Ça nous a semblé une drôle d’idée, de mettre Oncle Vania en bande dessinée mais l’éditeur avait l’air enthousiaste et, après tout, pourquoi pas ? L’illustrateur, Rémy Benjamin, n’entendait pas faire une adaptation mais respecter scrupuleusement le texte, ce qu’il a fait, et la qualité des livres des éditions la Boîte à Bulles nous a semblé irréprochable. Nous avons pu suivre le travail au fil des mois en sorte que l’album qui vient de sortir n’a pas été une révélation pour nous mais il y a la qualité de l’impression, le rendu des couleurs et tout simplement le fait de pouvoir suivre le déroulement page après page de cette pièce de théâtre mise en images qui ont été une découverte.
Le plus beau pour moi est la manière dont les personnages s’inscrivent dans des paysages dont les nuances varient au fil des jours et des heures. Il ne s’agit pas d’un décor : l’histoire est celle de ces paysages qui sont en train d’être détruits comme les vies sont détruites, et le médecin Astrov qui veut sauver les forêts l’explique sans pouvoir être entendu. Arbres coupés, vies brisées…
C’est Astrov, le sauveur des forêts, qui brise la vie de Sonia sans même y prendre garde. Et le professeur Sérébriakov soumet tout à son obtuse tyrannie. L’une des images les plus terribles est celle qui montre le professeur, ce faux malade, tenant sa femme près de lui la nuit à le veiller en attendant le médecin (qu’il refusera de voir). Elle fait suite à une double image très belle qui situe cette scène étouffante dans l’immensité de la nuit.
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Certaines pages relèvent vraiment de la bande dessinée, comme la scène au cours de laquelle Vania tire sur le professeur….
mais d’autres sont de véritables tableaux, rappelant les paysages russes, ou des scènes immobiles qui donnent le sentiment du passages du temps. Ainsi les dernières scènes qui montrent Vania et Sonia, laissés à leur solitude.
Qu’aurait pensé Tchekhov de cette bande dessinée ? Je pense qu’il aurait eu son petit sourire énigmatique et qu’il aurait remercié.
Tout avait commencé au TNP à Villeurbanne par une rencontre baptisée master class, selon la terminologie désormais admise, avec des professeurs de toute l’académie. Nous venions alors de terminer la traduction des Sonnets de Shakespeare et je devais écrire un spectacle qui serait donné à la Scala pendant le Festival d’Avignon. J’ai proposé aux professeurs de tester mon projet en donnant leur avis sans hésiter à formuler toutes leurs critiques. La rencontre était vraiment passionnante et j’ai pu procéder aux modifications qui s’imposaient. Par la suite, le spectacle a été donné à plusieurs reprises à Avignon et à Paris.
Au nombre des professeurs se trouvait Anne Robatel qui enseigne l’anglais en classes préparatoires au lycée Édouard Herriot. Elle a proposé de poursuivre l’expérience avec les élèves et, chose vraiment extraordinaire, elle a réussi à rassembler des élèves de toutes les classes du lycée, de la seconde à la khâgne. Nouvelle expérience, si passionnante que les élèves ont décidé de la prolonger tout au long de l’année en donnant un spectacle.
Cette année, poussant plus loin la difficulté, Anne Robatel s’est associée avec plusieurs collègues pour proposer aux élèves des rencontres sur la traduction en partant d’abord de ma traduction de Roméo et Juliette qui vient de paraître aux éditions Mesures, puis de ma traduction du Roi Lear (car cette pièce est au progamme de l’ENS-Ulm pour les anglicistes) et, pour élargir le champ, des lectures d’un lai de Marie de France et des sonnets extraits de Clair soleil des esprits qui vient aussi de paraître aux éditions Mesures et prolonge les Sonnets, Roméo et Juliette et Le Roi Lear.
Vaste programme…
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Pour commencer, nous nous sommes retrouvés au Théâtre des Célestins, puis au lycée.
Cette année encore, les très savants étudiants de khâgne et les élèves du cours de théâtre ont participé avec la même attention à ce travail collectif où (et c’est ce qui avait caractérisé nos échanges si enthousiasmants au TNS l’an passé) tout le monde, petit ou grand, savant ou pas, avait part et pouvait jouer son rôle.
Beaucoup de travail et beaucoup de temps pour les professeurs qui ont organisé ces rencontres, mais aussi l’impression que ce (très beau) lycée (où l’on continue de rendre hommage à la Résistance et à Lucie Aubrac qui y enseignait) était un lieu de partage, ouvert à des recherches qui, partant des voies toutes tracées du programme, permettent de les prolonger et de découvrir d’autres voies. C’était très sérieux, très drôle et très joyeux.
L’inauguration de l’exposition a eu lieu, tout s’est merveilleusement passé, et comme André a rédigé une chronique sur Facebook à ce propos, je me contente de la reproduire ici.
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Être reçus
Il y a Trump, il y a tout ce que vous voulez, et nous, pendant qu’il y a tout, ce que nous avons fait, Françoise et moi, pendant deux semaines, c’est préparer – en deux semaines – une exposition sur nos éditions Mesures. Parce que l’invitation venait du directeur de la Bibliothèque Ceccano d’Avignon, Jérôme Triaud, – de venir lancer la Saison VI, là, ici, enfin, dans une galerie de cette bibliothèque – si ancienne, si riche, si extraordinaire (elle remonte au XIVe siècle), qui s’était abonné, à titre personnel, et qui avait demandé à abonner la bibliothèque, à toutes nos Saisons. Une exposition sur notre six années d’existence, de travail. Qu’est-ce que ça voulait dire ? Comment on fait une exposition sur une maison d’édition, et surtout, sur une maison comme ça, qui, certes, est une maison, mais une maison tellement particulière, qui publie peu (cinq livres par an), n’accepte pas de manuscrits, et se diffuse en grande partie non pas seulement chez les libraires (évidemment chez les libraires !… que serions-nous sans les libraires ?) mais aussi par abonnement, par un système d’AMAP, – et c’était bien le titre de cette exposition, qui s’inscrivait dans le cadre des Nuits de la lecture, « LES ÉDITIONS MESURES, UNE AMAP LITTÉRAIRE »…
En fait, nous ne nous rendions pas compte de ce que ça signifiait, cette invitation. De la quantité de travail que ça nous demanderait, et, surtout, surtout, de la charge émotionnelle que ça implique, puisque, ce que nous avons fait, c’est revenir sur nous, sur chaque livre (et, là encore, évidemment, nous n’avons pas parlé de tous nos livres), et d’y revenir non pas par les récits, mais factuellement, par des documents. Que faire pour faire comprendre qui nous sommes, nous, – je veux dire Françoise Morvan et André Markowicz, – quelles sont nos origines, ce que nous avons fait, en dehors de Mesures, – comment faire pour donner à sentir ce qui nous lie ? Quelles origines sociales ? Quelles origines géographiques ? C’était impressionnant de monter une vitrine, par exemple, en mettant d’un côté les photos de Françoise, – sa grand-mère paternelle (une paysanne en costume de Rostrenen) et sa grand-mère maternelle (une jeune fille de la bourgeoisie de Guingamp) – et les miennes, prises dans les photos de mes Partages publiées aux éditions inculte, – mon arrière-arrière-grand-père en juif religieux de Lituanie, et ma grand-mère et ma grand-tante, en petites filles de la petite bourgeoisie de Pétersbourg… – Oui, l’importance des grands-mères, de cette transmission par delà les générations, de ce que nous avons reçu, – et ces maisons communes, si différentes. –
Nous avions huit vitrines à notre disposition. Je ne vais pas vous faire le parcours, – ça n’aurait pas de sens ici, – mais ce qui compte, pour nous, c’est cette sensation d’un parcours, – six ans de travail, et trente-deux livres, mais des livres qui, je ne sais pas comment dire, tous, tout différents qu’ils sont, viennent de quelque part, et font, tous, d’une façon ou d’une autre, un chœur. Parce que nous avons aujourd’hui, trente-deux livres chez Mesures, – des livres qui ne distinguent pas le théâtre, la poésie, la prose, la traduction et la non-traduction, les domaines linguistiques, les langues, les époques. Trente-deux livres qui se répondent, d’une façon, étrangement, peut-être, aléatoire et évidente, qui se construisent les uns les autres, qui sont liés, tous, les uns aux autres. Et puis, dans notre dernière vitrine, nous avons voulu rendre compte du travail sur la matière du livre, non pas les mots, mais le papier, mais la typographie, sur le travail que nous menons avec notre imprimeur, devenu notre ami, avec la Scop de Média Graphic.
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Ce que nous avons aussi pensé, c’est que non seulement il fallait présenter des documents (des manuscrits, des éditions originales, des gravures, les originaux des illustrations de Françoise, plein et plein de choses), mais il fallait aussi écrire des textes pour raconter ces choses, leur donner vie pour qui voudrait venir, faire que ces choses, pour nous si importantes, deviennent vivantes pour qui voudra. Et nous nous sommes dit qu’il était important de présenter les portraits des auteurs russes que j’ai traduit, avec une courte biographie (au total, treize auteurs jusqu’à présent), et que, tous, oui, absolument tous, ils étaient liés par une chose fondamentale : chacun d’entre eux a été un homme ou une femme libre, tous, ils ont joué leur vie contre la dictature. Tous, ce qu’ils ont écrit, c’était une question de vie ou de mort. Et que c’était bien cela qui comptait, – cette lutte pour la dignité dans un pays, la Russie, où la dignité humaine est quotidiennement foulée aux pieds, une lutte pour rester libre, au prix de sa vie même, dans un pays où, la liberté, trop souvent, on la paie de sa vie.
Dire cela, ce n’est pas revendiquer leur héritage et se placer, présomptueusement, à leur suite. C’est juste dire un fait – la Russie, ce n’est pas seulement la monstruosité de l’Empire, tsariste, communiste ou poutinien. C’est autre chose, c’est aussi une lutte contre. Et autre chose encore, – une lutte pour la beauté.
Nous nous sommes retrouvés, devant les spectateurs qui sont venus, à raconter, image par image, notre parcours, notre travail, cette nécessité où nous sommes de continuer. Et le faire dans le cadre inouï de cette bibliothèque, ce n’est pas seulement un honneur, mais une émotion dont je puis dire qu’elle est très très profonde. Nous retrouver ici, à Avignon, dans cette bibliothèque, parmi des gens, connus de nous ou inconnus, qui nous reçoivent – au sens le plus noble du terme.
Cette exposition, elle sera visible jusqu’au 15 février. Je voulais dire merci d’être reçus ainsi. Et oui, la Saison VI est aujourd’hui lancée…
Aujourd’hui à 18 h à la bibliothèque Ceccano en Avignon, nous inaugurons l’exposition que le conservateur, Jérôme Triaud, a souhaité consacrer aux éditions Mesures – un geste d’amité qui nous a permis de faire le point sur cette expérience commencée voilà six ans. Et c’est aussi à la bibliothèque Ceccano que nous inaugurons la Saison VI des éditions Mesures.
Le journal Bretagne-Île-de-France m’a invitée à présenter mes vœux aux lecteurs. J’en ai profité pour évoquer le sujet interdit sur lequel il y aurait pourtant long à dire : l’indécent appel à combler le trou sans fin creusé par Diwan (et par la Coop Breizh qui, ô miracle, dépose son bilan en septembre et publie en novembre une luxueuse revue sur papier glacé (quoi qu’elle prône l’écologie), revue brassant la propagande habituelle avec une vigueur renouvelée).
Même mouvance nationaliste, mêmes réseaux, même milieu, même idéologie, même rôle, même art de régner en mendiant plus de subsides. Qu’est-ce qu’un petit trou de 500 000 €, si vite comblé, quand on sait qu’en dix ans le conseil régional a versé plus de 13 millions d’euros à Diwan (et près de 800 000 € à la Coop Breizh pour des projets qui disent à eux seuls le poids idéologique sans fin alourdi sur la culture et l’édition en Bretagne). Et tout ça pour quoi ? Les Bretons se contentent de ne pas mettre leurs enfants à Diwan (qui se plaint de la chute des effectifs) et de ne pas acheter les produits de la Coop Breizh (qui demande sa mise en redressement judiciaire). Et l’Éducation nationale est menacée de perdre 4000 postes…
Je n’ai pas évoqué le fait que Diwan prépare l’ouverture de nouvelles écoles en pays gallo (où l’on n’a jamais parlé breton) et je n’ai pas mentionné l’affaire du Diwan Hell Fest : tous les ans a lieu un festival de hard rock pour soutenir l’école Diwan de Guipel (encore une fois, en plein pays gallo) et célébrer le « Nouvel an celtique ». L’an passé, Deströyer 666, groupe raciste, était invité. Sans les informations données par Médiapart, l’affaire serait passée inaperçue mais, sitôt l’information donnée, Diwan a vertueusement protesté. Personne ne s’est indigné du contenu habituel du Diwan Hell Fest (ou Samaïn Fest)) : propagande néodruidique, nordisme, assimilation des Bretons à la race celtique supposée plonger dans les profondeurs mystérieuses des mythes et de la magie d’Irlande… Avec invitation de groupes indépendantistes comme les Ramoneurs de menhirs… Aucun parent n’a jamais protesté. La direction de Diwan non plus. Ni le conseil régional. Ni le rectorat.
Oui, le vœu de voir enfin régner un peu de décence est un vœu pieux mais un petit rappel à la réalité n’est jamais inutile.
Je vais juste reprendre ici le texte qu’André a publié pour annoncer le lancement de cette nouvelle saison.
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Six ans de travail quotidien, de passion et d’inquiétudes, de surprises et de joie, six ans et trente-deux livres, et cette sensation étrange de liberté et de jeunesse alors que nous sommes loin d’être jeunes, mais si, en fait, vraiment, malgré les fatigues qui s’accumulent, juste parce que nous faisons ce que nous ne pouvons pas ne pas faire, et qu’à chaque fois, pour chaque livre, c’est, oui, une maison qui se construit, et comme un chœur qui se développe, – les livres se répondent, même si, bien sûr, les lecteurs, le plus souvent, ne peuvent pas le voir (quoique…), ils touchent des cœurs, à une toute petite échelle, – la nôtre – et ils nous valent, souvent, des réactions bouleversantes. Bref, chers amis, voilà. Aujourd’hui, nous lançons donc l’abonnement pour la sixième année.
Vous verrez sur notre site, évidemment, mais quels sont ces livres ?
D’abord, Un an de guerre. – J’ai rassemblé mes chroniques facebook de l’année 2022. Celles, donc, de la première année de guerre. La guerre continue et continue encore ; plein de gens me demandaient quand elles seraient publiées, ces chroniques. Fallait-il attendre encore ou publier en même temps celles de 2023 et 24 ? Le livre aurait été impubliable, juste par le poids et la grosseur. Non. Un an de guerre est donc un témoignage, et, je puis le dire, un acte de combat. Et c’est pour ça que nous commencerons par lui.
Ensuite, à l’opposé, on pourrait croire (mais, si on y réfléchit, pas du tout), c’est la traduction de Roméo et Juliette faite par Françoise, – une traduction qui devrait être jouée (je touche du bois) l’année prochaine (2026) par notre ami de trente ans, Patrick Pineau, à la La Scala. Une traduction qui, étrangement ou non, est la première en France, pour une pièce que l’on connaît dans le monde entier, à prendre en compte la forme : le fait qu’elle s’ouvre sur un sonnet et qu’au moment où Roméo et Juliette se découvrent, ils créent un sonnet. – Françoise s’est prise de passion pour la pièce, elle l’a traduite en moins d’un mois. Et c’était quelque chose de voir ça. – Vous verrez.
D’autant plus si vous avez lu nos Sonnets de Shakespeare, publiés voilà déjà deux ans. Et si vous lisez un autre livre, qui paraît cette année, un livre de Françoise : Clair Soleil des esprits , qui est une grande première pour nous. Un choix de poèmes – majoritairement des sonnets, mais pas que – des contemporains de Shakespeare en France, de cet âge d’or de la poésie que fut l’époque dite baroque, de ces poèmes qui irriguent les livres écrits par Françoise elle-même, ceux de Sur champ de sable ou Pluie et L’Oiseau-loup. C’est, en redécouvrant des auteurs comme Philippe Desportes, Étienne Durand ou le cardinal Du Perron, une autre façon de traverser le temps, – par cercles concentriques, par échos rayonnants.
Le quatrième livre est La Quatrième Prose d’Ossip Mandelstam. Un texte que j’avais traduit, voilà près de trente ans, pour les éditions Christian Bourgois, qui est resté pendant des années et des années introuvables, et que j’ai entièrement refait, repensé. C’est, après une accusation ignominieuse de plagiat pour la traduction de Till Ulenspiegel(due à une bourde de l’éditeur), le moment de bascule pour Mandelstam. Sa quête de justice, et cette rage qui le possède au moment où il comprend la lâcheté des autres, et, du coup, avec la certitude de l’issue – qui ne pouvait qu’être la mort –, celui où, jugeant et le régime et ses collègues, il peut se remettre à écrire de la poésie. Surtout, c’est à partir de l’indignation et de la langue de ce texte que Boulgakov va créer le personnage du Maître dans Le Maître et Marguerite(le personnage n’apparaît dans ses brouillons qu’à partir de 1934, après l’arrestation de Mandelstam pour le poème contre Staline dont vous lirez la traduction en conclusion du volume).
Et puis, justement, nous publions un texte de Boulgakov. Une de ses plus grandes pièces, généralement connue comme La Fuite, mais, en russe, le titre, Beg, signifie plutôt La Course(c’est notre titre français), et il s’agit bien, par-delà l’évocation de « huit rêves » autour du désastre et de la fuite de l’armée blanche en Crimée et de l’émigration, de l’évocation d’une course sans fin, dans la prison du temps, d’une course pathétique et souvent grotesque, tragique, et infinie. – Cette pièce, pour nous, fait écho à De vie à vie de Tsvétaïéva et Volochine, et surtout aux poèmes sur la terreur en Crimée écrits par Volochine.
Mais regardez, de fait : Mesures propose aujourd’hui des œuvres de Léonid Andréïev, d’Alexandre Blok, Evguéni Tchirikov (Les Juifs), de Marina Tsvétaïéva, Maximilian Volochine, Anna Akhmatova (Les Élégies du nord), Mikhaïl Boulgakov, Iliazd, Daniil Harms… Des auteurs qui, tous, ont mis la liberté, et donc la dignité, au cœur de leur vie, et qui, tous, oui, tous sans exception, en ont payé le prix face au régime mortifère qui ravageait leur pays. Oui, c’est un chœur, et c’est un chœur qui répond aux livres de Françoise, à ses traductions du français en français, La Folie Tristan » et La Grièche d’hiver de Rutebeuf, de ses livres « non-traduits », et tout se retrouve dans les Sonnets de Shakespeare (et tous les sonnets de Mesures, ceux d’Iliazd, les miens propres (Orbe) et ceux, aujourd’hui, de Clair Soleil des esprits, qui reprend quelques sonnets de Shakespeare, en proposant une reprise de la traduction de Marot de quelques sonnets de Pétrarque, puis quelques traduction, par Françoise, de sonnets de Garcilaso de la Vega et de Camoëns).
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Pour chaque livre, comme pour les autres années, c’est Françoise qui propose la charte graphique, avec une série d’illustrations pensées en fonction du texte.
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Le prix de l’abonnement reste le même, 100 €, malgré l’augmentation drastique de tous les prix – celle du papier (délirante), celle des tarifs postaux. Avec cette tragédie encore à venir et dont je n’entends pas tellement parler, la disparition programmée du tarif « livres et brochures », qui interdira à je ne sais combien d’éditeurs d’envoyer des livres à l’étranger… Mais bon, nous essayons de maintenir ce prix de 100 €. Nous verrons bien si, à la fin de l’année, nous sommes en déficit, et de combien. Pour l’instant (je re-touche de bois de mon bureau) nous avons payé des impôts. Moi, évidemment, je travaille gratuitement, mais nous payons, tout aussi évidemment, les droits d’auteur, et nous sommes encore là.
Mais nous avons besoin de vous. Abonnez-vous, faites, comme les cinq années précédentes, faites vivre cette expérience d’AMAP éditoriale, – cette zone, comme dit Françoise, de liberté intérieure. Abonnez-vous. – L’idée est que vous receviez un livre tous les deux mois, numéroté, signé et dédicacé (à qui vous voulez, vous nous direz).
Et puis, cette année, il y a quelque chose d’autre. Cette année, notre Saison VI, nous la lançons vraiment. Nous avons reçu la proposition de Jérôme Triaud, qui dirige les bibliothèques d’Avignon, de faire une exposition sur nos éditions Mesures à la Bibliothèque Ceccano, – qui existe depuis le Moyen Age, et qui est une des bibliothèques patrimoniales les plus riches de France. C’est un honneur inouï. Nous occuperons toute la galerie du premier étage avec huit vitrines (sans compter les cimaises).. Nous sommes encore en train, au moment où j’écris, d’imaginer le récit, de vitrine en vitrine, de faire, comme l’a dit Françoise, « une synthèse » de nos vies. L’inauguration officielle se fera le 24 janvier, à 18 h, avec une visite de l’exposition et une rencontre-lecture. J’en reparlerai encore, évidemment.
Bref, voilà. C’est lancé. Les livres vous attendent. Vous commencerez à les recevoir à partir de début février, en commençant, donc, par Un an de guerre.
Un lecteur m’adresse le texte d’une jolie émission diffusée par radio Aligre. Cette émission écrite par Christine Bessi a été mise en ligne sur Facebook. Elle m’a semblé bien accordée à la période du Nouvel An, réconfortante, sensible et joyeuse. Et puis elle me donne, pour finir cette année qui a vu la parution de L’Amour des trois oranges, l’occasion de m’expliquer au sujet de ce livre qui ne ressemble à rien et qui est une manière de sortir des domaines réservés du conte et de la poésie.
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L’idée m’est venue de rassembler les contes et les poèmes que j’avais écrits quand j’ai pris conscience que toutes mes recherches sur le conte avaient disparu, soit parce que les éditeurs après les avoir exploitées les avaient laissées en déshérence (ainsi les dix-huit volumes de Luzel parus aux Presses universaires de Rennes), soit parce qu’ils avaient pilonné les volumes qu’ils m’avaient demandés (ainsi les magnifiques livres publiés par Ouest-France à partir de ma collection de livres d’Arthur Rackham, partis au pilon sans que je puisse même en acheter un exemplaire), soit parce que le business éditorial leur faisait perdre toute signification (c’est ainsi que la collection « Les grandes collectes » a été démantelée et s’est trouvée mêlée à ce que j’entendais combattre en publiant « le meilleur de la meilleure collecte » par région : il s’agissait bien pour moi de combattre les compilations à la Markale et les réécritures de contes populaires en lourde prose, criblée de clichés, tuant la poésie du conte).
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Le détournement du folklore était, pour finir, l’objet de ma thèse sur Luzel et je peux dire que j’aurais à présent de quoi en écrire une autre… mais, plutôt que de perdre mon temps, j’ai réalisé que ce qui m’avait intéressée et qui avait été à l’origine de cette longue recherche, c’était la poésie du conte. Constamment massacrée, elle donnait l’impression d’un acharnement à la faire disparaître qui, pour finir, me ramenait à la source des problèmes que j’avais rencontrés quand j’avais voulu éditer Luzel et que je m’étais heurtée aux nationalistes bretons (j’ai écrit Le Monde comme sià ce sujet) : la laideur des volumes publiés par Per Denez et ses affidés, la mocheté ringarde du style et des images, la bêtise des compilations, bref, tout un business Coop Breizh proliférant, m’a semblé exister d’abord en haine de la poésie.
Je le dis d’autant plus volontiers qu’un lecteur vient de m’apporter un volume paru à la Coop Breizh et qui est un pillage de Vie et mœurs des lutins bretons : ce livre que j’avais publié pour montrer qu’il n’y avait aucun rapport entre les récits collectés par les érudits auprès des gens du peuple et l’exploitation celtomaniaque du lutin a été exploité précisément de manière à illustrer les pires clichés avec bretonnitude et pittoresque à la clé. Il va de soi que la poésie de ces légendes fantasques, écrasée sous l’épaisse prose de rigueur et les illustrations vulgaires a totalement disparu.
J’ignorais ce dernier épisode quand j’ai constaté que la meilleure manière de quitter ce domaine était de rassembler les textes qui témoignaient pour moi de la poésie du conte et ainsi de les sauver car ils étaient voués à rester perdus à jamais, faute d’éditeur susceptible même de comprendre de quoi il retournait (et ne pas en faire un produit destiné à se périmer à brève échéance).
C’est donc ce livre d’adieu qui est paru l’an passé.
J’ai choisi pour titre L’Amour des trois oranges (titre qui, il est vrai, qui ne laisse pas vraiment deviner de quoi il retourne) car c’est à partir de ce conte que j’ai commencé, voilà bien longemps, de mettre en résonance les images du conte populaire, comme à partir des motifs des contes-types… N’entrons pas dans ces considérations : il suffit d’une lecture aussi compréhensive que celle de Christine Bessi pour voir le sentiment d’avoir changé cet adieu en partage.
L’amour des trois oranges, Françoise Morvan, Editions Mesures , décembre 2023.
D’où vient cet appel à ouvrir les livres de contes, quand le soir tombe maintenant, si bienheureusement, tôt ?
Et quel appel, si les enfants sont partis, à parler seul, à laisser aller sa voix, à DIRE le conte-près de la cheminée ou de la simple chandelle, pour restaurer là, pour soi, l’enfance toute nue ?
Sans doute ne se languit-on plus ici des anciennes veillées où grillaient les châtaignes à l’heure du goûter ?
Sans doute, pas davantage de cette lenteur qu’imposait la vie rustique, ni même du soin ni du temps que prend – a minima – la vie d’un foyer et, par là, le soin d’attiser le feu ?
Il est encore temps, toutefois, de se souvenir des contes aimés, lus et relus jusque tard dans l’adolescence et tout encore aujourd’hui, par et chez ces aïeux qui nous laissaient rêvasser à d’autres temps et contrées, sur le livre à la reliure au fil, grand ouvert, devant un feu quant à lui, fermé, comme muet et assourdi.
Tout pouvait alors être remis à plus tard, tant l’urgence des devoirs que le petit goûter.
Françoise Morvan rassemble dans l’amour des trois oranges, l’écho profond de ses poèmes qui disent à la fois le paysage mental de l’enfance, l’ombre étrange et le mystère qui y survivent toujours et l’ensemble de son travail de collecte et de traduction de contes. Ce travail, nous dirons davantage ce scrupule, dispersé en œuvres éditées par plusieurs maisons d’éditions, puis épuisées, raconté en plusieurs spectacles et œuvres radiophoniques, retrouve en très peu de pages (les toutes dernières), sinon la sensation de la poésie du conte du moins la certitude, où que l’on se trouve, d’avoir une clé-un “passe” – d’un petit royaume pour se réapproprier son enfance, la faire revivre, la sentir et la transmettre.
On relira avec douceur ce que Françoise Morvan dit de la poésie du conte et ce en quoi elle rencontre universellement tout un chacun.
« Pour ce qui est d’expliquer en quoi consiste la poésie du conte qui a été à l’origine de cette recherche et qui, au total, malgré les apparences, me semble avoir fait qu’elle n’a pas été vaine, je déclare forfait. Je ne sais pas ce qu’est la poésie : elle est là ou elle n’est pas là. Le moins qu’on puisse dire est que, dans le conte, elle surgit toute baignée d’une étrangeté immémoriale et parfois surgit d’un fatras de clichés enlisés dans un style académique, sans que l’on puisse savoir pourquoi. Le tout, pour tenter de s’accorder à cette présence, est d’essayer de placer ces images clés dans le déroulé d’un rêve où tout serait vrai et qui obéirait à un rituel universel. C’est ce que sentent les enfants lorsqu’ils exigent que le conte soit dit et redit de la même manière. C’est aussi ce que voulait dire Andersen lorsqu’il expliquait que le conte était “ le royaume le plus étendu de la poésie” et c’est cette poésie qu’il a voulu transmettre par la prose.” »
On ne sait pourquoi ce sont les dernières pages du conte portant sur l’homme de la lune (maléfices) et le poème (l’ensorceleur) qui nous recueillent aujourd’hui, rassemblant en quelques images et paréidolies, comme par magie, un vieux chant populaire que les anciens pyrénéens chantonnaient en berceuse, pour endormir les enfants, un chant dont l’enfant reconnaît entre mille le rythme et le refrain, fier d’entonner à son tour ce qui est dit et redit, tandis que la lune descendante éclaire tout après, la nuit…
Le 22 décembre à 15 h 15, à la Scala, 13 boulevard de Strasbourg, dans le Xe arrondissement, je dirai avec André Markowicz des textes de Vigile de décembre.
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Nous avons choisi ces textes parce qu’ils étaient de circonstance en cette période de Noël mais aussi parce qu’ils venaient s’inscrire dans l’ensemble du projet de rencontres « De Russie et d’ailleurs » à la Scala cette année : une ouverture sur une autre manière d’écrire et de partager ce qui pour nous est essentiel.
En ce dimanche soir, je cède à un mouvement d’indignation.
Déjà, la, selon moi, ridicule cérémonie des Jeux olympiques organisée au moment où la France se trouvait sans gouvernement du fait du prince (qui triomphait grâce aux Jeux) m’avait irritée sans que pourtant je manifeste le moindre sentiment à ce propos ; ensuite, j’avais, poussée par je ne sais quelle curiosité masochiste, suivi la cérémonie d’ouverture, non pas des Jeux, mais de Notre-Dame-de-Paris : il n’avait pas suffi de voir cette pauvre cathédrale dépouillée de tout son mystère, privée à tout jamais de cette présence du temps qui en faisait un reliquaire, et d’entendre célébrer à tout instant la « blondeur des pierres », il avait fallu encaisser comme une insulte la trogne renfrognée de Trump et la présence des milliardaires bénis par leurs offrandes au culte célébré par des évêques déguisés en perroquets : rouge, jaune, bleu, vert, les vêtements liturgiques signés Jean-Charles de Castelbajac avaient dû coûter bien cher quand l’art français du vêtement liturgique qui avait si longtemps triomphé comme un modèle était flanqué à la poubelle, profitant du bienheureux incendie (bienheureux puisque voulu par Dieu, ce que les hymnes de remerciement au Ciel qui se succédaient passaient bizarrement sous silence). Et j’ignorais encore que des vitraux sauvés de l’incendie allaient être déposés pour être remplacés à grands frais par des horreurs modernes… La crosse de l’évêque avec sa pierre bleue imitée du plastique était comme le symbole ultime du toc qui, pour finir, triomphait, assurant la fin d’un catholicisme auquel plus personne ne pouvait adhérer.
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Quelle extraordinaire image que celle de Donald Trump, Emmanuel Macron, Michel Barnier, Premier ministre sans l’être depuis quelques heures, salués par cet homme déguisé tenant sa crosse comme un bâton magique… Au milieu de tout, et plus faux, plus jésuitique que le reste, le discours du pape, qui avait pris soin d’être absent : mielleux, plein de cette onction haineuse qui semble avoir été depuis les origines le chrême de la religiosité, le discours était lu quand chacun savait que, dédaignant Notre-Dame-de-Paris, symbole de la France, le Pape allait se rendre, ultime offense, en Corse.
Pourquoi en Corse ? Mais parce que la Corse, colonisée par l’État français, fait, aux yeux du Vatican, partie de ces régions périphériques où il s’agit de faire resurgir la vraie foi – contre, bien sûr, la laïcité à la française : le pape n’a pas manqué de sermonner la France qui devrait en finir avec une laïcité « statique et figée » et de prôner (ou promouvoir) une laïcité « à la corse ». Nationalisme et religion, tout s’unit dans le culte des racines. Et puis, du Vatican à Ajaccio il n’y a qu’un pas. Et surtout, Dieu a donné au monde un Basque, devenu évêque de Corse, et qui sera peut-être un jour pape, le cardinal Bustillo, ouvertement autonomiste. Ne déclarait-il pas en début d’année que « la Corse doit retrouver sn autonomie et sa liberté » ?
Le voyage du pape en Corse, concocté par Bustillo, est un voyage politique, et le message d’amour un message de haine, une haine doucereuse, enveloppée de bons sentiments et d’autant plus dangereuse. Ce sont les presses de Bolloré qui ont publié le livre du cardinal, Le Cœur ne se divise pas. À voir se dresser la haute silhouette maigre du cardinal photographié pour la presse d’extrême droite, on se dit que cette maxime aurait pu être celle du Grand Inquisiteur.
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Le président de la République s’est docilement rendu en Corse et a rencontré le pape et Siméoni.
Mon indignation vient du sentiment d’avoir vu les valeurs de la République trahies par un pouvoir qui ne se rend présent que pour être plus absent.
Il est vrai qu’il n’y a là plus rien que d’ordinaire.
Quoique, bien sûr, le voyage du pape soit très extraordinaire – et c’est à qui célèbrera cet incroyable, ce miraculeux voyage d’un pape qui, malade, impotent, a tenu à honorer la Corse, pour la première fois au monde, de sa présence.
Et qui a très bien parlé corse.
Mais pas français.
En 2018, Emmanuel Macron avait présenté Jean-Yves Le Drian au pape en expliquant que « les Bretons, c’est la mafia française ». Il n’a pas eu besoin de présenter qui que ce soit en Corse.
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Et, comme par hasard, au même moment, l’Union démocratique bretonne) appelle à un changement de Constitution dans le but de faire éclater la France en régions autonomes (en attendant l’indépendance).
Corses et Bretons, même combat : en 2022 Gérald Darmanin, sans la moindre consultation, étant allé proposer l’autonomie à la Corse, le conseil régional de Bretagne, aligné sur les positions de l’UDB, avait immédiatement exigé, sans plus de consultation, un régime identique d’autonomie.
Dans Ouest-France, l’annonce est faite sous gwenn-ha-du, un immense gwenn-ha-du, symbole de la nation bretonne, et sur un ton apologétique :
« Face à la crise institutionnelle qui secoue actuellement la France, l’Union démocratique bretonne (UDB) prône une réforme de la Constitution permettant des autonomies régionales. Nous souhaitons que la Bretagne, mais aussi d’autres territoires s’ils le souhaitent, puisse voter des lois et lever des impôts, sans mendier systématiquement à Paris une autorisation qui ne vient pas, ou trop tard. »
Rien ne pourrait plus attiser les ardeurs des nationalistes que la déréliction du pouvoir.