Résistance

Les rencontres qui viennent d’avoir lieu sont beaucoup plus que des rencontres : l’occasion de donner à entendre la parole de ceux des Russes qui, héroïquement, résistent à la dictature et à la folie meurtrière du pouvoir. 

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©Chritine Bessi

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Daniil Beilinson a dû prendre le parti de quitter la Russie où sa vie et celle des siens était menacée. Réfugié en France depuis le mois de mars avec sa famille, il continue de faire vivre le site de l’organisation de défense des droits de l’homme qu’il a créée : OVD info

Le samedi 7 janvier à 16 h la radio libre Aligre FM a diffusé l’entretien de Christine Bessi avec Daniil Beilinson et André Markowicz. Il est possible à présent de l’écouter en ligne… ou encore de la lire sur le site de la radio grâce au travail minutieux de Christine Bessi. 

C’est d’ailleurs l’occasion de découvrir « Dialogues », l’émission qu’elle anime, émission « consacrée aux échanges pluriels » (qui, le 21 janvier à la même heure présentera l’expérience de création des éditions Mesures).  

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© Émile Zieizig

Tatiana Frolova, elle, a fini par se résoudre à quitter la Russie après avoir pendant plus de trente ans dirigé le théâtre KnAM à Komsomolsk-sur-Amour. Ce petit théâtre était devenu depuis bien longtemps le symbole même de la résistance à la guerre, à la réécriture de l’histoire et à la terreur. Pour la décider à quitter la Russie, il a fallu que l’air devienne vraiment irrespirable…

Le 8 janvier, à la médiathèque Marcelline Desbordes-Valmore de Lyon avait lieu une rencontre avec elle, Jean Bellorini et André Markowicz. L’occasion en était la mise en scène du Suicidé de Nikolaï Erdman au TNP, mise en scène qui connaît un triomphe et qui, en soulignant les liens avec l’actualité, est aussi un acte de résistance. Jean Bellorini a su, chose exceptionnelle, provoquer ce rire qui appelle le sanglot –  le rire qui rend les comédies d’Erdman si bouleversantes. 

Magnifique rencontre et salle comble mais de nombreuses personnes ont été déçues de ne pas pouvoir entrer.   

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© Jacques Grison

Pour se consoler, il est possible de regarder en ligne quelques extraits du Suicidé  ou d’aller voir la pièce à Villeurbanne jusqu’au 20 janvier, puis les 27 et 28 janvier à Massy, du 9 au 18 février à Bobigny et ensuite à La Rochelle, Compiègne, Marseille, Amiens. 

Je n’exagère pas en disant qu’elle connaît un triomphe… en témoigne la petite vidéo du huitième rappel que m’adresse une spectatrice.

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Bonne année !

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Pour ouvrir la nouvelle année, quoi de mieux qu’une image d’Yvonne Kerdudo, l’une de ces merveilleuses images sur plaques de verre transmises au risque du temps et que les fractures ont rendues plus précieuses ? Ce petit garçon qui semble sourire à l’avenir, quel symbole ! Si je ne l’ai pas fait figurer parmi ceux dont j’ai retenu l’image pour Les Enfants de la guerre, c’est que la photographie, si belle, était trop forte et le symbole trop visible. Adieu, regrets puisqu’elle trouve ici sa place… Adieu, regrets, adieu, la vieille année. Puisse celle qui vient être digne du sourire de ce petit garçon qui tient d’une main si ferme la crinière de son cheval de carton. 

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François Tanguy

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La disparition de François Tanguy, si subite, laisse l’impression de voir s’effondrer un monde – celui qui a été le nôtre si longtemps au théâtre, ce monde d’optimisme qui autorisait, côté lumière, toutes les expériences de création et, côté nuit, toutes les protestations contre l’inadmissible. Depuis Le Chant du bouc jusqu’à Par autan qui devait se donner au Théâtre de Gennevilliers le 8 décembre, et depuis la grève de la faim pour la Bosnie aux rencontres sur l’Ukraine, la même énergie de vie animait l’incroyable aventure du Théâtre du radeau, naviguant de campement en campement, et donnant même à la Fonderie l’allure d’un radeau prêt à lever l’ancre.

La chose est bien oubliée maintenant, mais c’est à François et au comité de soutien fondé par Madeleine Louarn que je dois d’avoir résisté aux attaques judiciaires et autres des nationalistes bretons. Je viens, par une bien triste coïncidence, de retrouver un exemplaire de la pétition qui avait alors été signée par tant d’écrivains, de chercheurs, de directeurs de théâtre et de metteurs en scène, depuis Peter Brook jusqu’à Emmanuel de Véricourt qui avait ouvert le TNB au comité de soutien, jusqu’à Sabine Wespieser, toute jeune éditrice… Le théâtre était alors le lieu d’une résistance farouche au nationalisme et les violences qui m’étaient faites ont été l’occasion d’une réflexion sur le communautarisme qui nous a permis de nous rassembler autour de plusieurs actions, bien oubliées aussi à présent, et qui demandaient temps, patience et solidarité. Ainsi avons-nous protesté contre la réhabilitation de collaborateurs des nazis comme Hemon et Drezen – combat inutile, dira-t-on, puisque la vague de communautarisme, au théâtre et ailleurs, et la soumission des élus aux nationalistes a balayé tout notre travail, mais, disait-il, je m’en souviens, lors d’une rencontre en plein cœur d’un été, pourquoi viser l’efficacité ? « Nous avançons comme aveugles en plein jour »…

Il m’avait offert comme cadeau d’anniversaire une lanterne et, s’adressant à la lanterne comme les artisans du Songe d’une nuit d’été (qu’il avait mis en scène et que nous avions par la suite traduit pour Madeleine Louarn et répété à la Fonderie), il s’était lancé dans une improvisation sur le thème du clair et de l’obscur – côté lumière, côté nuit toujours… 

  • « Cette lantorne est la lune à deux cornes
  • Et, moi j’incorne l’Homme dans la lune… »

Faire surgir l’homme de la lune est un art qui ne se pratique pas sans risque. Comment ne pas se souvenir de la présence de François à la naissance des éditions Mesures ? Comment ne pas lui être à tout jamais reconnaissant de son accueil, de son talent, de sa drôlerie et de son amitié ? 

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Censure (suite) 

Comme plusieurs lecteurs, à la suite de l’annonce ici de l’invitation à présenter Les Enfants de la guerre à la librairie « Comment dire » m’ont écrit pour me demander où se trouvait l’injonction d’avoir à ne pas lire Le Monde comme si, je précise qu’elle ouvrait le site de l’association Kendeskiñ rassemblant des étudiants de Celtique de l’université de Rennes. À la suite des questions de ces lecteurs, cherchant à mettre le lien vers cette page, j’ai découvert qu’elle avait été récemment supprimée – mais comme je disposais d’une capture d’écran, je la donne ici, utile complément du chapitre Censure de ce site. 

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« Un livre à ne pas lire »… L’injonction a le mérite d’amener à constater, d’une part, que Le Monde comme si est plus actuel que jamais et, d’autre part, que ces étudiants de Celtique ne se contentent pas de rappeler la fatwa lancée contre ce livre mais l’appuient sur les inepties déversées par le responsable d’un site indépendantiste lié à l’extrême droite (lequel était venu l’an passé filmer mon enfarinage, prévu par des nationalistes bretons qui n’admettaient pas que je sois invitée à parler de la traduction du Maître et Marguerite, vu que j’ai interdiction de l’exprimer sur le sol breton, quel que soit le sujet. )

Ce détail qui n’en est pas un constitue aussi une utile mise en contexte de la première invitation depuis vingt ans à évoquer publiquement mon travail à Rennes en dépit de cette interdiction. Il fallait du courage pour braver l’interdit, et j’en profite pour saluer ce courage (et dire à quel point cette rencontre était drôle, chaleureuse et réconfortante). 

Détail qui n’en est pas un non plus, un lecteur me fait savoir que cette association ne rassemble pas, comme chacun pourrait le croire, les étudiants de Celtique de l’université de Rennes mais une poignée de militants inscrits sans même avoir besoin du baccalauréat pour l’obtention d’un diplôme d’études celtiques imaginé en 2012 par le sociologue Le Coadic, un autonomiste défenseur de la cause ethniste. Ce diplôme à usage indéfini, qui bénéficie d’une abondante propagande dans les médias bretons, rassemble, d’après les déclarations de ses responsables dans cette même presse, une vingtaine d’inscrits les bonnes années – des inscrits qui semblent être dans l’ensemble des retraités en quête de leurs racines celtes ou des militants soucieux de les promouvoir.

C’est ce souci qui a provoqué la fureur de Le Coadic et de ses partisans contre l’exposition Celtique ? qui s’est terminée le 4 décembre après une visite guidée organisée par ces partisans de la cause panceltique. 

Or, et c’est en quoi l’invitation préalable à censurer Le Monde comme si est intéressante, le journal Le Monde a consacré un article à cette exposition et à la polémique lancée par Le Coadic et Kendeskiñ. Cet article est intitulé « L’exposition “Celtique ?” contrarie les Bretons ». 

Ainsi trois pelés et deux tondus inscrits à l’université sans le moindre titre pour l’obtention d’un diplôme fumeux incarnent-ils « les Bretons », présentés comme outragés par une exposition qui ose « interroger » leurs supposées « racines celtes ». Au nom du peuple breton qui ne leur a rien demandé, ils sont autorisés à organiser une visite d’une exposition selon eux non conforme à la doxa. Et cela pour des motifs qu’ils ont déjà pu non seulement exposer mais imposer puisque, suite aux injonctions de Le Coadic et autres nationalistes fulminants (dont le barde Stivell, qui n’a pas craint de dénoncer une exposition qu’il avait glorieusement parrainée), les textes de cette exposition ont été récrits, les responsables cédant servilement à leurs injonctions. 

Le Monde comme si dénonçait le formatage idéologique visant à faire du Breton un Celte pour des motifs prudemment passés sous silence : l’exposition chargée du formatage comportant quelques lacunes (et un point d’interrogation hérétique), le lobby nationaliste a imposé sa loi.  

C’est ainsi que s’exerce la censure. 

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NB : Je me suis abstenue de commenter cette exposition pour laisser se développer l’instructive polémique à son sujet sans y participer, au risque de polariser sur moi comme de coutume la vindicte celtomaniaque, mais il va de soi que l’exposition elle-même et le catalogue, s’inscrivant dans la suite des expositions à la gloire de Xavier de Langlais et des Seiz Breur organisées par ce même Musée de Bretagne, constituent un condensé idéologique de tout premier choix. 

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Les Enfants de la guerre

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Voilà le premier exemplaire des Enfants de la guerre paru hier après-midi. Sous sa couverture délicatement ivoirée (ce que l’image laisse ignorer) et sur papier tatami lisse et velouté à la fois, il inaugure une nouvelle série aux éditions Mesures. 

C’est un pari que je voulais tenir d’abord pour rendre hommage au fonds de photographies d’Yvonne Kerdudo qui a été sauvé par Pascale Laronze, Alain Le Meur et la compagnie Papier Théâtre, ensuite pour offrir un prolongement au beau livre qu’ils lui ont consacré aux éditions Filigranes et, en même temps, un prolongement aux volumes de Sur champ de sable et à L’Oiseau-loup car les images d’Yvonne Kerdudo sont aussi le miroir de ce monde qui achève de disparaître.  

Je ne pensais bien sûr pas en imaginant de rassembler ces portraits d’enfants et de soldats comme une sorte de roman de la guerre que l’actualité leur donnerait une présence étrange en rendant plus cruelle cette protestation silencieuse. 

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Autre événement à marquer d’une pierre blanche : nous pourrons présenter Les Enfants de la guerre et les quatre autres livres de la saison IV des éditions Mesures le jeudi 8 décembre de 18 h 30 à 20 h 30 à la librairie « Comment dire »– magnifique librairie qui vient de s’ouvrir au 5 rue Jules Simon à Rennes. 

C’est la première fois depuis vingt ans que j’interviendrai publiquement à Rennes, ce qui mérite d’être souligné comme preuve du courage d’Aliénor Mauvignier qui, non contente de créer une toute nouvelle librairie, véritable défi, comme elle le dit, ne craint pas de braver l’interdit, pourtant plus actuel que jamais puisque l’association des étudiants de celtique de Rennes II vient de promulguer une injonction d’avoir à ne pas lire Le Monde comme si, livre paru voilà exactement vingt ans et qui, tel les Versets sataniques, reste objet de malédiction.

Il est vraiment réconfortant de penser qu’une librairie peut être aussi un espace de liberté. 

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Naissance du livre…

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D’ordinaire, après avoir relu ses épreuves et donné son bon à tirer, l’auteur reçoit son livre par la poste : il le découvre alors tel qu’il est destiné à vivre sa vie (une vie peut-être brève puisque l’éditeur peut l’expédier au pilon s’il ne se vend pas assez vite), avec son papier, son illustration de couverture (qu’il n’a souvent pas pu choisir), sa typographie, ses couleurs, bref, tout ce qui lui donne sa présence. Cette découverte peut être une heureuse surprise mais il m’est arrivé aussi de trouver carrément hideux le livre auquel j’avais apporté tous mes soins, voire de constater que l’illustration était un contresens qui changeait complètement le sens de mes textes. 

Plus jamais ça ! L’une des raisons pour lesquelles nous avons créé les éditions Mesures est justement la volonté de faire en sorte que la typographie, le papier, l’illustration puissent être pensés comme des éléments constituant un ensemble ayant sa vie propre. 

Pour le dernier-né des éditions Mesures, un livre associant le texte et l’image, ou plutôt les textes nés des images, les photographies sur plaques de verre d’Yvonne Kerdudo, le travail avec l’imprimeur était primordial : il ne s’agissait pas seulement de choisir le papier mais aussi le format, la mise en page, la présentation des photos. Tout était à repenser et le moindre élément était signifiant. 

Nous pensions avoir pris toutes les décisions requises lorsque – chose naturellement interdite à l’auteur lambda –, j’ai été invitée à participer au calage, c’est-à-dire à la finalisation de la couverture.

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Or, au dernier moment, j’ai été saisie d’un doute : fallait-il mettre le titre en noir comme pour tous les autres volumes des éditions ou le mettre en rouge comme l’idée m’en était venue subitement ? Sur papier blanc, le rouge était un peu voyant, mais sur le papier ivoiré des couvertures de Mesures, il était nettement plus beau. 

Encore fallait-il trouver des imprimeurs assez dévoués, attentionnés et passionnés pour procéder au tirage d’un unique exemplaire de la couverture. Le voilà ! Et Goulwen, Benjamin, Angélique et Yannick qui ont opté pour le rouge et tenu l’enfant sur les fonts baptismaux. 

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Ce n’était encore pas fini ! Au moment de terminer le calage du livre lui-même et de décider de l’intensité des noirs et des gris, voilà que la composition des titres en gris m’a semblée terne. Là encore, sur fond blanc, c’était beau et sur fond ivoiré, c’était comme une incongruité : on attirait l’attention du lecteur sur le titre et en même temps on lui donnait moins de force en regard du texte composé en noir. Accentuer le gris était impossible sans changer les valeurs adoptées pour les images. Ce n’était pas grand-chose et les lecteurs n’auraient peut-être pas accordé beaucoup d’importance à la couleur des titres : je n’aurais pas insisté sur cette petite réserve et j’ai été sidérée d’entendre Norbert qui procédait au calage me dire qu’il était possible de tout reprendre pour que le livre soit vraiment tel qu’il devait être. 

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Incroyable mais vrai ! Nous sommes restés assister à la remise au jour du livre… 

Ce travail est le plus précieux de tout. Pas seulement parce qu’il donne aux images d’Yvonne Kerdudo leur présence, ce qui pour moi était l’essentiel, mais parce qu’il prolonge son regard et celui que j’ai porté sur ces images que j’ai découvertes comme un trésor commun à partager.

C’est aussi une forme de partage…  

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Rencontre à la librairie Le marque page

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Ce soir à 18 heures, nous présentons la quatrième saison des éditions Mesures à la librairie Le marque page à Quintin (magnifique librairie, comme on peut le voir – l’une des plus belles de France, et tenue par des libraires passionnés, ouverts et chaleureux).

Nous ne parlerons pas que des éditions Mesures… 

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Littérature et politique

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Très humbles, très soumis, très obéissants… et surtout très voraces (Daumier).

Touchée par l’article de Nina Yargekov, j’avais mis en relation cette rencontre de la poésie et de la politique avec l’instrumentalisation de la littérature par la politique telle qu’elle se trouve officialisée en Bretagne : le salon du livre de Carhaix fondé par des terroristes du FLB reconvertis dans l’édition est une plateforme des nationalistes rassemblant des éditeurs exclusivement bretons afin de faire avancer la cause sous l’apparence bénigne de l’amour des lettres. 

Il se trouve que, cette année, pour la première fois, cette affaire bien rôdée a provoqué quelques remous – pas une protestation contre la soumission de la littérature à la propagande (ce qui aurait dû être le premier devoir des instances en charge du livre en Bretagne) mais un rappel à l’ordre dû à l’instrumentalisation des élus eux-mêmes…

Le maire de Carhaix, l’autonomiste Christian Troadec, a, comme il fallait s’y attendre, ouvert le salon du livre par un discours. Cette année, la « nation » invitée étant la Catalogne, il était à prévoir que le discours serait particulièrement virulent. Il l’a été. 

Pour le clore, le maire de Carhaix, également conseiller régional en charge des langues de Bretagne et des Bretons du monde, a (non sans quelque difficulté) déployé une affiche et appelé les Bretons à la diffuser partout ainsi que des tracts destinés à être distribués dans toute la Bretagne. Ouest-France ayant mis en ligne une vidéo destinée à faire connaître cette opération, il est possible de juger de sa teneur.

Rassemblement pour une Bretagne Autonome (avec majuscule à l’adjectif), tel était le titre de l’affiche qui annonçait que ce rassemblement se tiendrait le 19 novembre à Carhaix. Suivait une liste d’une vingtaine d’élus et de militants nationalistes qui y assisteraient sous l’égide de Loïg Chesnay-Girard, président du conseil régional, de Jean-Guy Talamoni, indépendantiste corse, et de Lluis Puig, indépendantiste catalan. 

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Nul besoin d’avoir longtemps barboté dans le marigot nationaliste pour comprendre que l’autonomie revendiquée n’était que la résurgence de la vieille plaisanterie de Breiz Atao telle qu’énoncée par Olier Mordrel en son temps : l’autonomisme comme masque de l’indépendance due à la nation bretonne. 

Encore une fois, rien là que de banal : les auteurs, les éditeurs ainsi engagés dans ce combat se sont tus, tous complices comme de coutume car une occasion de se vendre ne se refuse jamais. 

Mais, ô surprise, c’est que ni Chesnay-Girard, ni la communiste Delphine Alexandre, ni l’écologiste Claire Desmares, ni, pour la très droitière Isabelle Le Callennec, ni les autonomistes Cueff et Molac figurant sur la liste n’avaient été avertis qu’ils participaient au Rassemblement. N’ont-ils pas voté le vœu pour l’autonomie de la Bretagne qui figure en arrière-fond de l’affiche ? Ils étaient complices, pourquoi ne le seraient-ils plus ? Face à ce lâchage, C. Troadec évoque une petite « erreur de communication». 

Les défenseurs du gallo protestent aussi, rappelant que le vice-président du conseil régional est en charge des « langues de Bretagne » mais a choisi de tenir son Rassemblement juste au même moment que le rassemblement pour la défense du gallo (mais, bon, le gallo, dans le panorama des nations celtes vouées à se libérer…). 

Et c’est dans cette foire aux livres que ce pauvre Armand Robin, l’ennemi de tous les nationalismes, le partisan de l’universalisme, se trouve embringué. 

« La vérité, quoi qu’il puisse en coûter – la littérature n’a jamais eu d’autre objet », telle est la conclusion de l’article de Nina Yargekov. Alors, disons-la : le dévoiement de la littérature par les nationalistes n’est dû qu’à la lâcheté des élus, des auteurs, des éditeurs et des universitaires qui le cautionnent. 

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Brumaire

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Étrange destin d’un poème extrait du recueil Brumaire (que plusieurs lecteurs me disent relire en cette période de Toussaint) : l’ayant trouvé sur Facebook, Nina Yargekov a écrit un texte qui m’est d’abord parvenu via Radio France… 

 Cette rencontre de la poésie et de la politique mérite d’être soulignée au moment où se tient à Carhaix le salon du livre sponsorisé par la municipalité où règne l’autonomiste Christian Troadec – avec, cette année, pour accompagner les nationalistes catalans mis à l’honneur, la promotion du nazi Youenn Drezen ainsi associé au malheureux Armand Robin  une fois de plus victime du complice de ma plagiaire et promoteur du mythe du Poète que j’ai dénoncé dans la synthèse de mes recherches parue cette année (et objet d’une totale censure en Bretagne)… L’anarchie et le nazisme associés sous couvert de promotion des ethnies à libérer, Catalans et Basques venant unir leur voix à celle des Bretons opprimés, tandis que le maire célèbre l’union des « nations sans état » dont la Catalogne offre le modèle. 

Le prix Roparz Hemon n’est plus décerné suite aux protestations publiques mais le prix Xavier de Langlais continue de l’être : militant séparatiste de la première heure, collaborateur de la presse nazie raciste et antisémite jamais repenti, Langlais était-il moins responsable que Roparz Hemon ? Tout ça se mélange avec les prix décernés aux uns et aux autres comme aux comices et, cette année, la création d’un prix d’histoire décerné par les membres du sérail (dont le journal Le Poher créé par Troadec), le tout avec l’appui d’une sorte de ministère de l’Identité baptisé « Bretagne Culture Diversité » pour mieux anéantir toute diversité. 

Le ridicule de l’entre-soi mis au service d’un militantisme auquel chacun se soumet, pratiquant sans honte l’art de feindre : les éditeurs « français » étant interdits depuis l’origine, pourquoi des maisons théoriquement neutres quoique « bretonnes » viennent-elles cautionner cette opération de propagande destinée à promouvoir les pires éditeurs nationalistes ? Nulle voix pour protester contre ce festival créé, comme je le rappelais jadis dans Le Monde comme si, à l’initiative de terroristes du FLB – dont Charlie Grall, le seul à avoir en son temps refusé de condamner l’attentat meurtrier de Quévert et qui, cette année se livre à une virulente apologie des indépendantistes catalans réfugiés en Belgique. La littérature mise au service de la politique, et de la pire politique… « Le nationalisme, c’est la guerre » : la guerre et le mensonge, imposé par le biais de ce qu’Armand Robin appelait « la fausse parole ». 

Y a-t-il si loin, malgré les apparences, de l’horreur de la Hongrie à la Bretagne telle que son visage se dessine sous le règne chafouin de la censure et de la propagande ? J’ai lu le texte de Nina Yargekov comme une réponse. Le voici in extenso. Je la remercie de me l’avoir adressé. 

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LA RUSSIE, L’UKRAINE ET LE MIROIR DE MA SALLE DE BAINS

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« Mais jouir de ne plus savoir feindre. »  (Françoise Morvan, Orée

Je mets les pieds dans le plat : ici en Hongrie, d’où je vous écris cette longue carte postale, me regarder dans un miroir est devenu affreusement compliqué. En effet, constater chaque jour que le gouvernement de ce pays non seulement n’en a ouvertement rien à foutre de l’Ukraine, mais en prime se comporte exactement comme l’allié secret de Poutine, voire l’allié pas si secret que ça, et juste après l’avoir constaté, lancer nonchalamment une lessive, sortir ma chienne ou régler ma facture internet, cela me donne quand même légèrement la sensation de collaborer par le silence, par l’absence de protestation permanente, étant précisé que la protestation permanente par définition est impossible, car oui, il faut laver son linge, promener son animal ou payer ses factures ; quoi que je fasse ou ne fasse pas, que je crie parfois souvent ou jamais, ma seule présence sur le territoire implique de participer. Je respire le même air, je foule le même asphalte, je me nettoie avec la même eau que les autres ; je parle, j’interagis, je prends le métro, je vais chez le médecin, je paie des impôts et je mange des pommes avec des asticots hongrois dedans.  

La courtoisie rhétorique exigerait, j’en ai conscience, que je donne des exemples précis.  Que j’explicite pour quelle raison et sur quels fondements je m’autorise à affirmer : dans cette guerre, l’État hongrois, pourtant membre de l’OTAN et de l’Union européenne, cire consciencieusement les pompes du président russe. Que j’égrène les blocages, les refus, les critiques, les coups bas, et tout ce qui constitue l’expression d’une doctrine de discret sabotage, faisons chier autant que possible toutefois sauvons les apparences, des fois que le vent tourne. Que je raconte l’articulation entre politique extérieure et intérieure, les ficelles narratives de la communication gouvernementale et l’usage de la guerre comme épouvantail, mamans hongroises ne sanglotez plus, grâce à notre premier ministre vos fils ne verseront pas une goutte de sang pour l’Ukraine. Que je mentionne au moins, parce que c’était tellement clair, tellement ah d’accord si on avait encore une sorte d’espoir naïf alors vraiment on se réveille et arrête immédiatement d’accorder le bénéfice du doute, que le 3 avril dernier, dans son discours de victoire électorale, le chef de l’exécutif magyar a énuméré les adversaires dont il avait eu à triompher pour l’emporter : « la gauche hongroise, la gauche internationale, les bureaucrates de Bruxelles, l’argent et les organismes de l’empire Soros, la presse internationale grand public, et à la fin, même le président ukrainien » ; que sa langue n’ait pas aussitôt moisi dans sa bouche constitue la preuve ultime qu’aucune justice divine n’existe, il va donc falloir se démerder avec la justice humaine, mes agneaux. 

J’ai écrit beaucoup sur ces questions. Pour chaque épisode marquant, pour chaque jour où j’ai eu envie de hurler, j’ai des notes, des lettres, des morceaux de journal. Avec des brassées d’insultes et de malédictions, parce qu’il y a un moment, ça suffit la politesse. En vérité, bien sûr qu’aux membres de ce gouvernement et à leurs amis, je leur souhaite un procès équitable et la prison, ainsi que de lourdes peines d’amende, mais parfois j’ai juste besoin de formuler le vœu qu’ils aillent de toute urgence s’asphyxier dans une bassine emplie de cafards, mes excuses aux cafards. Bref. Après de longs errements, oui j’ai une méthodologie moyennement optimale, je produis 45 pages de brouillon pour finir par comprendre que je suis totalement hors sujet, j’ai réalisé que l’objet du présent texte n’était pas de brosser le tableau de la « politique ukrainienne » de la Hongrie. D’autres s’en chargent, les informations sont accessibles. Non, l’objet, je crois, c’est dire quelque chose de la traversée nerveuse, de l’épreuve psychique et du déchirement d’assister au naufrage moral du pays où j’habite. Je n’ignore pas qu’il s’agit là de problèmes de luxe, de problèmes de fille qui n’a à craindre ni les bombardements, ni les viols et les tortures. Cependant que faire d’autre, depuis ce pays en paix, mais où se trouve quand même, au-dessus de mon bureau, une liste intitulée « départ précipité » sur laquelle j’ai noté quoi emporter pour le cas où la guerre venait jusqu’à nous, si ce n’est énoncer la honte que je ressens ?    

J’aimais bien, voyez-vous, cette idée d’être une fille gentille. Je dois admettre que j’y étais même assez attachée. Cela flattait mon égo, je suppose. Je pensais : ma grande, sans doute que tu passes souvent pour totalement perchée, excessive, pénible, psychorigide ou obsédée par des problèmes dont tout le monde se fiche royalement, ainsi lorsque tu organises des jeux olympiques d’oléagineux dans ta tête et que tu annonces crânement que les amandes ont gagné le 100 mètres et les noix de cajou le sabre par équipe, c’est probablement un brin fatigant pour tes proches, mais une chose est sûre, on ne peut raisonnablement te soupçonner de torturer des bébés dauphins dans la baignoire secrète de ta cave. Et bien qu’il soit un brin ridicule de le formuler ainsi, il était important, oui, important pour moi de pouvoir considérer, à tort ou à raison, sachant que dans mon esprit c’était évidemment à raison, sinon il m’aurait été impossible de le considérer dans la mesure où je tâche d’être un minimum de bonne foi dans mes conversations avec moi-même ; et donc, oui, il me tenait à cœur de pouvoir considérer que dans l’ensemble, je suis plutôt une bonne personne. Bienveillante, respectueuse, tout ça. Du coup, cela me contraire beaucoup, non pardon, ça défonce littéralement l’architecture morale de mon psychisme que de me retrouver, pour le dire vite, dans le camp des agresseurs. Du côté de la honte, dans ce lieu poisseux où la boue me recouvre, où les larmes me montent aux yeux, où je ne cesse de me répéter que plus tard, écœurés et perplexes, des écoliers se demanderont : comment ont-ils pu ?

Désormais, nous sommes le mal. Et moi, j’ai la sensation d’habiter dans la cellule de prison partagée par Gargamel, le Joker et Charles Manson. Vision manichéenne, simpliste, idiote – tout ce que vous voudrez. Le réel se caractérise par son extrême complexité, m’opposerez-vous. Vous prêchez une convaincue. Toutefois. Face aux rues de Boutcha, face à l’hôpital de Marioupol, face au centre commercial de Krementchouk, permettez-moi d’être manichéenne. Permettez-moi d’en avoir rien à foutre de la complexité du réel. Permettez-moi de déclarer qu’aujourd’hui, pour un pays européen, et j’insiste, je ne parle pas de la Thaïlande, du Mexique ou de l’Afrique du Sud, qui ont bien le droit de se désintéresser de l’Ukraine, mais pas nous, pas en Europe, il n’existe que deux options : contre Poutine ou avec Poutine. Or la Hongrie, d’une manière qui en d’autres circonstances aurait pu passer pour comique, on se croirait dans un inédit de Goldoni ou de Molière, a choisi de devenir le servile larbin du maître du Kremlin. Son empressé et mielleux courtisan. Cher Vladimir, vous reprendrez bien un zeste de blocage de sanctions ? À moins que vous ne préfériez une petite sortie de route anti-Ukraine ? Mais nous avons aussi, plus classique, notre célèbre numéro de colombe de la paix, vous verrez à force ils comprendront qu’une victoire russe, pourvu qu’elle mette fin aux combats, constitue la solution idéale pour sortir de cette ennuyeuse crise géopolitique. Ma chienne, je vous le jure, quand elle réalise que j’ai une friandise cachée dans la poche, se comporte avec mille fois plus de classe que ce gouvernement. Parce que ma chienne, elle n’est pas prête à tout pour une friandise. Après, il ne faut pas non plus espérer qu’elle aille se battre en Ukraine, surtout qu’elle est rikiki et ressemble à un lapin, mais je veux dire : dans sa hiérarchie des priorités, il existe des choses plus importantes qu’une friandise. Son instinct, sa fidélité à sa nature profonde primeront toujours sur la friandise. La fidélité, voilà exactement ce qu’il manque à la Hongrie actuellement. 

Du moins à la Hongrie que je croyais connaître. Soit un pays où malgré les dérives actuelles, il resterait quelque chose de l’esprit de l’insurrection de 1956. De l’aspiration à l’auto-détermination, à l’indépendance, au libre choix de se tourner vers l’Ouest. Cette Hongrie-là, qui peut-être n’existe que dans mon imagination et celle de quelques hipsters de Budapest, avait pour obligation morale de se montrer solidaire de l’Ukraine. Pas parce que c’est la Russie qui agresse et que les chars dans les rues de Budapest étaient soviétiques. Pas non plus parce que nous aurions des affinités particulières avec les Ukrainiens : savoir si votre voisine a oui ou non bien arrosé vos géraniums en votre absence n’est pas un critère quand elle se fait massacrer sous vos yeux. C’était notre obligation morale, au-delà du principe général qui commande qu’on évite si possible de se lier d’amitié avec un dictateur belliqueux, parce qu’à l’instar d’autres pays de l’ancien bloc communiste, nous savons précisément combien ça fait mal, de se faire écrabouiller par une grande puissance. Mais non. La Hongrie s’en lave les mains, ceci n’est pas notre guerre, ceci n’est pas notre sang, ne comptez pas sur nous pour avoir froid l’hiver prochain ; et puis ces Ukrainiens, s’ils voulaient vraiment la paix, ils renonceraient à des bouts de leur territoire et ce serait plié, donc camembert. Si vous saviez ce que ça brise dans le cœur, une telle trahison : envers l’Europe, envers nous-mêmes. 

Autrefois, l’émigration me paraissait constituer la solution des lâches. Je me scandalisais de l’exil d’André Breton pendant la Seconde guerre mondiale et brandissais Paul Éluard, lui au moins est resté, lui au moins a résisté. Je préfère toujours Éluard, autrement plus puissant, autrement plus vibrant sur le plan littéraire, cependant mépriser Breton, je ne le peux plus. D’ailleurs, Breton, pourquoi est-il parti, craignait-il pour son intégrité physique ou refusait-il par principe de respirer l’air fétide de Vichy, je n’en sais trop rien. Peu importe. Ce qui importe, c’est que se barrer pour cause de nausée politique, dorénavant je saisis plutôt bien le concept. Parce que je sais. Je fais cette expérience. Chaque jour inspirer, expirer l’oxygène corrompu. Insomnies, phalanges qui blanchissent, lente intoxication. Les nouvelles, la propagande. On n’échappe pas au pourrissement intérieur. À tel point que ce printemps, l’idée de me rendre en Pologne m’obsédait absolument. Je m’imaginais marcher dans les rues de Varsovie, joyeuse et soulagée, comme on rêve de séjourner au sanatorium. L’air polonais pour soigner mes poumons : si pur, si propre, si irréprochable. Depuis le début de la guerre, je crève d’envie de Pologne, eux soutiennent indéfectiblement l’Ukraine tandis que nous nous vautrons dans l’indignité. Qu’un pays où l’avortement est quasi interdit et où il existe des zones « anti-LGBT » ait acquis à mes yeux le statut d’Eldorado moral en dit long, me semble-t-il, sur le délabrement de mon système de valeurs. 

Sauf que partir, en Pologne ou ailleurs, je ne le souhaite pas. Ce n’est pas uniquement la splendeur du Danube, ma flemme de déménager ou le fait que Budapest demeure un bastion de l’opposition où le climat est doux, libéral, cosmopolite. Ce n’est pas non plus, même si cela y contribue, uniquement parce que possédant un passeport français en plus du hongrois, je sais qu’en cas de besoin, il me sera possible de plier bagage en deux temps trois mouvements, luxe qui rend plus facile le choix de rester. Cela procède plutôt d’une sorte de fierté. Partir reviendrait à admettre que ce gouvernement a le pouvoir de me faire déménager. Surtout, je sais que ma honte, je l’emporterais avec moi. Je préfère l’affronter en face-à-face. En découdre frontalement, pas depuis une planque à l’étranger. Et puis, comment le formuler, une part de moi m’enjoint de rester, de tenir, de continuer, ici et pas ailleurs car c’est ici que ça se passe, ici que ça se joue, ici qu’éclate et fleurit le déshonneur de l’Europe ; une part de moi qui me susurre que j’ai quelque chose à traverser, ou comprendre, ou écrire dans ce pays, et que partir reviendrait à renoncer à cette mission.  

Puisque je reste, autant me rendre utile et organiser la révolution, me direz-vous. Alors oui, mais non. C’est-à-dire que la volonté de révolution me dévore toutefois je suis réaliste, je ne possède pas du tout le profil psychologique. Déjà parce que cela implique du collectif, une révolution, tandis que moi, ce que je préfère dans la vie, c’est passer du temps seule chez moi en pyjama. J’apprécie les gens, mais pas trop souvent. Sans compter l’énergie mentale. La situation présente, pas seulement l’Ukraine, mais aussi la politique intérieure, dévore nos forces vives. Je ne compte pas les amis qui déclarent, je ne dors plus à cause de la politique. Le pouvoir attaque par rafales, des réformes votées sans consultation aucune se suivent à un rythme effréné. Et les affaires, et l’indépendance de la justice, et les médias, et le massacre des forêts, et les météorologues. Chaque semaine, un nouveau chapitre de notre dystopie nationale ; émouvantes similitudes avec le roman fou que Poutine compose pour la Russie.  Se révolter pour tout est humainement impossible ; je demeure concentrée sur ma honte. 

*

Alors, il faut vivre cette situation. Non pas s’en accommoder, mais trouver, ou du moins chercher, ne jamais cesser de chercher le chemin. Creuser sans relâche le sillon. Dans cette recherche, les textes qu’André Markowicz, poète et traducteur du russe, publie sur sa page Facebook, jouent un rôle essentiel. Tous les deux ou trois jours, un long billet sur la guerre. Si d’aventure il n’écrit pas sur la guerre, il écrit quand même sur la guerre, encore, toujours, obstinément. Je le lis avec passion, fièvre, toxicomanie. Ses textes me soutiennent ; je m’appuie dessus, parfois m’affale.  Car lui aussi, j’en ai la conviction, cherche le chemin. 

J’ignore si je suis bonne écrivaine, mais je me sais plutôt bonne lectrice. J’ai l’oreille. J’entends le juste, la musique, l’accent. Markowicz, son accent c’est la virgule, son usage de la virgule, cette sorte de souffle, presque un bégaiement, qui serpente, qui slalome, et qui vient paver une voie, construire une place. Lorsque dans ses textes consacrés à la guerre, il rapporte ou commente tel événement, ou discours, ou tournant, pour ma part j’entends, et je suis sûre, vraiment sûre de ne pas être la seule à venir pour ça, à lire sa page Facebook pour m’abreuver à ça, jamais explicitée et pourtant impérieusement présente, une question de vie ou de mort : la question de l’endroit où lui, Markowicz, se positionne dans cette guerre, et comment lui, et donc nous, ses lecteurs, pouvons y survivre psychiquement, pendant que d’autres risquent leur existence physique, réelle, matérielle. 

Au mois de juillet, Markowicz a publié un billet consacré à Orée de Françoise Morvan. À la fin de ce poème magnifique, on trouve ce vers totalement magnifique : Mais jouir de ne plus savoir feindre. J’ai passé une semaine à lire, chaque jour, ce poème. À pleurer en arrivant au dernier vers, sans savoir pourquoi. À me répéter, cela parle d’un renard floué et de fougères rousses et je n’y comprends rien et pourtant l’Ukraine. Je ne sais comment expliquer. Mais je suis persuadée, et tant pis si je me trompe, que Markowicz aussi pensait à la guerre, que le choix du poème, et le commentaire qu’il en donne, où il est question d’exigence de vérité, quoi qu’il puisse en coûter, constituent une manière de répondre à la guerre.   

Quelques jours plus tard, je marchais dans la rue avec ma chienne, qui ignore tout de la guerre – son monde n’est pas exempt de peur et de violence, cependant elle ne peut se représenter la guerre, et cette impossibilité, souvent, me fascine et me repose –, et soudain j’ai songé, Markowicz a tellement raison : la vérité, quoi qu’il puisse en coûter. Dans mon psychisme s’est dessiné un triangle, j’entendais Paul Célan dire Seules des vraies mains écrivent de vrais poèmes, j’entendais Paul Otchakovsky-Laurens dire La vérité est une forme, j’entendais Françoise Morvan dire Mais jouir de ne plus savoir feindre, tous les trois debout à chaque angle d’un triangle en laine écrue dans une clairière, je les voyais, je les admirais, et je marchais toujours dans la rue, et j’ai perçu une sensationnelle fusion entre le trottoir, les pattes de ma chienne, la laisse, ma main et mon cerveau, et j’ai été pendant une fraction de seconde persuadée d’avoir effleuré un secret jaillissant, un trésor, une clef, quelque chose de suprêmement important. Et flop, j’ai perdu le truc. 

*

Hier matin, un avion de chasse est passé au-dessus de mon immeuble. Boucan infernal, chienne qui aboie, et moi pétrifiée le cœur battant dans mon salon : les Russes bombardent Budapest, les Russes bombardent Budapest. Puis je me suis souvenue : Poutine n’attaquerait pas son fidèle larbin. Un tiroir de mon esprit, un minuscule tiroir souterrain s’est doucement ouvert. À l’intérieur, j’ai découvert un douillet soulagement : après tout, la trahison a du bon, puisque notre premier ministre a su s’attirer les bonnes grâces du Kremlin, dans le nid national hongrois je me sens en sécurité. Certes, le reste de mon psychisme, la commode à laquelle appartenait le tiroir, ainsi que l’intégralité des autres meubles, oui dans ma tête ça ressemble à un grand appartement bordélique, ont été horrifiés. De plus, il se trouve qu’à mon niveau de géopoliticienne de comptoir, je considère au contraire que la Hongrie s’est extrêmement mal positionnée : jouer double jeu revient à s’asseoir sur le siège éjectable traditionnellement réservé aux traîtres et en cas de guerre mondiale, si les deux camps doivent s’accorder pour sacrifier un pays, la Hongrie sera toute désignée. Mais il n’empêche : je me suis surprise en flagrant délit de gratitude, chut c’est un secret mais au fond du fond, qu’on soit potes avec Poutine ne me déplaît pas absolument.

Est-ce que c’est ça, le chemin, la mission, la clef ? D’abord retranscrire fidèlement la honte, dire ça me rend malade d’avoir du sang ukrainien sur les mains, dire j’aurais préféré le froid plutôt que le déshonneur. Il s’agit de la partie moralement confortable, regardez comme je suis une gentille fille, regardez comme mon cœur est pur. Et ensuite, affronter le minuscule tiroir, plonger à l’intérieur, voir la crasse, les cendres, les morts, et avouer : moi aussi j’ai peur, moi aussi je suis lâche. Dire que malgré Boutcha, malgré Marioupol, malgré Krementchouk, je suis capable, putain, oui je suis capable de me réjouir que la Hongrie se soit blottie sous l’aile de Poutine. Cela pour éventuellement, un jour, réussir à me pardonner et à nous pardonner. Je ne sais pas, mais oui, peut-être que c’est ça, jouir de ne plus savoir feindre ? La vérité, quoi qu’il puisse en coûter – la littérature n’a jamais eu d’autre objet.  

Budapest, le 30 août 2022.

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La quatrième saison des éditions Mesures

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Voilà, depuis hier la quatrième saison des éditions Mesures est ouverte. Notre petite maison a vogué comme une arche sur les turbulences du monde et, malgré les confinements, la guerre en Ukraine, le doublement du prix du papier, l’augmentation des frais de port, la prolifération de nouveaux titres et les difficultés que connaît la librairie, nous avons pu la maintenir à flot. C’est comme un miracle et rien n’est plus précieux pour nous que cette liberté gagnée. 

Nous faisons les livres auxquels nous tenons comme nous le voulons et les lecteurs qui s’abonnent sont autant d’amis connus ou inconnus, les libraires qui achètent ces livres (et c’est un achat ferme car nous ne pouvons pas les laisser en dépôt vu qu’ils sont numérotés et signés) sont aussi autant d’amis qui ont fait le choix de les défendre. 

Je ne vais pas présenter ici les cinq livres de cette saison puisque cette présentation est lisible sur le site des éditions où l’on pourra trouver aussi le bulletin d’abonnement pour 2023. Nous avons tenu à ne pas augmenter son prix malgré les circonstances, nous avons juste pris le risque d’augmenter les tirages de certains livres. Il est aussi possible de choisir cinq livres « à la carte », d’en acheter un au choix sans s’abonner ou de le commander chez le libraire.

Le premier livre, Les Enfants de la guerre, doit paraître début décembre. Il s’agit d’un livre de photographies prises en Trégor par une femme qui tenait par-dessus tout à sa liberté et dont l’immense fonds d’images sur plaques de verre a été sauvé par une autre femme, Pascale Laronze, contre vents et marées. C’est en soixante images une protestation contre la guerre. J’aurais pu l’intituler le récit du silence…

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