Depuis 24 ans, la librairie Olympique est le cœur de la poésie à Bordeaux et c’est autour de ce cœur que, chaque année, à l’initiative de Jean-Paul, l’infatigable libraire, se rassemblent poètes, éditeurs et passionnés de poésie.
Cette année, j’étais invitée à présenter mon travail pour les éditions Mesures – et principalement L’Oiseau-loupqui, victime de la guerre en Ukraine, était passé inaperçu, faute de temps pour le présenter et lui donner quelque visibilité. Il prolonge les quatre volumes de Sur champ de sable par un récit où se rassemblent les personnages évoqués par fragments dans Assomption et Buée. Il s’agit donc d’un livre essentiel pour comprendre l’ensemble (même s’il est vrai qu’il est aussi possible de ne pas en tenir compte et de lire chaque livre de manière indépendante).
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Nous étions assez inquiets puisque les grèves rendaient aléatoire la possibilité de se rendre à Bordeaux et que nous avions fait venir (pensions-nous) beaucoup trop de livres mais l’atmosphère amicale, les rencontres chaleureuses et les découvertes nous ont bien vite fait oublier nos inquiétudes… Et, au total, aussi incroyable que cela puisse paraître, nous n’avions pas assez de livres.
Il nous faut dire un immense merci à Jean-Paul, Marie, Christine, Patrice et tous ceux qui nous ont ainsi permis de faire vivre nos livres comme ils doivent vivre, c’est-à-dire comme des partages de vivant à vivant… Le plus touchant pour moi a été de rencontrer des lecteurs qui avaient attendu un an pour se faire dédicacer un livre, gardé avec soin et lu comme il devait l’être, c’est-à-dire lentement, au fil des mois.
Le culte du drapeau promis à connaître son apothéose cette année s’inscrit en Bretagne depuis les origines dans le contexte général du culte de l’ethnie (ou, pour Morvan Marchal, l’inventeur de ce drapeau, de la race) bretonne, bien distincte (puisque celte) de la France métisse. Le culte du drapeau plonge dans le culte de l’ethnie qui plonge dans le culte des origines – des origines bien obscures puisque, d’après d’éminents archéologues anglais, les Celtes n’existent pas. À quoi les Celtes servent-il donc ? À planter le décor d’une Europe des ethnies minorisées appelées à se libérer.
L’exposition Celtique ? orchestrait récemment tous les lieux communs de la celtitude en passant sous silence l’usage politique qui en était fait. Cet usage commercial à visée politique est parfaitement illustré par les projets du conseil régional tel qu’ils ont été exposés lors de la cérémonie des vœux à la Maison de la Bretagne à Paris. Le président du conseil régional a, en effet, annoncé « trois moments forts pour 2023 : le Forum celte à Lorient qui sera une rencontre des politiques des nations celtes » (dont la Bretagne) ; « le congrès des régions à Saint-Malo » et « la réunion des cinquante ans des régions périphériques et maritimes d’Europe (plus de 200 régions) ». C’est ce que rapporte le journal Bretagne-Ile-de-France.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, la Conférence des régions maritimes a été fondée en 1973 par l’autonomiste Joseph Martray (avec la complicité de René Pléven, à la tête du CELIB, le redoutable lobby ethnoaffairiste que Martray avait commencé par mettre en place). Le but de la Conférence des régions maritimes étaitde court-circuiter l’État central et de mettre la Bretagne en relation (sur fonds de ce même État) avec les autres « nations celtes », Irlande, Écosse, pays de Galles… De fait, comme l’annonçait triomphalement Ouest-Francevoilà dix ans, célébrant par la voix de Le Drian cette arme efficace de l’ethnorégionalisme, « en quarante ans, la Conférence a largement étendu son champ d’intervention, devenant l’interlocutrice incontournable des institutions européennes, Commission ou Parlement. » Le journaliste, tout acquis à la cause, titrait son article « Les régions maritimes ont pris le large ». Tel était bien le but. Il n’a pas changé.
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Le Forum celte de Lorient qui devait rassembler ce jour les « politiciens des nations celtes » mais a été reporté pour cause de problèmes de transport (la grève a du bon) s’inscrit donc dans ce contexte global. Un indépendantiste breton maudissait tout récemment le politologue Benjamin Morel, auteur de La France en miettes, coupable, selon lui, d’avoir inventé un « ethnorégionalisme » qui n’aurait aucun sens. L’ethnorégionalisme, c’est ça.
Le panceltisme, le pangermanisme et le panslavisme sont les faces du même. On voit en Ukraine à quoi mène le culte des racines. Les discours lénifiants du président du conseil régional ne font que rendre plus odieuse cette fabrique identitaire que dénonçait déjà Le Monde comme si.
Il ne suffisait pas de la promotion du drapeau dit breton dans les supermarchés, les stades (où le « gwenn-ha-du » est distribué par milliers au frais du contribuable), les places et autres lieux où le populisme trouve à s’exercer sur le chaland sans méfiance, voilà que se présente une nouvelle occasion de diffuser une propagande nationaliste massive : la célébration de l’anniversaire de la bannière supposément inventée en 1923.
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Nous sommes bien loin de ces jours où, découvrant un « gwenn-ha-du » piqué dans un far, j’allais m’interroger sur la prolifération de ce symbole passablement sinistre : nous n’en étions alors qu’au début du phénomène et, le culte du drapeau me paraissant relever du plus pur ridicule, surtout connaissant les origines de le bannière, j’avais écrit un article ironique à ce sujet. Cet article, intitulé « Blanche hermine, noir drapeau » m’avait été demandé par les responsables d’une revue qui se prétendait alors « de débats ».
En ces temps lointains, j’étais loin de me douter que cet article allait faire de moi l’Ennemie de la nation, le grand Satan, la Femme démoniaque toute faite pour fédérer de l’extrême droite à l’extrême gauche le mouvement breton. Les réactions des lecteurs allaient m’éclairer, sans parler des déchaînements d’invectives (qui, depuis, n’ont jamais cessé, dressant le portrait de ce mouvement fondamentalement réactionnaire et machiste).
Infime numériquement, infirme idéologiquement, le dit mouvement breton n’exerçait alors qu’un pouvoir de nuisance limité, même s’il avait pu, grâce notamment à l’aveuglement sélectif de l’État français, prendre le contrôles des institutions culturelles, Institut culturel de Bretagne, Conseil culturel de Bretagne et tutti quanti.
Je n’en étais alors qu’au début de mes interrogations et, dans ma naïveté, m’indignais des hommages rendus aux grands hommes de la nation bretonne, auteurs, par exemple, de textes antisémites (textes qu’il fallait traduire mais – autre découverte – à quoi bon puisque la traduction était aussitôt censurée) et nazis jamais repentis (mais – il me restait encore à le découvrir – le rappeler relevait du « complotisme » car ces grands hommes, étant bretons, n’étaient pas nazis mais engagés dans un méritoire « combat breton » : ainsi, autre exemple, un parmi tant d’autres, le président du Conseil culturel de Bretagne défendait-il tout récemment encore un auteur comme Drezen). Le cas de Maurice, dit Morvan, Marchal, l’inventeur de la bannière nationale, rentrait dans le lot. Pas question de rappeler ses écrits : hérésie, pure hérésie ! Condamné à la Libération, oui, mais par la France jacobine, l’Ennemie, l’éternelle Ennemie, l’Ennemie de race que je me trouvais subitement, et si opportunément, incarner.
Il me restait à découvrir comment et pourquoi le kit nationaliste inventé par le groupe raciste Breiz Atao (fondé par Marchal) était massivement imposé aux Bretons et tenter d’alerter à ce propos : c’est le sujet du Monde comme siqui, paru voilà vingt ans, a été l’objet d’une censure constante en Bretagne – et, au moment où le culte du drapeau fait rage, est l’objet d’attaques renouvelées. Sans doute n’est-ce pas sans raison puisque l’enjeu pour les militants bretons, dès lors que le lobby patronal breton et les élus leur offrent tout pouvoir, est de taille : il s’agit bien d’enrôler un peuple sous bannière nationale et de le convaincre de gober la potion enivrante qui le mènera au combat pour sa libération. La potion lui est administrée jour après jour jusqu’à mithridatisation. C’est à quoi sert le culte du drapeau. Quoiqu’il soit plus ridicule que jamais, le culte du drapeau, tel qu’il est à présent officialisé, ne me semble plus du tout de nature à faire rire.
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Rappeler quelques faits face à cette opération de propagande n’est, malgré tout, pas inutile : on trouvera sur le site du Groupe Information Bretagne une petite fiche pédagogique qui peut être imprimée à peu de frais, une mise au point concernant le prétendu anniversaire du « gwenn-ha-du » et, sur le site « régionalismes.infos », un dossier de Pierrik Le Guennec appelant à réflexion. Cette réflexion pourrait être prolongée par les protestations de lecteurs qui, depuis de longues années, me font part de leurs efforts pour s’opposer à la propagande ethnorégionaliste.
Il faut louer le courage des quelques lanceurs d’alerte soucieux de résister à ce qui, plus que jamais, entraîne la Bretagne dans une dérive dont les conséquences ne sont que trop prévisibles.
Alors qu’en Bretagne la propagande autonomiste bat son plein, voilà que se fait jour une protestation contre la « réunification » et qu’au même moment, relayant les mêmes observations, le politologue Benjamin Morel évoque le rôle assigné à la Bretagne dans l’éclatement de la France en ethnorégions (La France en miettes, éditions du Cerf).
Dans un cas comme dans l’autre, les arguments sont clairs, étayés sur des faits qui, d’ailleurs, reprennent en les prolongeant ceux que j’ai développés de longue date.
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Pour ce qui concerne les arguments développés par l’Association pour la valorisation et le soutien des Pays de la Loire (AVSPL), il faut être aveugle pour ne pas voir que l’annexion de la Loire Atlantique telle qu’elle a été promue par le lobby patronal breton regroupé dans le Club des Trente et l’Institut de Locarn est un préalable à l’autonomie, en attendant l’indépendance, de la Bretagne. C’est ce que le président de l’Institut de Locarn, un nommé Joseph Le Bihan, exposait dès 1993, et le programme a été repris par Le Drian, la collusion entre les nationalistes et le patronat ultralibéral étant, depuis 2004, ouvertement assurée sous label néosocialiste.
Ayant cessé de se proclamer socialiste, tout en restant acquis au « particularisme breton » (comme l’a déclaré le président de la République en le faisant voilà peu officier de la légion d’honneur au milieu de la « fine fleur des industriels bretons ») Le Drian a laissé à sa place Chesnais-Girard, qui a tenu à garder le label socialiste pour mieux appliquer le programme de Locarn (dont l’un des piliers, le PDG de l’entreprise Hénaff et président de l’association Produit en Bretagne, créée par l’Institut de Locarn, a d’ailleurs été élu sur sa liste au conseil régional). Sous sa présidence, le conseil régional vient de demander l’autonomie de la Bretagne. Une improbable délégation vient d’ailleurs de se rendre au Sénat pour la négocier (sans que les Bretons aient jamais été consultés).
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La « réunification » étant le préalable nécessaire à l’autonomie, la propagande bat son plein (la presse régionale est membre de Produit en Bretagne). Il n’y a là rien de nouveau : c’est ce que j’exposais dans Le Monde comme sivoilà vingt ans. Pourquoi donc y revenir ? Dès lors que la collusion des élus, des puissances d’argent et des médias est acquise, à quoi bon protester ? Et protester pour se heurter à une censure plus lourde que jamais ? Vous n’êtes pas pour l’autonomie de la Bretagne ? Mais c’est que vous êtes antibreton, jacobin, vétuste, réactionnaire ! Vous exposez ce que le programme de Locarn prévoyait voilà trente ans ? Mais c’est que vous êtes conspirationniste ! Vous protestez contre la réhabilitation de nationalistes bretons, auteurs nuls, artistes ringards, nazis jamais repentis ? Mais c’est que vous êtes élitiste, parisien, étranger au monde heureux de la culture bretonne forte de ses racines celtiques.
Tout un petit personnel se presse pour chasser en meute : prébendes, colloques, articles, spectacles, expositions, communications, congratulations… Les nationalistes fulminants sont à présent relayés par ce qu’un livre plus chafouin que les autres désigne comme « authenticité » et « nationalisme soft », le CRBC servant de ralliement à cette mouvance mieux apte à servir la dérive ethniste appuyée par le conseil régional.
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Toute opposition est muselée, cela va de soi. Qu’une association se crée pour protester contre la « réunification » est donc inattendu, improbable, et de nature à susciter, comme Le Monde comme si, un tir de barrage organisé. Ceux qui ont eu le courage de protester ne pouvaient manquer de savoir à quoi s’attendre, le florilège des invectives que j’ai dressé ici en est témoin.
Cependant, il y a maintenant une différence : l’onction, je ne vois pas d’autre mot pour désigner ce ton jésuitique, tout à la fois plein de morgue et huilé d’amabilité, employé pour dispenser la bonne parole au paroissien qui pense mal. Ce ton paternaliste de qui sait être du bon côté du dogme et avoir le soutien de l’Église, ce n’est pas seulement celui du journaliste mais celui du président du conseil régional, et là est bien l’essentiel, au-delà même des arguments développés.
« À bas bruit » – quand le vacarme de la propagande identitaire mobilisée pour soutenir la « réunification » ne cesse de croître depuis des années (un vacarme auquel il participe, d’ailleurs : ne renvoie-t-il pas lui-même à l’un de ses articles célébrant le triomphe des « racines » de Nantes – des racines bretonnes, ça va de soi)… et une « bataille identitaire » – comme s’il fallait coûte que coûte rabattre toute protestation sur une revendication identitaire, quand bien même le but de la toute jeune association serait précisément d’y échapper…
Et de terminer en donnant la parole au président du conseil régional de Bretagne, ce pauvre Chesnais-Girard « contraint » de répondre à ce que ce journaliste désigne comme « un livre polémique» paru « de l’autre côté de la frontière » (la frontière qui sépare la Bretagne de la France, et à laquelle ce même Créhange vient de consacrer un autre essai), à savoir le livre de Benjamin Morel.
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Le président du conseil régional a cru devoir (n’est-ce pas étrange ?) se fendre d’un communiqué alors même que le livre n’était pas encore dans les librairies de Bretagne (du moins ne l’ai-je pas trouvé à Rennes) et ce communiqué, quoique publié sur twitter, se caractérise précisément par le ton plein d’onction du père confesseur attristé de voir qu’un professeur des universités a pu se laisser aller à tenir des propos si peu convenables et, au total, si « poussiéreux ».
Le propre de l’ethnorégionalisme (c’est ce que montre d’ailleurs Benjamin Morel) est de se présenter les revendications les plus éculées sous le jour coruscant de la modernité : le président se déclare fier d’avoir présenté une version dépoussiérée du « Bro Gozh Ma Zadoù », hymne très joli et pas du tout antisémite ; dans la bonté de son cœur, il se dit prêt à ouvrir sa porte à ce professeur momentanément, espérons-le, égaré : l’ayant entendu en confession, il ne manquera pas de le convertir aux vertus du régionalisme car le propre du régionalisme est aussi de vouloir le bien de l’humanité par la vertu des petites patries (autre topos exposé par Benjamin Morel).
Suit une charge contre la vétusté de la France (il faut la dépoussiérer, elle aussi) et une allusion, non pas au glorieux mouvement des Bonnets rouges organisé par le lobby patronal breton, mais à celui des Gilets jaunes. Le pieux cynisme ne connaissant pas de limites, les Gilets jaunes peuvent servir à faire passer le projet de dérèglementation sous habillage identitaire porté par la secte autonomiste (qui se pare du nom de régionaliste pour ne pas effrayer le Breton).
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Naguère encore tout cela m’indignait – or, l’indignation est, malgré tout, la manifestation d’un espoir d’être entendu. Mais ce qu’exposait Le Monde comme si se réalise, et de manière plus bête, plus lâche, plus bigote qu’il n’était possible de l’imaginer. Il m’arrive depuis peu d’avoir honte de me trouver associée à ce répugnant remugle qu’on appelle désormais breton – l’exposition Celtique ? n’a pas été pour rien dans ce sentiment de honte face à la bêtise officialisée…
En l’occurrence, de simples citoyens ont le courage de protester contre une manipulation ; un politologue essaie d’informer sur une dérive dont l’issue est prévisible : cela mériterait un débat. Mais c’est qu’il s’agit d’interdire tout débat – et le président du conseil régional, payant de sa personne, se précipite pour excommunier, avec toute l’onction possible, le pécheur, et proclamer les dogmes de la vraie foi qui n’est qu’amour.
En Bretagne, personne ne proteste.
Et puis, de toute façon, à quoi bon protester ? La messe est dite.
Mais, « de l’autre côté de la frontière », il se trouve des personnes qui ont encore le courage de lutter contre cette soumission et cet abaissement.
C’était une gageure que de publier un livre de photographies… tout le monde nous le disait, « ça ne se vend pas », mais, rien à faire, j’avais décidé de publier les images d’Yvonne Kerdudo qui m’avaient le plus touché.
Résultat : le livre paru en décembre est en voie d’épuisement, et cela sans que nous ayons fait le moindre service de presse (vu que, de toute façon, en Bretagne, l’omerta est de rigueur et qu’ailleurs il est vain de lutter avec les flots de publications défendues par des attachées de presse pleines d’un enthousiasme dont l’étiage ne descend jamais). Je n’oublie pas le courage dont Aliénor qui dirige la librairie Comment dire à Rennes a fait preuve en nous invitant à présenter ce livre à parution.
J’ai signalé ici le remarquable entretien avec Christine Bessi sur radio Alligre au sujet des éditions Mesures et des Enfants de la guerre (entre autres). Il est accompagné d’un texte non moins remarquable d’attention et d’empathie (lisible sur le site de la radio).
Depuis, j’ai découvert un un bel article de Gilles Walusinski dans la revue critique Délibéré…
Et, ce matin, j’ai reçu le dernier numéro de Bretagne-Île-de-France avec cette interview de Gabriel Delahaye qui a toujours été attentif à mon travail (et ce depuis l’affaire Luzel dont il avait fait un compte rendu mémorable, et plus actuel que jamais, voilà maintenant bien longtemps). Les photographies de Madame Yvonne forment un lien touchant avec les collectes de Luzel dans les mêmes village du Trégor)…
Par le plus grand des hasards, au détour d’une alerte Google, André Markowicz découvre qu’une « table ronde » a lieu le 28 janvier au sujet d’un album que j’ai traduit – en fait quatre albums de Samouil Marchak rassemblés sous le titre (que, pas plus que Marchak, je n’ai choisi) de Quand la poésie jonglait avec l’image.
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À lire cette publicité, comme on peut le voir, la poésie qui jongle avec l’image, c’est celle de Marchak illustrée par Lébédev : elle existe telle que l’éternité la change, le texte français n’étant mentionné qu’au même titre que la recomposition des images ou la recherche d’’éditions, tâches subalternes mais hélas nécessaires.
Je n’ai été ni informée que cette table ronde avait lieu ni invitée, cela va de soi puisque la version française de ces quatre poèmes n’a pas plus d’existence aux yeux de l’éditeur qu’à ceux des responsables de la bibliothèque patrimoniale de l’Heure joyeuse – qui, je l’apprends à cette occasion, organise depuis plusieurs semaines un hommage aux éditions MeMo (et notamment une exposition intitulée « Lire l’enfance avec les éditions MeMo »).
J’ai traduit en 2005 ces quatre albums de Marchak. Le livre est introuvable depuis, à mon avis, au moins quinze ans. J’ai dû publier une trentaine de livres aux éditons MeMo, tous passés sous silence. Cette étrange « épopée éditoriale » poursuivie autour d’un livre absent fait de la « poésie » un texte lui-même absent, tenu pour nul et non avenu, alors même que Marchak ne séparait pas poésie et traduction.
Il me semble qu’elle en dit plus long que de longues démonstrations sur le statut de la traduction en France.
La place du traducteur, c’est la place de l’absent.
C’est ce qui explique la faiblesse de la traduction en France, et particulièrement la désastreuse faiblesse de la traduction de poésie.
Marchak avait ouvert une voie qui s’est ici changée en impasse.
Encore faut-il que les traducteurs en prennent conscience.
Aujourd’hui samedi à 16 h, sur la radio libre Alire FM, Christine Bessi consacre son émission « Dialogues » aux éditions Mesures et notamment à leur création à partir de Sur champ de sable. Chose qui mérite d’être signalée, elle accompagne chaque émission de textes qui témoignent de ses recherches – des recherches personnelles précises qui sont à chaque fois une véritable découverte.
Il sera ensuite possible d’écouter l’émission en ligne (comme l’émission du 7 janvier dont j’ai parlé ici).
Je trouve toujours tout à la fois étrange et merveilleux d’enseigner dans un conservatoire car les jeunes acteurs semblent si peu motivés par l’obligation de conserver que le contresens initial donne l’impression d’entrer dans une zone de recherche libre : il s’agit de transmettre en redécouvrant, donc de ne rien conserver a priori puisque tout peut à tout instant être remis en question… sauf ce qui mérite d’être conservé, et qui est ce qui reste quand tout est oublié.
Au bout d’une semaine de travail sur La Cerisaie avec les étudiants de première année du Conservatoire de Lyon, nous nous sommes dit, Philippe Sire, le directeur du Conservatoire, André Markowicz et moi, qu’il faudrait poursuivre l’expérience en jouant les deux versions de l’acte II, la version académique et la version telle que Tchekhov l’avait écrite et que nous avons publiée pour la première fois. Manière d’approcher les profondeurs énigmatiques de cette pièce que nous n’aurons jamais fini de découvrir.
C’est grâce à la collaboration exemplaire du TNP et du Conservatoire que nous avions pu, l’an passé, travailler sur La Folie Tristan. Dans le cas de La Cerisaie comme dans le cas de La Folie Tristan, nous voulions donner aux élèves conscience de l’importance et des enjeux de la traduction – prise de conscience essentielle au moment où tant de metteurs en scène mélangent les traductions, voire les dénaturent pour mieux les plagier, où les plus grands théâtres omettent de mentionner le nom des traducteurs et où les critiques les passent sous silence. C’est sur ce fond d’indifférence au texte que prolifère la contrefaçon qu’il est si difficile de combattre et qui est elle-même une incitation à la médiocrité.
Les rencontres qui viennent d’avoir lieu sont beaucoup plus que des rencontres : l’occasion de donner à entendre la parole de ceux des Russes qui, héroïquement, résistent à la dictature et à la folie meurtrière du pouvoir.
Daniil Beilinson a dû prendre le parti de quitter la Russie où sa vie et celle des siens était menacée. Réfugié en France depuis le mois de mars avec sa famille, il continue de faire vivre le site de l’organisation de défense des droits de l’homme qu’il a créée : OVD info
Le samedi 7 janvier à 16 h la radio libre Aligre FM a diffusé l’entretien de Christine Bessi avec Daniil Beilinson et André Markowicz. Il est possible à présent de l’écouter en ligne… ou encore de la lire sur le site de la radio grâce au travail minutieux de Christine Bessi.
C’est d’ailleurs l’occasion de découvrir « Dialogues », l’émission qu’elle anime, émission « consacrée aux échanges pluriels » (qui, le 21 janvier à la même heure présentera l’expérience de création des éditions Mesures).
Tatiana Frolova, elle, a fini par se résoudre à quitter la Russie après avoir pendant plus de trente ans dirigé le théâtre KnAM à Komsomolsk-sur-Amour. Ce petit théâtre était devenu depuis bien longtemps le symbole même de la résistance à la guerre, à la réécriture de l’histoire et à la terreur. Pour la décider à quitter la Russie, il a fallu que l’air devienne vraiment irrespirable…
Le 8 janvier, à la médiathèque Marcelline Desbordes-Valmore de Lyon avait lieu une rencontre avec elle, Jean Bellorini et André Markowicz. L’occasion en était la mise en scène du Suicidé de Nikolaï Erdman au TNP, mise en scène qui connaît un triomphe et qui, en soulignant les liens avec l’actualité, est aussi un acte de résistance. Jean Bellorini a su, chose exceptionnelle, provoquer ce rire qui appelle le sanglot – le rire qui rend les comédies d’Erdman si bouleversantes.
Magnifique rencontre et salle comble mais de nombreuses personnes ont été déçues de ne pas pouvoir entrer.
Pour se consoler, il est possible de regarder en ligne quelques extraits du Suicidé ou d’aller voir la pièce à Villeurbanne jusqu’au 20 janvier, puis les 27 et 28 janvier à Massy, du 9 au 18 février à Bobigny et ensuite à La Rochelle, Compiègne, Marseille, Amiens.
Je n’exagère pas en disant qu’elle connaît un triomphe… en témoigne la petite vidéo du huitième rappel que m’adresse une spectatrice.
Pour ouvrir la nouvelle année, quoi de mieux qu’une image d’Yvonne Kerdudo, l’une de ces merveilleuses images sur plaques de verre transmises au risque du temps et que les fractures ont rendues plus précieuses ? Ce petit garçon qui semble sourire à l’avenir, quel symbole ! Si je ne l’ai pas fait figurer parmi ceux dont j’ai retenu l’image pour LesEnfants de la guerre, c’est que la photographie, si belle, était trop forte et le symbole trop visible. Adieu, regrets puisqu’elle trouve ici sa place… Adieu, regrets, adieu, la vieille année. Puisse celle qui vient être digne du sourire de ce petit garçon qui tient d’une main si ferme la crinière de son cheval de carton.