’argent pour ça, peut-être bien. — Oh, dit l’une des plus jeunes filles de Jacob, pour ça non. Notre étoile, on nous l’a offerte”. Elle était sûrement de bonne race, celle-ci ; peut-être Sarah, fille de Deborah et de Samuel, petite-fille de Rachel et Jonathan… et ainsi de suite… sans une goutte de sang étranger depuis Moïse. Si j’avais été celui qui distribue les étoiles, pour une si belle réponse, j’aurais mis à la petite-fille du Juif-Errant, en plus d’une étoile à se coller sur la poitrine, une autre à se coller… où vous savez, comme la nouvelle plaque des vélos. »

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J’ai traduit ce texte en 2000 pour protester contre un hommage à Drezen rendu par la mairie socialiste de Pont-l’abbé, ce qui a donné lieu à une polémique qui promettait d’être très intéressante, vu qu’un habitant de Pont-L’Abbé, bretonnant de naissance, et professeur agrégé d’allemand, s’était mis à son tour à traduire les monstrueux textes de Drezen — mais cette polémique a été aussitôt étouffée (le miracle est d’ailleurs qu’elle ait pu avoir lieu, la censure exerçant déjà ses effets en cette époque lointaine).

J’ai ensuite traduit deux ou trois autres textes racistes et antisémites de Drezen pour le dossier de la Ligue des Droits de l’Homme sur la réécriture de l’histoire en Bretagne (on peut encore les lire en ligne)

Et puis, comme tout ça ne servait à rien, j’ai publié Le Monde comme si, où j’ai encore mis un petit extrait de la prose raciste de Drezen, avec illustration à l’appui.

Les municipalités bretonnes continuant d’attribuer le nom de Drezen à des rues et autres lieux publics, j’ai mis en ligne la copie de l’article de synthèse que j’avais rédigé pour éclairer les élus en 2000.

On ne peut donc pas dire qu’on ne savait pas. Et néanmoins les hommages à Drezen se poursuivent —  la municipalité socialiste de Rennes, parmi tant d’autres, a notamment donné son nom à une rue.

On a débaptisé le collège Diwan qui portait le nom de Roparz Hemon, lequel est loin d’avoir donné dans un antisémitisme aussi répugnant que celui de Drezen[1]. Or, ce dernier, comme tant d’autres membres du groupe raciste des Seiz Breur (l’article 1 des statuts exigeait que les membres soient de sang breton) est toujours présenté comme un grand homme (voire un grand homme de gauche) et les jeunes militants nationalistes sont toujours appelés à reprendre son combat.

Ainsi le surnommé Roue Henouk choisit-il pour le représenter un portrait de Drezen, portrait d’ailleurs remarquablement laid, dessiné au camp Margueritte (par il ne sait pas qui et demande sur facebook qui c’est — il y a de quoi rire, ou pleurer, comme on préfère, quand on connaît l’histoire du mouvement breton mais, peu importe, il s’identifie à l’image sans même en connaître l’auteur : c’était sûrement un bon Breton puisqu’il était interné à la Libération).

Ces commentaires sur la gwerz ne sont pas sans intérêt au moment où un habitant de Pont-L’Abbé reprend le combat pour la débaptisation de la rue Youenn Drezen…

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Souhaitons bien du courage et de la ténacité à Daniel Quillivic.

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[1] Roparz Hemon est loin d’avoir donné dans un antisémitisme aussi répugnant que celui de Drezen, c’est certain, mais je note que c’est à l’occasion d’un hommage posthume à Drezen dans la revue nationaliste Al Liamm (mars 1972) qu’il a administré l’une des preuves les plus remarquables de sa constance idéologique, rappelant à quel point son ami Drezen avait su profiter de la merveilleuse période, hélas trop courte, offerte aux Bretons par l’Occupation : « Ces quatre années, 1940-1944, ont été bénéfiques tant à la vie intellectuelle qu’à la vie politique de notre pays » (notre pays : notre nation, la Bretagne, pas la France, ça va de soi). La revue Al Liamm a continué d’être subventionnée et les hommages à Roparz Hemon se seraient multipliés sans les quelques protestations qui ont valu à leurs auteurs des bordées d’insultes provenant aussi bien de la prétendue gauche bretonne que de l’extrême droite nationaliste, fidèle à elle-même. Rappelons que le centre culturel breton de Guingamp, subventionné sur fonds publics, portait, bien après la débaptisation du collège Diwan, le  nom de Roparz Hemon, et qu’il a fallu, à nouveau, une mobilisation citoyenne pour mettre fin à cette situation.   Citer les insultes déversées sur toute personne qui ose exister sans partager le dogme revient à faire le portrait du mouvement breton, comme on peut le voir. 

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Des lecteurs m’ayant demandé des renseignements sur Alain Guel, qui a donné son nom à la médiathèque de Tréveneuc, je renvoie à l’article du GRIB.

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Une belle lettre

Heureuse surprise en ce début d’année : une lettre d’un lecteur  (que je me garderai bien de nommer pour ne pas risquer de lui attirer des ennuis, la situation étant ce qu’elle est). J’ai décidé de la mettre en ligne afin de placer en face du florilège des invectives une de ces lettres reçues des amis inconnus depuis la parution du Monde comme si… 

Chère Françoise,

J’espère que vous excuserez la familiarité que j’emprunte en vous adressant cette lettre, car nous ne nous connaissons pas. Je souhaitais depuis bien des mois, vous dire tout le bonheur que j’ai eu à lire Le monde comme si. Je n’ai jamais été tenu en haleine comme ça par un livre qui parle à ce point de moi et de mon pays. Je me suis isolé avec le livre et n’ai eu de cesse que de l’avoir terminé. Je regrette juste de vous découvrir si tardivement. Dès que je tape votre nom, apparaît une kyrielle d’articles incendiaires. J’ai souhaité comprendre. J’ai toujours pensé que lorsque l’on s’acharne sur quelqu’un, même si ce quelqu’un semble faire le déshonneur d’un groupe, il y a injustice sous roche.

C’est en découvrant l’émission « Là-bas si j’y suis » dont m’avait parlé un de mes amis, journaliste expert en liberté de la presse et nouveaux médias, que j’ai commencé à m’interroger. Pour la première fois j’entendais l’expression « breton unifié ». Un jour, et il n’y a pas si longtemps, j’ai trouvé Le monde comme si à mon petit café librairie de ma ville natale.

Il m’a enchanté, bousculé, et fait rire, car vous avez un humour qui me parle.

Ce livre a été pour moi une révélation qui m’a autant secoué que le jour où j’ai appris qui était mon père. C’est dire !

Ce qui est curieux dans cette rencontre avec le texte, c’est que depuis des années, je me dis que je vais me replonger dans l’Histoire de la Bretagne et dans ses mythes, néanmoins sans savoir par quoi commencer. Quelque chose me retient. Instinctivement, j’ai toujours senti qu’il y a une sorte de mystification du mythe quelque part, si vous me permettez l’expression, sans parvenir à discerner d’où cela vient. Et soudain : vous ! Avec votre histoire et ce procès ! Vous l’espèce d’hystérique. C’est vrai que l’argument, pétri de l’archaïsme rebattu des hommes faisant une guerre éternelle aux femmes, est vite trouvé quand on est une femme dérangeante qu’il faut faire taire.

Pour moi, vous avez séparé le bon grain de l’ivraie. Quelle ivraie ! La Villemarqué, les monstres pathétiques, défenseurs de l’identité bretonne !

Comment comprendre la Bretagne désormais, sans passer par vos écrits ? Vous lire me semble le premier acte qu’un touriste devrait avoir avant de découvrir la Bretagne.

On vous a ostracisée. Pourtant, vous avez juste dit la vérité sur ce que nous sommes. Vous avez révélé somme toute un secret de polichinelle, mais touché l’orgueil béta d’une bande de fous furieux.

Je suis Breton. J’ai cette fierté qui ne me rend pas meilleur qu’un autre. J’aurais été occitan ou auvergnat, j’aurais eu de belles raisons aussi d’aimer ma terre et mon histoire. J’ai connu cette Bretagne, une terre d’accueil, une terre d’artistes, peuplée de cœurs ouverts au monde, ne supportant pas l’injustice, l’orgueil mal placé du chauvinisme. J’ai grandi dans une Bretagne auprès d’âmes sans ruse, qui se sont réjouies d’avoir un maire togolais, ou d’avoir entendu des musiciens mêler leurs cornemuses avec des derboukas.

Chère Françoise,

Nous sommes certes des inconnus. Mais, oui, je me permets de le dire, vous m’êtes très chère, comme une sœur qui ouvre sur la conscience. Et m’est cher aussi votre juif de l’est de compagnon aussi détesté que vous, que je trouve plein d’une humanité exemplaire, au-delà de ses beaux travaux pour lesquels on le connaît. Car je sais que beaucoup de monde l’aime, lui aussi.

Avec toutes mes plus grandes attentions et mon plus grand respect.

Très amicalement,

Un petit Osisme

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Pour ouvrir l’année…

La crèche 3 - copie 3

Heureuse surprise pour ouvrir l’année : France-inter rediffuse aujourd’hui l’émission sur la gwerz enregistrée l’été dernier par Charlotte Perry à Loc-Envel. Pas tout à fait la même émission mais tout à fait  la suite de mon dernier article sur nos Anciennes complaintes

Et je viens juste de retrouver dans mon grenier les derniers santons de la crèche que j’avais tournés au temps où je pensais pouvoir vivre du travail de mes mains, d’où cette image un peu étrange, mais pour moi si proche, puisque tout converge vers le ravi : avec l’ange qui, tout de même, veille sur la suite des événements, et permet de dire : BONNE ANNÉE !

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