Eh oui, tout est possible : en dépit de l’omerta de rigueur en Bretagne, deux courageux libraires ont décidé de nous inviter, André Markowicz et moi.
Nous serons…
le vendredi 8 avril à 19 h à la librairie À la ligne, 11 rue Auguste Nayel, à Lorient…
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… et le samedi 9 avril à la librairie Albertine, 5 rue des écoles, à Concarneau.
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Il est heureux que nous puissions parler des livres que nous publions aux éditions Mesures au moment où se déchaîne un véritable racisme interdisant tous les auteurs russes, y compris ceux qui ont passé leur vie à affronter le pouvoir comme ceux que nous avons publié, Harms, Iliazd, Tsvétaïeva, et, ce mois-ci, Kari Unksova qui a été assassinée par le KGB… Face à la montée de ce fanatisme qui vient de faire interdire un festival de cinéma russe à Nantes, l’esprit de résistance est plus précieux que jamais. Mais nous ne parlerons pas que des auteurs russes…
Ce soir à 18 h 45, nous serons à Mulhouse à la librairie Bisey où nous pourrons présenter les éditions Mesures que les événements rendent, hélas, plus actuelles que jamais dans leur inactualité même (puisque les auteurs russes que nous avons publiés offrent tous l’exemple d’une résistance héroïque au pouvoir). Mais nous répondrons surtout aux questions des lecteurs…
Tandis que les armées de Poutine bombardent l’Ukraine qui, peuplée par une ethnie slave, doit selon lui rejoindre le giron de la mère patrie, qu’elle y consente ou non, car Dieu l’a voulu, la Bretagne est parallèlement le lieu d’un combat mené contre la France au nom des gènes d’une ethnie opprimée, une ethnie celte vouée à rejoindre le giron de la mère patrie, la vaste celtitude éclatée en nations appelant à prendre leur indépendance.
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Le 19 mars, pour faire pièce à l’ouverture du château de Villers-Cotterêts et à la semaine de la langue française et de la francophonie, les militants bretons organisent un colloque intitulé « Ethnocides, un tabou français ». Ce colloque peu tabou puisqu’il se tient officiellement à l’université de Vannes est subventionné par le Conseil régional de Bretagne, l’Institut culturel de Bretagne (connu de longue date pour ses dérives nationalistes et sa promotion de collaborateurs des nazis) et Kevre Breizh.
Qu’est-ce que Kevre Breizh ? Ne cherchez pas sur Internet : le site (kevrebreizh.bzh) est en maintenance et les informations éparses çà et là obscures. C’est un réseau, comme l’association Produit en Bretagne créée par l’Institut de Locarn pour fédérer les entreprises bretonnes autour d’un projet apparemment apolitique et plein de bons sentiments identitaires, un réseau créé par le Conseil culturel de Bretagne (double de l’Institut culturel également créé par Giscard d’Estaing sous la pression des nationalistes, le tout formant une sorte de ministère de l’Identité) en vue de fédérer vingt-sept associations dites « culturelles ». Il va de soi que l’alibi culturel prête apparence bénigne à un projet éminemment politique, comme l’indique le choix du président, le militant nationaliste Tangi Louarn, frère de la militante nationaliste Lena Louarn, ex-vice-présidente du Conseil régional, et oncle de la chanteuse nationaliste Gwennyn Louarn qui intervient également dans ce colloque. Lena Louarn n’a jamais manqué de rendre hommage à son père, Alain, dit Alan, Louarn, collaborateur des nazis condamné à la Libération et militant nationaliste acharné jusqu’au bout à poursuivre son combat.
Kevre Breizh a donc été créé par le Conseil régional de Bretagne présidé par Jean-Yves Le Drian, alors socialiste. Comme l’indiquent les statuts, pourtant rédigés dans un charabia assez flou pour abuser, le but de l’association est « la défense des droits culturels des bretons (sic) et le soutien mutuel à ses membres (sic) dans le cadre de ses principes fondamentaux ». Quels « principes fondamentaux » ? Édictés par qui ? Et quels « droits culturels des Bretons » ? Définis comment ? Par qui ? Le but affiché est de permettre la représentation des associations ainsi fédérées « auprès des institutions à tous les niveaux et en particulier au niveau des 5 départements bretons, de la région de Bretagne, des institutions de la république française, de l’union européenne, du conseil de l’Europe et des nations unies », donc de faire advenir la « réunification » de la Loire Atlantique, considérée comme département breton, préalable nécessaire à l’autonomie, en attendant l’indépendance.
Les amateurs de danses bretonnes, de dentelle ou de biniou se rendent-ils compte qu’ils s’inscrivent dans un combat politique pour des droits et des principes dont ils ne savent rien ? Kevre Breizh se vante de rassembler 75 000 membres (ailleurs, 50 000). Elle est subventionnée par le conseil régional mais obtenir les comptes n’est pas simple… Quoi qu’il en soit, en sont membres Diwan (qui reçoit chaque année plus d’un million d’euros), Stumdi (plus de six cent mille euros), Bodadeg ar sonerion plus de quatre cent mille euros comme le Festival interceltique, sans oublier Kendalc’h, la maison d’édition nationaliste Skol Vreizh et autres associations grassement subventionnées, soit des dizaines de millions ainsi investis dans le combat breton. La fabrique identitaire se tient là, dans ce réseau tissé pour emprisonner tout ce qui touche à la culture et qui s’effondrerait s’il n’était plus sous perfusion.
Le colloque organisé pour « réexaminer les pratiques ethnocidaires de la France vis-à-vis de ses minorités culturelles ou des peuples dont elle refuse de reconnaître les droits fondamentaux en Alsace, en Corse, au Pays basque, en Bretagne, en Occitanie, en Catalogne, en Flandre, en Savoie, dans les territoires d’outre-mer » assemble la fine fleur des autonomistes bretons avec la participation de militants des ethnies opprimées par la France (Haizpea Abrisketa pour le Pays basque, Micheli Leccia pour la Corse, Pierre Klein pour l’Alsace, Elin Haf Gruffydh Jones pour le Pays de Galles et les langues celtiques persécutées… et le redoutable Louis-Georges Tin qui, après avoir été radié du non moins redoutable CRAN pour malversations, se présente comme Premier Ministre de l’État de la Diaspora Africaine (je respecte les majuscules) pour « légiférer sur l’ethnocide » (tel est le titre de sa communication). Il est à noter que l’État de la Diaspora Africaine a été créé en 2018 par Tin qui s’est autoproclamé Premier Ministre, suscitant ainsi diverses protestations, dont celle du CRAN qui qualifie cet État fictif d’« imposture ». La promotion de L.-G. Tin est, depuis des années, assurée par RT, chaîne de propagande poutinienne à présent interdite par l’Union européenne (et il va de soi que l’invitation de Tin à ce colloque n’est pas un hasard dans les circonstances actuelles).
Au moment où paraît le très remarquable livre de Philippe Brunet, Itinéraire d’un masque, évoquant l’interdiction de sa mise en scène des Suppliantes d’Eschyle à la Sorbonne par L.-G.Tin et les militants du CRAN, il n’est pas sans intérêt de marquer l’intrusion du wokisme en Bretagne par le biais des autonomistes subventionnés par le Conseil régional.
Les militants bretons retenus pour illustrer l’ethnocide qu’ils ont subi sont l’autonomiste Jean-Jacques Monnier, spécialiste de la réhabilitation des nationalistes collaborateurs des nazis (voir son essai Résistance et conscience bretonneassimilant Résistance et combat breton), Rozenn Milin, qui fut la directrice de TVBreizh fondée par Patrick Le Lay, et l’autonomiste Paul Molac, élu député grâce à l’appui de Jean-Yves Le Drian – Molac qui fut président du Conseil culturel de Bretagne et vice-président de Kevre Breizh. Ainsi la boucle est bouclée.
L’idéologie qui sous-tend ce colloque est la haine de la Révolution française et de la République accusée de s’être rendue coupable d’une « politique ethnocidaire » identique « depuis la Terreur » et la « Troisième République colonialiste de Jules Ferry ». Le fait de critiquer l’enseignement dit « par immersion » pratiqué par Diwan est assimilé à la « politique ethnocidaire de la Terreur ».
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Tandis que « les Bretons » (puisque les nationalistes bretons s’arrogent le droit de parler au nom du « peuple breton », ce qu’ils font, de fait, sur fonds publics, comme on peut le voir) s’élèvent contre l’ethnocide qu’ils subissent, « les Corses » promettent de mettre l’île à feu et à sang afin de rendre justice à un assassin, Yvan Colonna, emprisonné pour avoir abattu avec une ignoble lâcheté le préfet Érignac.
Colonna qui faisait de la musculation avec un islamiste fanatique détenu pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme », a trouvé intelligent de le provoquer et notamment, d’après le procureur antiterroriste Jean-François Ricard, de déclarer au djihadiste que, pour sa part, il « crachait sur dieu ». Le 2 mars, pour venger ce blasphème et gagner le paradis d’Allah, l’islamiste se jette sur lui par derrière et tente de l’étrangler. Colonna, bien que secouru par les surveillants, sombre dans le coma.
S’il s’agissait d’une minable bagarre entre détenus, d’aucuns penseraient que la violence des uns attise la violence des autres et que le fanatisme attise le fanatisme – mais nous sommes en Corse : résultat du crachat sur dieu, des milliers de Corses défilent derrière des banderoles proclamant « Gloire à toi, Yvan » et « État français assassin ».
En quoi l’État français est-il responsable de l’assassinat de Colonna (assassinat potentiel puisqu’il est toujours en vie) ? La réponse des nationalistes est que la prison d’Arles n’est pas à la hauteur de leurs attentes, qu’elle est trop loin de Corse et que les voyages coûtent trop cher. Les familles des autres assassins du préfet, Alessandri et Ferrandi, en profitent pour demander leur incarcération en Corse.
Des lycéens et étudiants de Corte (petite ville où se trouve une université qui a été une conquête des nationalistes) organisent des émeutes… 67 blessés, des incendies… L’autonomiste Gilles Siméoni, ex-avocat de Colonna et actuel président du conseil exécutif de Corse, en profite pour souffler sur les braises : « Le peuple corse tout entier est mobilisé contre l’injustice » – quelle injustice ? Aucun journaliste ne pose la question – et « pour une véritable solution politique entre l’État et la Corse ». Quelle solution ? La question n’est pas posée non plus puisqu’elle va de soi : les Corses sont corses et doivent donc être corses, libérés de l’État qui ne leur veut que du mal et fait assassiner leurs chers assassins qu’il aurait fallu veiller avec amour et vigilance en évitant qu’ils ne subissent les conséquences de leurs gracieux propos.
Réponse de l’État assassin : Colonna, Alessandri et Ferrandi (qui sont des détenus DPS, particulièrement surveillés) sont libérés de leur statut et autorisés à être incarcérés en Corse ; la peine de Colonna est suspendue – son avocat, ne l’oublions pas, était le sulfureux garde des sceaux Dupont-Moretti. Et voilà le non moins sulfureuxGérald Darmanin qui accourt à Ajaccio et propose tout de go un statut d’autonomie à la Corse.
Le 26 novembre dernier, suite aux émeutes contre le passe sanitaire, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu s’était, de même, précipité aux Antilles pour proposer franco l’autonomie à la Guadeloupe. Mais c’est qu’en 2003, consultés au sujet de la création d’une collectivité territoriale administrée par une assemblée unique, les Guadeloupéens avaient répondu non à 72, 98 %. Allait-on leur forcer la main pour les décider à accepter la liberté qui leur était proposée contre leur opinion si clairement exprimée ? C’est ce qui s’est passé en Corse où, en dépit d’un vote négatif, la collectivité territoriale unique a été imposée, amenant au pouvoir les nationalistes.
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Il va de soi qu’en de telles circonstances, et au moment d’ouvrir la seconde partie du colloque sur les ethnocides, Paul Molac triomphe : enfin, l’État ethnocidaire offre l’autonomie à l’ethnie corse. « C’est un changement de mentalité de la part de l’État qui avait quasiment banni ce terme par le passé », jubile-t-il. Fin de l’égalité républicaine : « Il faut laisser les territoires s’organiser. »
Chaque reculade du gouvernement est présentée comme une avancée.
Une avancée vers quoi ?
Une Europe des ethnies.
Caractérisées par quoi ?
Une identité fabriquée pour servir de décor et permettre à l’État de ne plus assumer son rôle. L’essentiel est qu’il se désengage et disparaisse le plus possible.
Le colloque du 19 mars est une petite pièce dans un dispositif d’ensemble.
L’invention de l’ethnie bretonne, fiction aussi dérisoire que l’État inventé par Tin pour se bombarder Premier Ministre et participer à l’une des pires chaînes de propagande poutinienne, se situe là, dans l’organisation sur fonds publics d’une cérémonie destinée à mettre en œuvre la propagande à quoi chacun sera amené à croire – une propagande officielle, comme on peut le constater. L’ethnisme, qui n’est qu’une variante de fiction raciste, s’inscrit dans un projet global.
Et, bien sûr, dans la foulée, le FLB s’empresse de demander (au nom du peuple breton ethnocidé) un référendum sur l’autonomie ou l’indépendance de la Bretagne (la Bretagne « réunifiée » naturellement, puisque la « réunification » est le préalable de l’autonomie, elle-même préalable de l’indépendance, comme le montre bien Benjamin Morel).
À l’aune de la guerre qui se déroule en Ukraine, les événements de Corse et le colloque contre l’État français ethnocidaire apparaissent comme les deux faces d’un combat qui se caractérise par la même indécence.
Voici en livre de poche l’édition abrégée et actualisée de ma thèse – autrement dit le résultat d’un long combat pour tenter de sortir Armand Robin de la lourde gangue de lieux communs et de mensonges dans laquelle il était enlisé. Un combat perdu, il faut le dire, puisque la gangue s’est remise en place, plus lourde que jamais. Encore fallait-il montrer comment la tentative menée pour chercher une voie nouvelle par une expérience visant à échapper à la poésie conventionnelle a été trahie, travestie, abêtie, de manière à faire de Robin un poète digne de figurer au panthéon des poètes maudits.
Il m’a semblé intéressant (quoique, bien sûr, totalement inutile) de revenir sur l’itinéraire de Robin pour faire pièce aux falsifications qui continuent de triompher partout et d’exposer aussi précisément que possible la manière dont ces falsifications servent à construire un mythe tissé de lieux communs admis comme invariants auxquels toute pensée doit se soumettre (sans qu’ils puissent être pensés puisqu’ils sont là avant même d’avoir été là, constitutifs d’un magma donnant sa cohésion au mythe).
Ceux qui ne se soumettent pas et qui, chose rare, opposent une résistance concrète sont inéluctablement repoussés hors du champ, écrasés par les mécanismes de la censure et, pour finir, enlisés sous l’envahissante gangue. C’est ce qui s’est passé pour Armand Robin et c’est ce qui s’est passé pour moi puisque, pour donner à lire les textes qui témoignaient de l’expérience de la « non-traduction » visant à lui permettre d’échapper à l’enfermement dans ce qu’il appelait la « poésie pour poètes », j’ai publié ces Écrits oubliés, ces émissions de Poésie sans passeport et ces Fragments qui ont à présent disparu. Pour en finir, encore fallait-il montrer comment le mythe enlise les textes eux-mêmes et les réduit à l’inexistence.
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Le cas d’Armand Robin offre un point paroxystique dans la forgerie puisque nous sommes en présence d’un auteur qui s’était voulu sans existence et s’est trouvé post mortem nanti d’une existence tissés de lieux communs souvent inventés constituant une parfaite biographie de Poète. Or, montrer la fabrique de la mythobiographie ne sert à rien, les ingrédients du mythe étant constitutifs de l’objet dont on parle, l’objet Robin. Cet « objet Robin » sans rapport avec ses textes, son travail, ses volontés exprimées a été, autre point paroxystique, créé à partir d’une invraisemblable falsification, à savoir une œuvre de poète conventionnel construite de bric et de broc à l’aide des manuscrits recueillis après sa mort, rassemblés, taillés à coups de ciseaux et publiés sous le titre Le Monde d’une voix.
Ces manuscrits, déposés aux éditions Gallimard, avaient été volés par un certain Léon, dit Alain, Bourdon. Avec l’aide de Robert Gallimard et des personnes qui avaient recueilli ces textes, j’ai obtenu qu’ils soient restitués (ou, du moins, ce qui en restait) et j’ai découvert qu’Alain Bourdon avait démantelé un manuscrit intitulé Fragments, manuscrit que j’ai publié après avoir procédé à l’archivage du fonds pour le compte des éditions Gallimard.
Le livre ne correspondait pas du tout à la doxa. Il constituait un obstacle, mince assurément, mais gênant. Comme d’ailleurs l’auteur lui-même l’avait été de son vivant – mais ce n’était pas un transfuge qu’il fallait : il fallait un poète pour poètes, le plus maudit possible, et le fait d’être mort suite à une arrestation était un attribut si merveilleusement valorisant pour étayer les arrière-fonds christiques constitutifs du mythe qu’il fallait coûte que coûte en revenir au Monde d’une voix et à la biographie concoctée par Alain Bourdon.
En 2006, les Fragments ont été pilonnés et Le Monde d’une voix a été republié tel quel. Le poète André Velter qui dirigeait la collection Poésie chez Gallimard avait besoin d’un Poète : il l’a donc promu, ou plutôt repromu, et ce alors même que l’éditeur possédait les manuscrits, leur édition validée par un jury dont l’un des principaux responsables de la maison d’édition était membre, et que ce même jury avait constaté que Le Monde d’une voix était une falsification.
Plus étonnant encore, si l’on s’en tient au domaine des faits, Le Monde d’une voix était précédé d’une édition tronquée de Ma vie sans moi, le premier livre d’Armand Robin, constitué pour moitié de traductions ; or, les traductions avaient été supprimées au motif qu’elles ne relevaient pas de l’œuvre du Poète. Exemple, encore une fois paroxystique, des effets de la normalisation mythificatrice (et mystificatrice) : un auteur qui avait fait de la traduction le moyen de faire de la poésie autrement, et d’échapper par là à l’enfermement dans une œuvre de Poète, était castré de ce qui, en effaçant la limite entre écriture personnelle et traduction, aurait pu remettre en cause le statut (et la statue) du Poète.
Trahison du texte, de l’œuvre, de l’auteur : trahison officielle, officialisée, faisant de Robin un faire-valoir de poètes pour poètes au service d’un mythe profitable : en fin de compte, la mort tragique d’Armand Robin fait partie du chic poétique valorisable dans les cercles de poètes avec prix, salons et médailles.
C’est contre cette indécence que j’ai, dès l’adolescence, voulu protester. Robin avait été privé de ce qui avait fait sa force vive et sa liberté. C’est au nom de cette force vive et de cette liberté que j’ai protesté en menant à bien ces éditions qui ont disparu et cette thèse qui avait pour but de leur donner statut objectif contre les falsifications : il m’a fallu revenir de ces illusions mais, lorsque mes recherches ont été pillées pour être mises au service du mythe et que j’ai dû engager une procédure pour plagiat, j’ai décidé de réagir et considéré comme une chance de pouvoir actualiser ces recherches et d’en tirer les conclusions. Merci donc d’abord à Catherine Coquio qui m’a offert cette chance.
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Lorsque cet essai est paru en édition de grand format, j’ai attendu avec curiosité de voir ce que deviendrait le mythe ainsi mis à nu. La réponse est bien simple – rien. Le plus étonnant, si toutefois il est encore possible de s’étonner en pareille matière, a tout de même été l’hommage rendu à ma longue quête en vue de rendre justice à ce grand Poète breton que fut Robin, frère en poésie de Xavier Grall et Anjela Duval (autrement dit deux poètes nationalistes bretons, deux incarnations de la pire ringardise poétique, celle que Robin avait voulu fuir).
Tout ça pour rien ?
Non, pas pour rien.
Il n’est pas inutile de montrer que l’illecture est la condition nécessaire de la fabrique, de la consolidation et du maintien du mythe. L’illecture ou l’art de lire sans lire, de lire pour en pas lire, de lire pour en lire que ce qu’on veut lire, l’illecture appuyée sur la vieille technique partisane caractéristique du discours nationaliste : la décontextualisation. Les faits, les citations, les images extraits de leur contexte sont mis en flottaison libre et sont ainsi rendus modulables, exploitables à loisir pour finalement servir le lieu commun attendu – en l’occurrence, une figure de Poète aussi conventionnelle que possible, avec œuvre poétique trafiquée.
Les récentes publications le montrent : impossible d’échapper à la gangue proliférante.
C’est tout de même ce qu’Armand Robin avait tenté de faire.
Et c’est aussi ce que j’ai essayé – en nageant à contre-courant vers une eau que j’espérais plus claire.
Le moins qu’on puisse dire est qu’elle ne l’était pas, et qu’elle n’est pas allée s’éclaircissant.
Au moment où les armées de Poutine envahissent l’Ukraine, précisément à l’endroit où se trouvait le domaine de La Cerisaie, les paroles de Trofimov incitant à ne plus aimer la Cerisaie et laisser le domaine à sa déréliction (ou à Lopakhine) prennent un étrange écho…
Je voudrais aussi rappeler, puisque personne n’en parle, que l’invasion de l’Ukraine a pour Poutine l’avantage de faire oublier le procès d’Alexeï Navalny qui va se tenir sous peu.
J’ai évoqué ici même l’an passé le rôle joué par l’entreprise Yves Rocher dans l’arrestation du principal opposant à Poutine et le soutien apporté à Yves Rocher par le lobby breton au moment même où cette affaire, largement médiatisée, faisait scandale : c’est dans les locaux d’Yves Rocher que l’association Produit en Bretagne créée par l’Institut de Locarn a tenu son assemblée générale le 12 février 2021.
L’affaire Yves Rocher s’inscrivait elle-même dans un contexte plus large et sur lequel je n’ai eu de cesse d’alerter. En 2014, le président de l’Institut de Locarn, interrogé par Charlotte Perry dans le cadre de l’émission Là-bas si j’y suis, lors de la « révolte des Bonnets rouges », faisait ouvertement l’éloge de la Russsie de Poutine, affirmant que les Ukrainiens étaient « 25 millions de clochards » qu’il fallait coûte que coûte tenir à l’écart de l’Union européenne – pour mieux commercer avec la Russie, en plein accord idéologique avec la triade sacrée promue comme mot d’ordre : affairisme, nationalisme, christianisme, le tout fonctionnant en cercle et pouvant donner lieu à une guerre qui ne soit pas seulement économique. Et uni par la haine de la France (« Notre problème, c’est la France », déclarait Alain Glon, le président de l’Institut de Locarn) et combien de nationalistes bretons d’extrême droite ont-ils trouvé une tribune en Russie…
On pourra écouter les propos du président de l’Institut de Locarn à la fin de l’émission. Ils prennent tout leur sens à l’heure actuelle.
Notons enfin que toutes nos tentatives pour alerter sont restées vaines depuis l’émission de Charlotte Perry.
Je donne aussi le PDF de l’article d’André Markowicz paru ce jour dans Le Monde.
Les commentaires postés à la suite de cet article méritent d’être lus : les seules invectives viennent de ceux qui parlent au nom de la Bretagne et considèrent que les bons nationalistes bretons n’ont rien à voir avec les méchants nationalistes russes.
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Enfin, il est intéressant de lire la presse régionale dans ce contexte : Ouest-France, par exemple, se penche sur le cas des entreprises qui commercent le plus avec la Russie et risquent de souffrir de la guerre : l’infortuné Yves Rocher qui dispose de près de cinq cents magasins en Russie arrive en tête. On ignore généralement que le premier poste d’exportation de la Bretagne vers la Russie est représenté par les savons et les produits de toilette (pour 22,6 millions d’euros). L’agroalimentaire ne fait que suivre, mais on se penche aussi sur le sort de l’infortunée entreprise jusqu’alors si bien soutenue par la Russie où elle exporte pour dix millions de produits par mois. Et Salaün, le spécialiste breton du voyage en Russie qui va de voir se tourner vers les Émirats arabes unis, le sultanat d’Oman, Israêl et la Jordanie.
L’Oréal ferme ses magasins en Russie : Yves Rocher, tel un roc breton, demeure ferme. Au moment où des centaines d’entreprises cessent tout échange avec la Russie de Poutine, la question semble loin d’être à l’ordre du jour parmi les affairistes bretons. Mais, dans le même temps, Produit en Bretagne crée un label vertueux afin d’inciter les Bretons à être fiers d’être bretons. Ce qui ne va pas de soi.
Si j’ai omis de mentionner la parution du Grand Livre vert début novembre, c’est tout simplement que le diffuseur avait oublié de me faire parvenir mes exemplaires (il avait de même oublié les éditions MeMo et nous avons dû nous contenter d’offrir pour Noël aux enfants de notre entourage une petite carte leur promettant dans un avenir proche LeGrand Livre vert). En fait, par la suite, le livre est arrivé si tard qu’entre-temps je m’étais consacrée à L’Oiseau-loup et autres activités au théâtre…
Bref, il est paru, il est très beau. Il est d’ailleurs, à mon avis, bien plus beau que le volume original vert épinard. Surtout, ce que ne montre pas l’image, c’est la qualité du papier, doux et ivoiré, et le soin apporté à l’encrage et à la mise en page. Ah, c’est autre chose que l’édition Gallimard criarde et plastifiée. On ne se moque pas des enfants…
Le principal intérêt du livre, bien sûr, ce sont les gravures de Maurice Sendak, petits chefs d’œuvre de finesse et d’ironie… Publié en 1962, le livre compte au nombre de ceux de la grande période de Sendak : il est paru juste avant Where the Wild Things Are qui (traduit en français sous le titre Max et les maximonstres) est son livre le plus célèbre. On peut se demander d’ailleurs si Max n’a pas un peu à voir avec Jack, le personnage du Grand Livre vert. Jack, l’orphelin rebelle, découvre un livre de magie et se change en petit vieux pour faire enrager son oncle et sa tante aussi stupides que rechignés. Le principe du monde à l’envers servant à rétablir une sorte de justice est prolongé par les mésaventures du chien pourvoyeur de civets qui se voit soudain poursuivi par le lapin…
L’intérêt vient aussi du texte de Robert Graves (1895-1985), poète prolifique plus connu pour ses romans historiques et ses récits sur les mythes européens que pour ses livres destinés aux enfants.
Les éditions MeMo ont eu la bonne idée de rassembler sur un prospectus les livres de la collection « Les petits trésors de Sendak » que j’ai traduits : nous en sommes à douze.
Bizarrement, cette expérience semble être passée à peu près inaperçue. Le travail effectué par la médiathèque de Rostrenen n’en est que plus remarquable. Espérons que l’exposition pourra circuler et permettre aux enfants de s’intéresser à l’illustration, à la traduction, à l’association du texte et de l’image et à surtout l’humour qui, par les temps qui courent, fait si cruellement défaut.
L’an passé, en plein confinement, nous avions travaillé au TNP avec les étudiants de l’IRIS sur L’Oiseau-loupet la manière dont ils avaient dit ce texte avait été si juste et portée par une telle empathie que Jean Bellorini avait eu l’idée d’en faire un spectacle, qu’il a lui-même mis en scène la semaine passée.
Tandis que nous travaillions sur L’Oiseau-loup, j’avais demandé s’il était possible que des acteurs disent ma traduction de La Folie Tristan que je venais alors tout juste de finir et que je souhaitais entendre. Cette lecture m’a permis de corriger de nombreuses fautes et c’est en l’écoutant que Jean Bellorini a pensé qu’il serait intéressant de la donner à travailler aux étudiants du Conservatoire de région dans le prolongement d’Avril et de L’Oiseau-loup.
Le livre est donc paru aux éditions Mesures pour permettre aux étudiants de plonger dans ce texte du XIIe siècle qui avait de quoi les désemparer…
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De fait, au début, découvrir l’ancien français, l’octosyllabe, les épisodes de la légende racontés par Tristan déguisé en fou et la langue si particulière de la traduction avait de quoi surprendre. Puis tous se sont emparés de ce texte, au point de donner l’impression qu’il devenait quelque chose comme un bien partagé, les voix se répondant, le poème devenant clair et le déroulement fluide. Nous avons alors décidé d’ajouter « Le lai du chèvrefeuille » comme un complément léger, et ce sont les élèves eux-mêmes qui ont décidé que chacun apprendrait son morceau par cœur.
Une dernière répétition, et il n’y avait plus qu’à attendre le public.
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Surprise d’entendre trois élèves chanter ensemble l’une de mes chansons préférées, « Belle qui tient ma vie… », une chanson d’amour qui faisait une transition merveilleuse entre La Folie Tristan et « Le lai du chèvrefeuille », je leur ai demandé s’ils accepteraient de la chanter en scène et ils ont accepté aussitôt. Grâces leur soient rendues : c’était un moment fragile qui venait confirmer l’impression d’entendre des voix dans un chœur, se relayant, se faisant écho et participant à une œuvre faite par tous pour tous. Nous étions bien loin d’un travail d’élèves… Le public l’a bien senti et l’ovation qui a salué cette mise en voix par de si jeunes acteurs de textes si anciens n’a fait que souligner ce que chacun ressentait : remercions la spectatrice qui s’est levée pour dire qu’elle avait été bouleversée car elle percevait quel sérieux, quelle écoute et quelle finesse il avait fallu pour aboutir à ce travail choral. C’était tout simplement magnifique.
Voilà un mois que je dois annoncer la parution de L’Oiseau-loup et que je ne sais rien en dire, sans doute parce que c’est un livre auquel je tiens trop, sans doute aussi parce qu’il touche à trop de domaines. Il est pourtant paru en janvier pour accompagner le spectacle qui a été donné samedi au TNP (et qui s’est très bien passé, mais à ce sujet, là encore, je ne sais rien dire). Or, voilà qu’André Markowicz reçoit un message de Pierre Meunier, un grand acteur, un ami de longue date et un abonné aux éditions Mesures. C’est la première lettre qu’il m’ait écrite et la première lettre que je mets en ligne sur ce site – je la publie car elle justifie à elle seule l’existence de ce livre. Et le rapprochement avec les rêveries de Bachelard en dit plus long que je ne le saurais. C’est aussi l’occasion d’annoncer le spectacle autour et à partir de Bachelard…
« Cher André, merci pour ces arrivages toujours captivants de nouveaux livres à découvrir, emballés et postés par tes soins…
Je n’ai pas le mail de Françoise mais je compte sur toi pour lui transmettre ce petit mot écrit après la lecture de L’Oiseau-Loup.
Chère Françoise, je veux te dire à quel point les jours entre Noël et le 1er janvier ont été marqués pour moi par la découverte de ton si bel Oiseau-Loup. Il s’est ouvert et m’a happé, je me suis laissé faire, c’était si bon et si doux, avec le sentiment de traverser au fil des jours une contrée à la fois familière par l’attention que tu portes à la moindre des choses et sans cesse surprenante dans sa vérité humaine et sensible. Je n’ai pas pu me détacher de ce monde que tu donnes à ressentir si fortement. Comme j’aime ta liberté de choisir la forme qui te convient le mieux entre le poème, la prose, et tout cet air, ces espaces vierges entre les paragraphes et les pages, autant de respirations, de silences, de rêveries possibles pour le lecteur aux yeux brillants.
Quelle âpreté, c’est la vie à l’os, rien n’est enjolivé, la pluie glacée cingle, la boue aspire vers le bas, les cadeaux entre humains sont rares, et en même temps d’infimes notations illuminantes, intimement éprouvées, viennent constamment révéler où se tient la vraie richesse. Le lien entre l’immensité du ciel et la paume de la main d’un enfant se fait limpide, simple. Ce « simple » là, donne l’idée du travail d’écriture accompli, de l’exigence sans concession de vérité que j’ai senti tout au long du poème. Et qui en fait sa force captivante. Je te remercie du fond du cœur pour ce présent magnifique !
Bachelard aurait grandement aimé ton livre, il en aurait extrait moult citations pour ses ouvrages sur la rêverie ou les éléments, c’est sûr, c’est indéniable, c’est dommage qu’il soit parti si loin.
Nous cohabitons depuis plusieurs mois avec ses mots, jusqu’à en avoir fait un spectacle tout récemment. Il s’agit de Bachelard Quartet, avec deux grandes musiciennes, une violoncelliste et une pianiste et moi-même qui donnons à entendre sa pensée poétique autour des quatre éléments. Nous jouons au Théâtre de Montreuil du 20 au 27 janvier (sauf le 24) puis au Mans les 10 et 11 mars avant quelques autres villes dont Lorient du 17 au 19 mai. Ce serait un bonheur de vous compter parmi nous lors d’une de ces traversées !
Samedi à 16 h au TNP, première représentation au monde de L’Oiseau-loup d’après le texte qui vient de paraître aux éditions Mesures.
Nous avions déjà passé une semaine l’année dernière à travailler sur une version scénique du texte avec les étudiants de l’IRIS – merveilleux souvenir.
Cette fois, c’est une version légèrement abrégée qui est mise en scène par Jean Bellorini. Il a accompagné ce travail depuis le début en témoignant d’une attention et d’une compréhension vraiment bouleversantes, régi le son et les lumières et confié à Mélodie-Amy Wallet et Marc Plas le soin de dire le texte avec, en contrepoint, l’euphonium d’Anthony Caillet.