À la fin de la dernière représentation de Désir sous les ormes au Théâtre des amandiers, Jean-Marc Stehlé, qui n’était pas seulement un prodigieux acteur mais aussi un scénographe et décorateur (il jouait le rôle du père dans cette pièce et avait dessiné les costumes) me disait qu’il n’y avait pas lieu d’être mélancolique de voir un spectacle s’achever.
— Pour moi, le plus beau moment d’un spectacle, c’est quand je casse le décor, c’est fini, c’était bien, basta, la vie continue.
J’ai été tellement stupéfaite que j’ai pensé qu’il blaguait. Mais non.
Pour moi, le moment le plus émouvant d’un spectacle, c’est quand tout le monde arrive, se rassemble et que le spectacle qui n’a pas commencé est déjà là comme une énigme que chacun va tenter de résoudre.
Ici, c’est le premier instant de La Cerisaie aux ateliers Berthier. Un instant particulièrement émouvant pour tout le monde puisque la réouverture des théâtres coïncide avec ces répétitions et que le Festival d’Avignon ouvrira avec cette Cerisaie, miracle fragile auquel tout le monde veut croire.
Trois millions de Bretons, treize millions de cochons… treize millions de cochons abattus par an (d’après Uniporc Ouest), combien de Bretons accablés de voir les eaux polluées, les terres souillées, les paysages ravagés, les villages empuantis par des odeurs de lisier…
Mais protester, c’est nuire à la Bretagne : le touriste a besoin de jouir d’une image positive de cette région vouée à ses vacances. Plus grave, protester en replaçant le phénomène dans son histoire et son contexte, c’est nuire à l’avenir de la Bretagne (pour reprendre le titre du journal de l’autonomiste Fouéré) et donc commettre un crime de lèse-nation. Soupirer, lever les bras au ciel, gémir sur le coût de l’eau en bouteille et sur la mort des alevins est légitime et même bien vu, mais essayer de comprendre les causes du désastre, holà !
En 2002, lorsque j’avais publié Le Monde comme si, l’avocat nationaliste du journal non moins nationaliste Bretagne hebdo, qui avait orchestré une violente campagne de presse contre moi, m’avait prise à partie au motif que mon chapitre « Le porc ou la mort » où je mettais en cause le CELIB, Martray, Gourvennec et le règne du cochon n’avait rien à faire avec le mouvement breton, le bon mouvement breton si naturellement pur : nulle collusion avec les nazis sous l’Occupation, nulle collusion avec le lobby capitaliste mis en place par l’Institut de Locarn, héritier du CELIB. Blanc comme neige, le mouvement breton odieusement noirci par moi s’était révolté par la voix de Bretagne Hebdo et je n’étais pas fondée à demander réparation puisque c’est moi qui étais coupable, ayant transgressé un double interdit.
Il n’empêche que ce journal a été condamné et a disparu.
Moi aussi : je suis devenue un auteur breton sans existence.
Mais le fait d’être interdite de parole sur le sol breton ne m’empêche pas d’exister ailleurs, et de donner mon avis sur divers sujets lorsqu’on m’interroge. Ainsi lors de la pseudo-révolte des Bonnets rouges, précisément orchestrée par le lobby patronal breton, qui avait donné lieu à une formidable série d’émissions de Charlotte Perry sur France-Inter.
Ainsi, sur France-Inter encore, hier, à l’occasion du dernier désastre écologique en date, la pollution de la Penzé, une petite rivière près de Morlaix… Une fuite de lisier, une de plus, et la rivière est polluée jusqu’à l’estuaire. Rien que de banal en Bretagne. Ce qui l’est moins, c’est que l’habituelle protestation contre ce que la presse régionale appelle un « incident » trouve un relais dans les médias nationaux.
Je regarde qui est l’éleveur. SA Kerjean, Taulé. Pas besoin de chercher bien loin : la SA Kerjean a été fondée par Marc Gourvennec.
En 2003, mis en accusation par l’association Eaux et rivières, le fils d’Alexis Gourvennec s’indignait vertueusement – et ses protestations étaient aussitôt relayées par Le Télégramme : « “Les allégations d’Eau & Rivières ne sont qu’un tissu de mensonges mais leur attitude ne m’étonne pas. Ils veulent nous faire passer pour des grands bandits et cela fait dix ans que cela dure”. Attendant sereinement le vote du conseil municipal de Taulé, le 24 janvier, Marc Gourvennec se défend aussi de vouloir gonfler les effectifs de son exploitation. ”Nous ne les avons jamais augmentés depuis 1988 et je peux garantir qu’avec ce projet de traitement, il n’y aura pas un cochon de plus chez nous” ».
En 2003, l’élevage comptait 11 288 cochons ; actuellement, il en compte 21 000.
Il y aurait encore long à dire sur la pisciculture, sur Brittany Ferries et autres sujets apparemment étrangers au débat mais n’épiloguons pas.
En 2007, Marc Gourvennec meurt. Voici sa nécrologie d’après Ouest-France :
« Fils de l’ancien P-DG de la Brittany Ferries, disparu le 19 février dernier, Marc Gourvennec dirigeait la Sofalim, entreprise d’aliments pour animaux de ferme, dont dépendent deux autres sociétés : la SA Kerjean (élevage porcin) et Financières la Garenne (organisme de placement en valeurs immobilières). Ces trois sociétés familiales sont basées à Taulé. A la fin des années 90, Marc Gourvennec avait pris la direction de la société piscicole Aquadis, qui regroupait plusieurs piscicultures dans la région morlaisienne, mais aussi à Pont-Calleck, dans le Morbihan. Il y a quelques années, il avait intégré le conseil d’administration de la Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole) de Locmaria-Plouzané. Les obsèques de Marc Gourvennec seront célébrées aujourd’hui, à 14 h 30, à l’église de Taulé, cette commune d’où il était originaire et à laquelle il était viscéralement attaché. »
Qui oserait s’en prendre à ces bienfaiteurs de leur commune, du Léon et de la Bretagne tout entière ? Et qui oserait rappeler que c’est en 1961, avec la prise de sous-préfecture de Morlaix par Alexis Gourvennec qu’a commencé la grande dérive productiviste, induite et soutenue par le mouvement nationaliste breton, terroristes du FLB œuvrant pour l’appuyer, comme le notait Jean Bothorel, qui savait de quoi il parlait ? Du CELIB à Produit en Bretagne le réseau s’est étendu, renforcé, et règne à présent sur les médias, l’économie, la politique, la culture. Face à ce pouvoir exercé sous les dehors de la vertu mise au service de l’identité, voire de l’écologie, qui oserait protester ?
Eh bien, si, le miracle est là : malgré cette chape de plomb, quelques voix s’élèvent encore.
On peut lire un résumé de l’affaire par deux journalistes de Franceinfo…
Et écouter l’émission d’Antoine Chao sur France-Inter.
La captation de Crise de Nerfs sera diffusée pour la première fois le vendredi 16 avril à 21h sur la chaîne Olympia TV.
Sous ce titre, Peter Stein a rassemblé trois « petites pièces » de Tchekhov (dans notre traduction) : Les Méfaits du tabac, La Demande en mariage et Le Chant du cygne.
La mise en scène rassemble Manon Combes, Loic Mobihan et Jacques Weber.
Demain, à 20 h. France Culture diffuse Eugène Onéguine dans la mise en scène de Jean Bellorini.
En mars 2019, Jean Bellorini, qui dirigeait alors le Théâtre Gérard Philipe à Saint-Denis, a tenu ce pari improbable de déployer pour un public populaire les milliers de vers du roman de Pouchkine ; or, non seulement le pari a été tenu mais le succès a été triomphal et, nommé à la direction du TNP à Villeurbanne, Jean Bellorini, en dépit du confinement, a tenu à reprendre Eugène Onéguine.
Dans l’impossibilité de jouer pour le public, il a, du moins, donné une représentation pour les élèves (puisque les activités pédagogiques sont autorisées) et, grâce à France Culture, prolongé ce temps de partage.
Je vous invite à lire la présentation de cette émission sur le site de France Culture.
Les commentaires sont tout à fait chaleureux (je cite) :
« Reprise de la production déléguée Théâtre National Populaire Production Théâtre Gérard Philipe – centre dramatique national de Saint-Denis Spectacle créé le 23 mars 2019 au Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis. C‘est naturellement la traduction d’André Markowicz qui a été choisie par Jean Bellorini. André Markowicz est un complice de longue date mais c’est surtout la qualité et la beauté de la traduction qui a déterminé ce choix. S’il a mis près de vingt-huit ans à traduire les cinq mille cinq cent vingt-trois vers de ce roman, c’est parce qu’il s’est employé à transmettre le plus fidèlement possible la métrique russe, en suivant les accents rythmiques, pour rapprocher le vers syllabique français du vers russe, syllabo-tonique. Il a ainsi réussi à transmettre la beauté essentielle de l’œuvre. Et c’est ainsi qu’il parle de l’œuvre dans Partages : “ Je le dis souvent : une fois qu’on est entré dans Onéguine, qu’on a, non pas “compris” (il n’y a rien à comprendre, pas de sens caché, rien – tout est à la surface), mais “senti”, alors, vraiment, votre vie change, et vous vivez dans ce sourire, ce sourire d’une tristesse infinie, mais dont émane une lumière étonnante : quelque chose d’intime (je veux dire que ça parle à chacun de nous différemment, selon sa vie, son enfance, ses propres souvenirs) et de totalement universel. Et, je le redis, léger.” »
Et, chose rare, on donne la parole au traducteur pour un long entretien (qui peut s’écouter en ligne).
Mieux que d’un article, il faudrait parler d’un essai d’Yves Di Manno sur Armand Robin à l’occasion de la parution de la synthèse actualisée de ma thèse chez Garnier en décembre dernier, Armand Robin ou le mythe du Poète. Pour la première fois, mon entreprise d’édition est comprise pour ce qu’elle était : une manière de donner la parole à un écrivain qui avait choisi de faire de la poésie autrement, sans séparer poésie et traduction – une entreprise d’édition vouée à l’échec, comme l’expérience de Robin lui-même, pour des raisons qui sont en soi révélatrices : le mythe, apte à agglomérer n’importe quoi dès lors que les données de bases sont assemblées, l’emporte inéluctablement, laminant les faits qui n’entrent pas dans le cadre prévu, les textes de l’auteur qui le dérangent, les démonstrations, fussent-elles faites dans le cadre universitaire le plus rigoureux, et en présence de l’éditeur qui a le devoir moral de respecter les textes.
Si Robert Gallimard avait compris cette entreprise, depuis sa disparition, elle a sombré, enlisée sous les lieux communs constitutifs du mythe triomphant. Tenter de l’analyser ne sert pas tout à fait à rien puisque, discrètement, une compréhension nouvelle se fait jour. Enfin une lumière dans ces épaisses ténèbres… L’essai d’Yves Di Manno est paru dans le numéro 29 de la revue Catastrophes (titre adéquat dans le cas de Robin) et il a eu la gentillesse de me l’adresser en PDF. Qu’il en soit chaleureusement remercié !
Je reçois le dernier numéro de Bretagne-Île-de-France avec la page que j’ai consacrée à Francis Gourvil, auteur à présent oublié car voué aux gémonies par les nationalistes bretons qu’il a courageusement affrontés.
Dernière répétition de L’Oiseau-loup au TNP à Villeurbanne : la représentation aura lieu demain. Sauf que, bien sûr, ce sera une représentation sans public, réservée à quelques rares élus : la mise en jeu du texte est autorisée comme exercice pédagogique mais interdite aux spectateurs.
Il faut remercier Jean Bellorini d’avoir décidé de maintenir ce qui devait faire partie des spectacles prévus en mars pour que le théâtre, bien que fermé, reste ouvert – et ouvert à une expérience sans précédent, associant les élèves du Théâtre de l’Iris à la découverte d’un texte contemporain, ou plutôt pas même contemporain puisque encore sans existence, et qui ne prendra existence qu’après être passé par leurs voix.
L’Oiseau-loup est un récit qui s’inscrit dans la suite de Sur champ de sable, un livre qui sera publié aux éditions Mesures l’an prochain. J’en ai donné un condensé en une heure, et les élèves s’en sont emparé avec une gravité, une attention et une capacité à donner à entendre, comme le disait André Siniavski, « des voix dans un chœur » vraiment impressionnantes.
J’ai cette chance de pouvoir mettre le texte à l’épreuve et de le découvrir à neuf par le regard de jeunes comédiens… une chance incroyable, surtout en cette période d’étouffement du spectacle vivant.
Aussi étrange que cela puisse paraître, les acteurs ont interdiction de jouer puisque les théâtres sont fermés pour lutter contre la contagion (quoique, en même temps, les gens soient tassés comme des sardines dans les métros) mais ils ont le devoir de jouer pour assurer leurs tâches pédagogiques devant les élèves.
C’est donc à titre de pédagogue que je travaille au TNP à Villeurbanne sur le texte de L’Oiseau loup que j’ai écrit et qui devait être présenté ce mois-ci, sauf que, bien sûr, toute représentation étant interdite, nous répétons pour un public limité à quelque heureux élus, masqués, séparés par des espaces prophylactiques et suspendus à l’attente d’un éventuel confinement généralisé qui ferait d’eux des clandestins dans ce qui fut la capitale de la Résistance.
Or, nous avons découvert qu’au même moment, et dans le même espace de liberté ouvert par la pédagogie, avait lieu au lycée Condorcet de Saint-Priest, tout près de Lyon, les représentations du spectacle de Philippe Mangenot sur Tchekhov qui circule dans toute la France et a connu déjà plus de cent représentations sans que nous ayons encore pu le voir.
Merveilleux hommage à Tchekhov, simple, grave et léger, triste et joyeux à la fois, que nous avons la joie de partager avec une centaine de lycéens enthousiastes. Est-il possible que le théâtre soit par les temps qui courent ce lieu de partage ? Oui, grâce à une résistance héroïque et modeste, celle des professeurs, des proviseurs, des lycéens et des acteurs qui donnent à Tchekhov une actualité toute nouvelle.
Avec autant dire rien, Rafaèle Huou et Philippe Mangenot donnent tout : l’envie de mieux connaître Tchekhov, ce Tchekhov avec qui nous vivons depuis si longtemps sans jamais avoir cessé d’être éblouis par les surprises qu’il nous réservait.
Une de plus ! Et si précieuse en de telles circonstances…
Il faut bien du courage, de l’optimisme et de l’obstination pour travailler au théâtre en ce moment. Les Fables de Marie de France devaient donner lieu à un spectacle cette saison (pour la première fois au monde car, pour le spectacle donné à la Comédie française, j’avais associé Lais et Fables), et les répétitions se déroulent en ce moment, mais les représentations prévues pour les scolaires pourront-elles avoir lieu les 4 et 5 mars ? Ce n’est pas certain. Quant à la représentation tout public du 6 mars, elle aura bien lieu, mais à huis clos, à la Ferme de Bel Ébat, Théâtre de Guyancourt… Affaire à suivre…
En tout cas, voici le dossier du spectacle mis en scène par Aurore Evain.
Dans la suite du Monde comme siet de mes recherches sur le lobby patronal breton, plus puissant que jamais, j’ai été amenée à participer à une mise au point sur le rôle de la société Yves Rocher dans l’arrestation d’Alexeï Navalny et de son frère Oleg.
On pourra trouver cet article sur la page Facebook d’André Markowicz.
Pour ceux qui ne sont pas sur Facebook, voici un résumé de l’affaire.
Je ne reviens pas sur l’héroïque combat des frères Navalny contre la dictature poutinienne et ses malversations. Son film sur le château de Poutine a été vu par plus de cent millions de personnes dans le monde. Or, la parodie de procès qui vient d’avoir lieu suite à son retour volontaire en Russie résulte d’une plainte de la société Yves Rocher.
Je ne m’en serais pas occupée sans le communiqué, que l’on dirait traduit du russe, de cette société qui ose assurer au moment où elle publie ce communiqué pour soutenir le pouvoir russe : « Nous ne nous engageons jamais, sous aucune forme, au débat politique ».
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BREF RÉSUMÉ DES FAITS
— Yves Rocher, membre du Club des Trente, lobby fondé en 1988 dans son château, décide en 1991 de commercer avec la Russie. Yves-Rocher-Vostok prospère au point que le marché russe devient le deuxième marché de l’entreprise.
— En 2008, il sollicite l’entreprise des frères Navalny pour assurer la livraison d’une partie des commandes de ses clients.
— En 2012, Bruno Leroux, directeur général de la filiale russe, porte plainte. Il dénonce une surtarification des tarifs pratiqués mais, lors du procès, il assurera que les tarifs étaient inférieurs à ceux du marché et qu’il serait prêt à signer à nouveau le même contrat…
— En 2014, comme il fallait s’y attendre, les frères Navalny sont condamnés (voir à ce sujet l’article de Benoît Vitkine dans Le Monde). Oleg est condamné à trois ans de prison sans sursis, Alexeï à trois ans de prison avec sursis mais obligation de se présenter deux fois par semaine à la police. Peu après, Leproux quitte le groupe Yves Rocher.
— En octobre 2017, la Cour européenne des Droits de l’Homme invalide le jugement et condamne la Russie à payer des dédommagements aux frères Navalny.
— En 2018, ces derniers décident de porter plainte contre Yves-Rocher pour diffamation. Le tribunal de Vannes signe une ordonnance de rejet. Ils font appel : le tribunal de Rennes a toujours le dossier en attente…
— En 2020, Alexeï Navalny est empoisonné.
— Sauvé de justesse, soigné en Allemagne, il décide de rentrer en Russie le 17 janvier. Du fait qu’il ne s’est pas soumis à son contrôle judiciaire (puisqu’il était à l’hôpital), il est arrêté.
— C’est alors qu’Yves Rocher, publie un communiqué de presse mensonger puisqu’il passe sous silence le jugement de la Cour européenne des Droits de l’Homme. Ce communiqué allègue que l’entreprise est apolitique dans le temps même qu’elle intervient de manière à soutenir l’accusation contre Navalny.
— Alexeï Navalny est condamné à trois ans et demi de prison ferme.
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Or, voici la synthèse de l’affaire telle que la présente la presse régionale :
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C’est ce spécimen d’information locale qui m’a amenée à réagir.
Jour après jour, depuis des années, les médias bretons, qui font partie du lobby patronal de Produit en Bretagne, déversent leur propagande à la gloire des bons patrons bretons. En l’occurrence, cet article n’a rien que de banal. C’est peut-être parce qu’il s’efforce d’être informatif qu’il est plus écœurant que les purs articles apologétiques. On apprend (en gros titre) que ce pauvre Yves Rocher est inquiet car il se trouve « au cœur de la tourmente »… Provoquée par qui ? Lui-même ? Allons donc ! « Le groupe Yves-Rocher se défend de commenter une affaire en cours ». Son communiqué ne la commente pas du tout, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Enfin (c’est la conclusion, en gras, bien visible) l’entreprise est « totalement apolitique ».
Une petite mise au point s’imposait puisque les médias bretons sont muselés et que le lobby breton n’a droit, hors de Bretagne aussi, qu’à des articles apologétiques.
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Le Club des Trente dont Yves Rocher a été le fondateur avec Jean-Pierre Le Roch, fondateur également d’Intermarché et de l’Institut de Locarn, s’est créé dans le but de faire pression sur les pouvoirs publiques pour émanciper la Bretagne des lois pesantes de la France républicaine. Il a développé des projets, comme celui d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui ne se comprennent que replacés dans le contexte de faire de la Bretagne, avec Nantes pour capitale, une eurorégion autonome. Cet aéroport international était une ineptie, sauf à considérer qu’il était indispensable à la future nation. L’association Produit en Bretagne a été créée par l’Institut de Locarn et compte près de 500 membres actuellement.
C’est dans les locaux d’Yves Rocher à La Gacilly qu’elle a tenu sa dernière assemblée générale. Bien que ce ne soit assurément pas une partie de plaisir, je ne peux que vous inviter à regarder la vidéo qui a été réalisée à cette occasion et mise en ligne par les militants nationalistes de l’Agence Bretagne Presse : on y voit les rédacteurs en chef d’Ouest-France et du Télégramme se congratuler sous la présidence de Loïc Hénaff, donné pour incarnation de l’écologie bretonne, d’ailleurs sanctifiée par le climatologue breton Jean Jouzel, qui en tant que climatologue authentiquement breton vient cautionner le lobby de l’agro-alimentaire et de la grande distribution en le félicitant de ce qu’il fait pour le climat, le tout avec la bénédiction du président du conseil régional (théoriquement socialiste), du président du Médef breton et du président du Crédit mutuel Arkéa, du fondateur de la Breizh Marketing Akademy et, bien sûr, de Jacques Rocher, heureux d’avoir des « racines fortes ».
Cette grand-messe se termine par un hommage à Yves Rocher, puis de touchants adieux associant… René Char, le résistant, à ce qu’il aurait assurément le plus haï. C’est ce qu’on appelle la « Culture Breizh » : inféodée au capitalisme à relents ethnorégionalistes ? Allons donc ! La culture, c’est la liberté, la presse est est libre, on vous en administre la preuve, et le château d’Yves Rocher est accueillant.
Preuve de l’ouverture de la Bretagne sur le monde, la gare de Rennes, par exemple, gigantesque bâtiment récemment inauguré par Jean-Yves Le Drian sous le label gare européenne, nous offre un parcours guidé d’ Yves Rocher à Hénaff. L’espace public ainsi colonisé offre aux yeux éblouis des bons Bretons l’image de leur identité, elle aussi labellisée sous les dehors d’une prospérité conquérante. Ceux qui ne sont pas fiers d’être Bretons sont des jacobins attardés, qualifiés d’« antibretons », voués aux gémonies et, si possible, au silence.
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Rappelons tout de même que, directeur des relations extérieures d’Yves Rocher, Guy Plunier, pilier de l’Institut de Locarn, était à l’origine du Club de Bretagne, et du Cercle des Nations. Lié aux réseaux de l’Opus Dei, il fut le successeur d’Yves Rocher au conseil régional. Maire de sa commune, comme son fils après lui, et conseiller régional, Yves Rocher était en relation avec les réseaux de la droite identitaire appuyée sur une volonté de reconquête de l’Europe chrétienne. En parfait accord donc avec les réseaux russes qui se mettaient en place et qui, à présent, font de la Russie de Poutine le soutien des droites extrêmes. Le communiqué de l’entreprise n’a donc pas été rédigé par hasard, à cette date précisément.
Reste une petite consolation : il n’est vraiment pas difficile de se passer des produits Yves Rocher. Boycotter Produit en Bretagne amène à renoncer à ce qui fit jadis l’agrément des pique-nique dans les bois, voire une vareuse, une andouille ou un saucisson, mais faire une croix sur le glow highlighter, le mascara feel stronger, la palette trio regard catch the magic (en breton dans le texte) ne provoque pas de mélancolie.
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Rappelons au passage la pétition en ligne contre l’installation d’un hôtel de luxe à l’île Berder, vendue par Yves Rocher, grand défenseur de la Nature, comme on le sait, au groupe Giboire. La manifestation contre le projet a eu lieu le 17 janvier, le jour même de l’arrestation d’Alexeï Navalny.
Hélas, triste illustration de la situation en Bretagne, ont été bombardés présidents du collectif à l’origine de la pétition le pire barde nationaliste, Gilles Servat, la pire romancière inféodée au lobby breton, Irène Frain, et le navigateur Eugène Riguidel, constant soutien des pires nationalistes.
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Pour être bien assuré que le soutien du conseil régional à Produit en Bretagne est resté constant, il est possible de lire le compte rendu de la « première journée professionnelle Culture et Économie » de Produit en Bretagne à La Gacilly en octobre 2021.
Soumettre la culture à l’identitaire et l’identitaire au pouvoir de l’argent pour mieux imposer son pouvoir : la méthode de Poutine a fait ses preuves.