Pour la nouvelle année

 

 

 

Pour la nouvelle année, voici un mur, un magnifique mur : c’est le mur qui séparait ma maison natale de la cour de la maison voisine. Je dis « qui séparait » car, un matin d’été, au retour de la cérémonie de Garzonval en hommage aux jeunes résistants bretons assassinés par les nazis, j’ai trouvé les frères de la voisine en train de le démolir. J’ai protesté, mais en vain : ce mur leur déplaisait, ils avaient l’intention de le démolir pour faire à la place un bâtiment bien bétonné, et c’est ce qu’ils ont fait en proclamant que ce mur était mitoyen et qu’ils avaient donc le droit de le faire disparaître. Intéressante expérience qui voit surgir tout un ballet d’étranges personnages ligués pour soutenir la destruction du mur ou lui dénier toute existence.

Tel est l’objet de mon prochain livre, qui sera une suite du Monde comme si : le thème du Monde comme si était la destruction d’une culture remplacée par un artefact ; la banlieusardisation et la bétonnisation s’accompagnent d’une haine tout à la fois de la beauté et du passé, à éliminer pour assurer le règne de l’artefact. Démonstration du désastre par le cadastre…

Et pour bien commencer l’année, comme j’ai retrouvé un cahier de notes prises auprès d’un vieux paysan qui construisait des murs autour de sa maison dans la forêt (et ses murs ressemblaient à celui qui a été détruit), je lui donne la parole :

 

« À force de faire, on apprend le sens de la pierre. Vous regardez telle pierre, et tout de suite vous voyez comme elle ira se mettre, pas besoin de terre, pas besoin de ciment ni rien. Il suffit de regarder juste et les pierres s’assemblent.

C’est un peu comme la famille du village ici où les personnes étaient ensemble. Les unes pouvaient être biscornues, les autres droites, et toutes tant qu’elles étaient, elles se soudaient dans quelque chose qui, en fin de compte, était beau.

Si vous voyez le mur tel qu’on l’a reconstruit autour de l’église, vous voyez un bloc dur qui part d’ici pour aller là et entre les deux tout obéit à la règle d’être n’importe comment. Et la pierre est coulée dans un paquet de ciment qui l’étrangle. Un ciment jaune, qui fait qu’on ne voit que ça. Tout ce qu’on fait maintenant veut être vu, alors qu’autrefois tout tenait à l’art de la discrétion. 

Les gens heureux n’ont pas d’histoire, les pierres des murs bien faits non plus, elles sont juste à leur place, elles ont pris place dans un milieu qui leur va bien, elles sont posées comme on respire.

Quand vous le sentez dans vos mains et dans votre corps, le mur vous vient, il vous va et vous avez plaisir à venir le voir.

Avec l’âge, les pierres sont devenues pour moi comme un loisir. Je les prends quand j’en trouve, je les pose sur le mur et je les laisse là le temps de s’apprivoiser. Je les laisse aller vers leur couleur avec la pluie qui les lave, le vent qui les sèche et le vert des mousses.

J’ai bâti le mur avec des pierres apprivoisées. Vous avez du plaisir à le voir et vous y appuyer parce que tout est fait avec une douceur d’âme. »

 

 

Publié dans Le monde comme si | Laisser un commentaire

Vigile de décembre

 

 

C’est une immense chance, quand on pense que l’essentiel est de chercher des voies de traverses, de se voir offrir la possibilité de frayer une voie nouvelle, à partir d’expériences qui ne se seraient pas assemblées autrement : en 2016, des livres qui composent Sur champ de sable, j’avais extrait quelques textes qui avaient donné lieu à un spectacle évoquant à partir de l’Assomption, l’enfance, la moisson, la fête foraine, le moment où le soleil bascule dans la nuit et où les brasiers s’allument dans la nuit d’août, le rouge, le feu, l’ouverture à la vie. La voix d’Annie Ebrel, la contrebasse d’Hélène Labarrière et les poèmes de Pasternak dits par André Markowicz permettaient de composer un paysage sonore où le breton et le russe se répondaient. Ce n’était pas du tout un spectacle poétique, c’était tout sauf un spectacle poétique : Incandescence était un moment de partage.

Nouvelle chance incroyable : l’invitation à donner, cette année, en décembre, un spectacle qui soit la face inverse et complémentaire d’Incandescence. La dernière partie de Sur champ de sable dit le retour dans la maison d’enfance que l’on va quitter pour toujours, la neige, l’hiver, le blanc, l’âge et le passage à l’année nouvelle comme un adieu. Je l’ai intitulée Vigile de décembre parce que l’arrière-fond religieux est présent comme une évidence, même une fois dépassée la croyance. Or, du début jusqu’à la fin, nous avons eu l’impression de voir se resserrer les thèmes comme s’ils surgissaient de la trame même des chansons populaires bretonnes (aussi bien « Le Noël de Brigitte » que la complainte du vieux merle ou les autres chansons) et du poème de Pasternak donné en contrepoint (nous avions fini par nous limiter à un seul poème, « L’étoile de Noël », un poème du Docteur Jivago).  Extraordinaire expérience, mais le plus extraordinaire est que des personnes qui n’auraient certainement jamais pensé écouter de la poésie, des médecins, des infirmiers, des malades, des personnes qui venaient d’assister à un colloque sur la manière d’apprivoiser la douleur sont restés écouter, puis nous rencontrer comme des amis de longue date… C’était hier, à l’invitation de l’AUB SANTÉ (et du médecin coordinateur, Jean-Michel Hoarau), à la chapelle de la clinique Saint-Laurent, à Rennes.

Cette fois-ci, j’ai pu dire mes textes, et nous nous sommes rendus compte du fait qu’il y avait bien quatre voix, à faire entendre distinctement. Pouvoir poursuivre l’expérience inaugurale était encore une immense chance…

Et je dois dire que Ronan Le Corre nous a bien aidés car les échos de la chapelle Saint-Laurent étaient redoutables — mais nous avions, par une coïncidence due au lieu et au temps, une vraie crèche pour décor, en sorte que mes petites allusions aux souvenirs cassés des anciens décors de Noël trouvaient là une illustration quasiment miraculeuse.

 

Publié dans André Markowicz, Bretagne, chanson, gwerz, Poésie, Spectacle, Traduction, Traduction | Laisser un commentaire

Atelier de traduction

 

 

 

Pour terminer l’année, Olivier Mannoni, qui dirige l’École de traduction littéraire (ETL) du Centre national du Livre (CNL), nous avait proposé de diriger un atelier de traduction comme nous l’avions déjà fait en 2013 pour la promotion précédente, André Markowicz et moi.

Nous avions alors choisi de travailler sur le début de La Mouette et sur un poème pour enfants de Samouil Marchak.

Nous voulions trouver quelque chose de nouveau et qui permette de mettre en lumière des problèmes de méthode. Or, ce qui m’avait frappé quand nous avions donné à traduire le poème de Marchak, c’est que les traducteurs respectaient le schéma des rimes mais ne s’intéressaient pas au rythme. J’ai, par la suite, rencontré le même problème lorsque des étudiants de l’université de Brest m’ont proposé des traductions sur des poèmes de Shel Silverstein : ils voyaient bien le schéma des rimes mais ignoraient le schéma rythmique, en sorte que la rime flottait sans nécessité au gré d’un ensemble dont la construction n’apparaissait pas.

Le problème est qu’il n’y a aucune tradition de respect de la forme en France (on peut même, sans que cela pose problème, traduire un sonnet en vers libres…) et que les traducteurs sont invités à transposer le sens en ignorant la forme.

Nous avions d’abord pensé prendre des exemples dans les nursery rhymes, car, lorsque les poèmes doivent s’adapter à une musique, le respect de la forme apparaît tout de suite comme une nécessité, puis il nous a semblé plus intéressant de prendre un texte de chanson bretonne, ce qui avait l’avantage de mettre tout le monde à égalité puisque aucun des stagiaires n’avait aucune notion de cette langue. Vu la période de l’année, c’est « Le Noël de Brigitte » qui s’est imposé, d’autant que nous sommes en train de répéter avec Annie Ebrel pour Vigile de décembre, le spectacle du 19 décembre, qui comporte une version bretonne et française de cette chanson que j’ai traduite voilà déjà longtemps (on la trouvait dans nos Anciennes complaintes de Bretagne).

« Le Noël de Brigitte » est une gwerz légendaire dont il existe plusieurs variantes. Il n’est pas utile que je mette en ligne celle que nous avons donnée aux stagiaires avec un mot à mot, puisqu’on peut en trouver une version recueillie à Sainte-Tréphine. La mélodie est très belle (au risque de mettre une fois de plus les militants nationalistes en ébullition, je précise qu’il s’agit de l’air d’un noël français du XVIIIe siècle —  mais, de toute façon, l’idée même de chanter en français et en breton suffirait à les mettre en ébullition, et puis, c’est bien connu, les nationalistes n’aiment pas la gwerz — raison de plus pour se donner le plaisir de mettre « Le Noël de Brigitte » à l’honneur). La  légende aussi est très belle : la nuit de Noël, lorsque Marie est prise des douleurs de l’accouchement, Joseph cherche abri pour elle et frappe à toutes les portes ; on lui propose l’étable d’une auberge ; Marie demande une fille de l’auberge pour l’aider, mais seule reste à veiller près du feu une aveugle qui n’a pas de mains ; elle vient, donne tout ce qu’elle a pour langer l’enfant et retrouve la vue tandis que des mains lui poussent.

Pour nos défuntes Complaintes j’avais trouvé des images que je trouvais très belles aussi, les statues des chapelles venant illustrer la chanson populaire…

 

.

Koefoù Berc’hed diwar he fenn

Zo bet laket d’o’r lianenn.

Da’ñjer Berc’hed diwar he barlenn

Zo bet laket d’o’r mezelenn.

 

N’eo ket ’n ur gwele kourlinet

Emañ ganet Salver ar bed,

Met war un dornad plouz ha foenn,

’Tre un ejen hag un azen.
Brigitte a pris sa coiffe usée

Pour panser l'enfant nouveau-né,

Elle a pris son vieux tablier

Pour le vêtir et le langer.

 

Ce n'est pas dans un lit d'atours

Que le Sauveur a vu le jour

Mais sur de la paille et du foin

Entre un gros bœuf, un âne brun.

Annie Ebrel avait enregistré pour nous la version bretonne pour que les stagiaires puissent l’entendre et la réentendre afin de guider leur traduction ; elle avait aussi enregistré la version française qu’elle chantait pour la première fois.

Ce qui était passionnant était de voir à quel point chacun prenait au fur et à mesure conscience des règles à respecter, et ce juste à partir d’un petit exemple, la première strophe, toute simple.

Pa oe Jozeb ha Maria

O-daou é troeiñ dre ar bed-mañ,

Jozeb a yae a di da di

Da glask loñjeriz da Vari.

Mot à mot :

Quand étaient Joseph et Maria

Tous deux à aller de par ce monde,

Joseph allait de maison en maison 

Pour chercher logis pour Marie. 

(le mot à mot change en charabia ce qui est beau par sa simplicité : on voit Joseph et Marie, tout seuls mais ils sont deux, qui vont de par le vaste monde, puis Joseph, cette fois tout seul, qui va de porte en porte comme un mendiant, chercher un abri pour Marie. Il faut donc que le style soit tout simple, limpide, sans rien qui accroche).

Des octosyllabes et des rimes plates…

Rien de plus simple ?

Ce qui est prodigieux quand on confronte les traductions est le fait que personne ne prend le problème par le même bout — mais, et de là vient l’intérêt de confronter les expériences, chaque erreur de l’un étant profitable aux autres.

Première tentative (je les prends au hasard) :

Tandis que Joseph et Marie 

Allaient tous deux de par le monde

Joseph, lui, allait à la ronde

En quête d’un lit pour Marie

 

Le rythme est remarquablement transposé mais ça ne va pas car il est impossible d’employer des rimes embrassées pour la poésie populaire.

Un jour que Joseph et Marie 

Allaient de pays en pays,

De porte en porte Joseph allait,

Le gîte pour Marie demandait. 

 

Le schéma des rimes est bon mais les inversions rendent le style trop compliqué : ça ne va encore pas.

Joseph et Marie s’en allaient,

De par le monde ils cheminaient,

Joseph de logis en logis

Cherchait un abri pour Marie. 

Là, tout y est, le rythme, les rimes et la possibilité de mettre les paroles sur la mélodie…

Je passe sur les autres tentatives, toutes passionnantes à des titres divers : en moins d’une heure, tout le monde avait compris la méthode, et les progrès étaient spectaculaires ; les autres strophes ont été traduites avec une précision croissante, y compris d’ailleurs en anglais :

— Leun eo ma zi ha ma c’hamproù

A dudjentil, a varonoù,

A dudjentil, a varoned —

C’hwi zo paour, ’vihet ket loñjet.

 

— Ma maison et mes chambres sont pleines

De seigneurs et de barons,

De seigneurs et de barons (autre forme de pluriel)

Vous êtes pauvre, vous ne serez pas logé.

 

— Full up is my inn — there’s no board ! 

I’ve many a gentleman and a lord,

Many a gentleman and a peer —

You’re rather poor, you shan’t stay here. 

 

 

Voilà une expérience que nous aimerions bien poursuivre. Je vais demander à Annie Ebrel de nous enregistrer le début de la chanson en breton et en français pour que mes explications soient un peu plus claires… et je vais refaire ma traduction, qui comporte des faiblesses. Je l’avais faite dans un contexte bien particulier, en urgence, pour une soirée français-breton-russe-tchouvache organisée par André pour et avec le poète Guennadi Aïgui qu’il avait fait inviter par la mairie de Rennes (en ce temps-là, c’était encore possible). Le président Mitterrand cherchait Aïgui partout jusqu’au fond de la Tchouvachie pour le recevoir en grande pompe et le décorer (il était alors question de lui attribuer le prix Nobel). Quelle n’a pas été sa surprise de découvrir qu’Aïgui était logé à l’auberge de jeunesse de Rennes. Une fois le poète découvert, la municipalité socialiste a voulu lui offrir une résidence de luxe pour ses hôtes de marque, mais Aïgui a refusé de quitter son auberge de jeunesse car, a-t-il déclaré, il se plaisait dans une ambiance juvénile accordée à son tempérament.  Lorsque la Tchouvachie a déclaré son autonomie, le principal journal de la capitale a publié triomphalement « Le Noël de Brigitte » et « Marie Madeleine », une autre gwerz  traduite par Aïgui de manière magistrale…

 

 

Telle est l’histoire de cette traduction, une histoire que notre atelier de traduction nous a encore rappelée hier.

 

 

Publié dans adaptation, André Markowicz, Bretagne, chanson, gwerz, Luzel, Poésie, Traduction | Laisser un commentaire

Sendak : Qu’est-ce qu’on dit ? Qu’est-ce qu’on fait ?

.

.

En 1958, Sesyle Joslin et Maurice Sendak se rencontrent pour écrire un manuel loufoque de savoir-vivre, Qu’est-ce qu’on dit ?

Le livre a un tel succès qu’il leur vaut la plus grande récompense américaine accordée à un livre pour enfants, la Médaille Caldecott. Enchantés, les deux complices continuent et donnent le second tome, Qu’est-ce qu’on fait ?

 

 

.

Les deux livres sont devenu des classiques de la littérature enfantine aux États-Unis. Je pensais qu’ils n’avaient jamais été traduits en français mais, en vérifiant les dates de parution, je découvre que si : ils ont été traduits en 1979 sous le titre Que faites-vous, cher ami ? et Que dit-on, cher ami ? Je vais essayer de me les procurer. 

Transposer le titre était un vrai casse-tête. What do you say, dear ? c’est simple comme bonjour, sauf qu’il faut traduire ce que les pédants appelleraient la situation d’élocution, autrement dit le fait qu’une mère s’adresse à un petit garçon pour lui demander ce qu’on fait pour être poli en telle ou telle circonstance (abracadabrante).

Qu’est-ce qu’on dit, chéri ? était un peu niais comme titre et trop long pour le graphiste qui devait composer la couverture. J’ai donc fini par adopter simplement Qu’est-ce qu’on dit ? qui indique bien qu’il s’agit d’une leçon de politesse (mais le « chéri » revient rituellement dans le développement du livre, et les enfants sont d’ailleurs sensibles au comique de la niaiserie décalée, à ce que j’ai pu constater).

J’ignore pourquoi le correcteur a parfois mis chéri au féminin, alors que la mère s’adresse toujours au même petit garçon, parfaitement placide face aux situations rocambolesques dont il se tire par « l’art d’être poli en toute circonstance ». Quoi qu’il en soit, ce qui fait que les enfants apprécient les deux livres, c’est qu’ils peuvent jouer les petites saynettes, y compris d’ailleurs en duo.

 

 

Ils peuvent aussi l’entendre en anglais et s’amuser à suivre le texte dans les deux langues — ce qui rend la leçon de politesse encore plus pédagogique…

Enfin, comme pour les autres albums, le choix des couleurs et du papier rend les livres solides et doux au toucher en même temps. L’édition française me semble plus soignée que l’édition américaine, telle que j’ai pu, du moins, la voir. 

 

 

 

*

 

Ça y est, j’ai reçu la première édition française des deux livres. C’est tout à fait intéressant pour plein de raisons, mais j’en retiens surtout deux… 

Quand j’ai reçu le premier livre, j’ai cherché le nom du traducteur. En vain. Après avoir reçu le deuxième livre, décidée à faire une note sur la question, j’ai fini par le trouver en dernière page, en caractères microscopiques, comme petit ajout aux notifications officielles de copyrights et autres mentions administratives que personne ne lit.  

 

 

En 1979 (et c’est pourtant un bon éditeur, l’École des loisirs, qui publie cette première version française) le traducteur n’existe que comme quantité négligeable. L’auteur existe, l’illustrateur existe, le traducteur n’existe pas : vil truchement auquel, hélas, il a fallu avoir recours faute d’avoir accès en direct à l’Œuvre.

En conséquence, agréable quoique mélancolique découverte, le sort du traducteur s’est, quoi qu’on en dise, amélioré. À présent, les agents de Sendak interdisent toujours que le nom du traducteur vienne polluer la couverture de l’Œuvre, mais il peut figurer en page de titre. Et j’ai obtenu, de plus, que le nom du traducteur figure en quatrième de couverture. Long, très long, combat…

Et puis, autre agréable quoique mélancolique découverte, cet exemple est aussi intéressant parce que, comme illustration du fait que le traducteur est un coauteur, il est difficile de trouver mieux : la première traductrice et moi, nous n’avons tout simplement pas lu le même texte. En conséquence, effacer ce travail de transposition revient à considérer que le texte est n’importe quoi — une entité qui se transpose par application d’une petite opération automatique consistant à transformer l’anglais en français. Alors que, nous en avons là l’exemple, nos versions du texte sont absolument antithétiques. 

La première traductrice a pris le parti de jouer sur le registre prétentieux, pontifiant, de leçons de politesse données à un jeune gandin qui est supposé donner la bonne réponse. C’est ce qui explique son titre  Que faites-vous, cher ami ? 

Voici ce que donne sous sa plume la première leçon de politesse. 

Je donne d’abord le texte anglais de la question…

 

 

Puis la réponse…

 

 

 

 

 

Et la version de Catherine Chaine :

 

 

 

Moi, je suis partie au contraire de l’image du petit garçon à qui sont proposées des situations loufoques auxquelles une réponse conforme est donnée sous forme aussi conventionnelle que possible : on lui donne la bonne réponse, c’est merveilleux, cette réponse a l’air aussi loufoque que la question, et l’enfant qui lit le livre peut s’identifier à ce petit garçon qui se projette en imagination dans les situations les plus farfelues. C’est d’ailleurs un petit garçon improbable, nu-pieds et en manteau, qui semble venir d’un rêve…

 

 

 

Publié dans Enfance, illustration, Sendak, Traduction | Laisser un commentaire

Auguste Stoeber

 

 

 

Lorsque j’ai voulu publier le recueil majeur de folklore alsacien, à savoir la collecte d’Auguste Stoeber (1808-1884), j’ai dû écumer les bibliothèques et j’ai fini par découvrir qu’il n’en restait plus qu’un seul exemplaire accessible, à savoir celui de la Bibliothèque nationale, que j’ai fait numériser. C’est ainsi que j’ai publié les Légendes d’Alsace dans la collection « Les grandes collectes » qui vivait alors de beaux jours aux éditions Ouest-France.

.

…=.;

L’itinéraire des folkloristes est toujours très intéressant et l’itinéraire des frères Stoeber, qui furent des pionniers, l’est particulièrement. C’est donc avec plaisir que j’ai rédigé un article au sujet d’Auguste Stoeber pour le monumental Dictionnaire de Strasbourg. J’ai appris par hasard que le dictionnaire était paru : pas de relecture d’épreuves ? Non. Mais des modifications dues à une ou des interventions anonymes. Étrange travail universitaire qui consiste à ajouter des fautes de français et supprimer les références…

Voici, par exemple, une phrase :

« Cependant, les légendes en vers qu’il publie avec son frère en 1836 sous le titre d’Alsabilder sont des poèmes personnels écrits à partir de la tradition populaire. « À ce moment-là », écrira-t-il, « je songeais surtout à l’intérêt poétique des choses ; je ne comprenais pas bien la valeur de ces traditions du point de vue de la science »[1].

[1] Préface de la réédition des Légendes d’Alsace.

.Et voici ce qu’elle devient :

« Cependant, les légendes en vers qu’il publie avec son frère Adolphe (1810-1892) en 1836 sous le titre d’Alsabilder sont des poèmes personnels écrits à partir de la tradition populaire, et son intérêt est plus poétique que scientifique ».

Son intérêt ? L’intérêt de quoi ?

Tout est à l’avenant…

Ce qui caractérise les folkloristes français, me semble-t-il, c’est une espèce de malchance tenace, qui les rend d’ailleurs pleins de charme à mes yeux… Une petite illustration mélancolique de plus. 

Je vais poursuivre ma petite chronique des folkloristes français, commencée avec Luzel, Millien, Mistral, et poursuivie jusqu’à Sébillot, l’an passé, en reprenant cet article sur des bases nouvelles. 

.

Publié dans Alsace, article, Conte, Folklore | Laisser un commentaire

Tchekhov à la Manufacture

Après une semaine de travail sur Les trois sœurs  à la Manufacture, haut lieu du théâtre à Lausanne, nous avons vraiment l’impression que Tchekhov nous a offert, une fois de plus, un moment de partage exceptionnel.

Les étudiants m’ont amenée à retrouver des articles, des interviews données au fil du temps et des mises en scène : belle occasion de compléter le dossier Tchekhov encore à l’état d’ébauche…     

 

Publié dans Enseignement, Spectacle, Tchekhov, Théâtre, Traduction | Laisser un commentaire

Les mistoufles ( 5)

 

 

Nous commençons le volume 5 des Mistoufles  — cette fois, sur le thème des aventures imaginaires ou non qui peuvent animer la vie des enfants. Je l’ai intitulé Canaillettes et canaillons. 

C’est un peu le complément du volume 1 (les quatre premiers disques peuvent toujours être écoutés en ligne sur le site  de la compagnie  l’Unijambiste). 

Les chansons seront enregistrées par les enfants des classes de CM1-CM2 d’une petite école près d’Aubusson, l’école publique de Saint-Marc à Frongier. Voici le compte rendu de la première répétition avec Manou. 

 

 

 

Publié dans chanson, comptine, école, Enfance, Mistoufles, Poésie | Laisser un commentaire

Shakespeare et Tchekhov à Tours

 

 

Je viens de recevoir l’affiche préparée par les professeurs du département d’anglais de l’université de Tours.  Et j’ai découvert aussi le lien vers la rencontre au sujet de Platonov qui va être mis en scène par la Troupe universitaire de Tours — une rencontre qui aura lieu le même jour à 18 h 30.

Belle occasion de mettre en relation notre travail sur Shakespeare et Tchekhov (à dire vrai, ce sera même la première fois que l’occasion nous en sera offerte).

 

 

Publié dans André Markowicz, Conférence, Le roi Lear, Shakespeare, Spectacle, Tchekhov, Théâtre, Traduction | Laisser un commentaire

Académie Charles Cros et festival VO-VF

.

 

Nous avons appris que l’Académie Charles Cros avait décerné à l’enregistrement d’Eugène Onéguine aux éditions Thélème l’un de ses « 16 coups de cœur 2017 ».

 

 

 

La cérémonie avait lieu dimanche dernier à Château-Thierry. Nous n’avions pas été prévenus à temps, mais l’essentiel est bien que le disque ait retenu l’attention d’un jury que  rien ne préparait à être captivé par un enregistrement aussi atypique, et, qui plus est, intégralement bilingue, d’un poème de plus de 6 000 vers…

C’est un enregistrement qui fait suite à une première expérience, d’enregistrement en direct, à Nîmes, pour France Culture, avec Éric Elmosnino et Denis Podalydès. J’avais été engagée par Laure Adler pour jouer le rôle de Tatiana. C’était une expérience tout à fait extraordinaire, en raison d’abord de la présence de Daredjane qui a appris le poème de Pouchkine par cœur, pendant le blocus de Léningrad, alors qu’elle était enfant, et mourait de faim (il y a des descriptions de festins tout à fait merveilleuses dans le texte). Il fallait vraiment avoir cette présence assurée de la transmission d’un chef d’œuvre de (fausse) simplicité accessible à tous pour oser se risquer à participer à l’expérience, mais tout s’était passé presque miraculeusement, malgré les cigales dans les platanes, et autres problèmes adventices.

Cette fois, plus de cigales, et il ne s’agit plus d’une adaptation mais d’un enregistrement du texte intégral. Ce qui le rend si captivant est la manière dont la traduction française répond au russe, et le dialogue est tendu par cette présence d’une traduction invisible, traversée par des zones de transparence pouchkiniennes. 

 

 

.

Nous sommes invités le 1er octobre à 14 h à évoquer cette expérience au festival VO-VF, festival consacré à la traduction.

 

 

 

 

 

 

 

 

Publié dans Traduction | Laisser un commentaire

Un spectacle en plein vent

 

Ils ont tenu !

 

.Le vent soufflait en bourrasque, la pluie menaçait et, par moments, l’orage grondait : on aurait cru qu’il sortait des poèmes de Boris Pasternak et qu’Anne Auffret l’apaisait de la harpe, juste le temps qu’il se calme un peu et n’emporte pas la scène. C’était hier devant la chapelle de Saint-Antoine en Lanrivain ; nous donnions l’unique représentation d’Enfance — unique, à moins qu’il ne se trouve un endroit où le reprendre, comme ç’a été le cas pour Incandescence l’an passé. Un spectateur a fait observer que c’était un spectacle d’intérieur et il avait raison, même si le fait de jouer comme en suspens sur le vent devant la vallée donnait une impression d’enfance prête à s’envoler elle aussi, ce qui était bien le thème du spectacle.

Bref, tout s’est bien passé : plus de trois cents spectateurs (le plus grand nombre d’entrées pour les spectacles du festival Lieux mouvants, m’a-t-il été dit). Et pourtant, nous étions en concurrence avec la Saint-Loup et ses festivités, le week end du vélo breton, l’exposition de véhicules refroidis par air à Guiscriff, l’opération promotion de l’Office de tourisme du Kreiz Breizh à Bon-Repos, la course cycliste de Kreiz Breizh élite, les randonnées de l’électrothèque de Guerlédan, le match de cricket de Silfiac, le pardon de saint Ignace à Saint-Aignan, la kermesse de l’AIKB à Gouarec, sans compter nombre de fest deiz, rencontres sportives et braderies troc et puces. On peut dire que les personnes qui sont venues écouter de la poésie au risque de repartir trempées l’ont fait par choix. Et ce d’autant que les médias n’avaient consacré que deux lignes à l’annonce, en oubliant Anne et en remplaçant Frédérique par Hélène, la contrebassiste qui intervenait l’an passé. On ne peut qu’être reconnaissants à ceux qui sont venus si nombreux.

.

 

Les premiers spectateurs et la scène au bord de s’envoler

 

C’est bien d’ailleurs l’événement essentiel, et les rencontres après le spectacle se sont prolongées jusque tard le soir avec des auditeurs qui venaient parfois de loin.

Le spectacle était très risqué car mes poèmes sous leur apparence simple étaient assez complexes, André avait la charge de passer du français au russe, Anne et Annie devaient chanter les chansons en breton et en français — expérience nouvelle qui pouvait tout à fait échouer, mais elles ont, au contraire, donné l’impression que ces anciennes chansons passaient avec une fluidité naturelle d’une langue à l’autre, comme André du russe au français, et c’est cette circulation fluide des thèmes et des langues qui assurait le passage des images d’enfance, à la fois nette et floues, perdues dans un rêve mais immédiates comme les images des chansons.

 


Anne Auffret, Annie Ebrel et André Markowicz retenant son texte à deux mains

 

L’idée d’Annie de faire appel à Frédérique et au marimba pour assurer cette impression de fluidité était vraiment lumineuse, et la harpe d’Anne venait apporter l’exact contrepoint attendu pour des textes et des chansons écrits en miroir, et parfois traduits, ou non traduits, en miroir. D’autant que les voix d’Anne et d’Annie se répondent et se complètent admirablement.

 


Frédérique Lory, une marimbiste dans le vent

.

Nul n’aurait pu penser qu’elles luttaient contre la bourrasque et le spectacle s’est terminé dans une sorte de lumière d’avant la pluie qui était comme un miracle de sérénité.

 

*

 

Autre miracle, à notre grande surprise, pour la première fois depuis plus de vingt ans, la presse locale a relayé l’événement en mentionnant mon nom et en donnant un véritable article. Merci à Manon Thépault, la jeune journaliste qui nous a interrogés.

.

Les photographies qui illustrent cet article sont dues à Oliver Troël qui en possède le copyright.

Publié dans André Markowicz, Bretagne, Breton, chanson, Pasternak, Poésie, Poésie russe, Spectacle, Traduction | 2 commentaires