Les mistoufles (2) chansons douces

L’an passé, commençait une expérience extraordinaire : faire entrer la poésie à l’école de la manière la plus simple et la moins attendue… En associant le travail de sa compagnie à une école de la ville où elle allait donner un spectacle, David Gauchard ouvrait le théâtre à la poésie, la poésie à l’école, et l’école au théâtre et à la poésie, et ce en donnant voix aux enfants : il s’agissait de proposer quelques poèmes à une classe, de les donner à apprendre et de les mettre en musique pour réaliser un disque.

J’avais remis une douzaine de livres de poèmes inédits à Emmanuelle Hiron et Laetitia Sheriff, qui devaient prendre en charge concrètement le travail avec la première classe, à Villefranche-sur-Saône, et elles avaient choisi Les mistoufles — un livre sur les bêtises que font les enfants, et leurs conséquences… Du coup, toute la série s’est inscrite sous le signe des mistoufles.

L’an passé, j’ai déjà parlé du volume 1 (Petits soucis)…

 

et dont le tirage est épuisé…

mais qui se trouve toujours en ligne

sur le site de la compagnie

L’Unijambiste

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Voici le volume 2 (Chansons douces) réalisé avec une classe de CE1-CE2 d’une école de Compiègne.

L’école Charles Faroux se trouve dans une cité bucoliquement baptisée Le Clos des roses car autrefois le quartier se signalait par de somptueuses haies de rosiers. À dire vrai, le 23 avril, au moment où les enfants m’écrivaient une lettre collective très touchante après avoir enregistré les sept chansons du disque…

…le Clos des roses occupait l’actualité pour tout autre chose que les roses et les chansons douces. Et les enfants se sont pris de passion pour la poésie…

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Et le disque réalisé avec Arm, Emmanuelle Hiron et Robert le Magnifique est un chef d’œuvre. On peut l’écouter sur le site de la compagnie.

 Il est très émouvant de penser que des enfants de huit ans ont pu s’approprier des poèmes qui n’étaient pas plus pour enfants que pour grandes personnes et qui, comme « Les gnomes », étaient parfois complexes. Mais ils ont une telle compréhension des textes — qu’ils savent tous par cœur et disent en chœur à la sortie de l’école, si j’en crois un petit film (IMG_2099) que j’ai eu l’impression de les découvrir à neuf.

Et voilà la présentation du CD au théâtre avec les enfants…

Une expérience extraordinaire, on peut le dire…

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Ethnorégionalisme et ultralibéralisme

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« Ethnorégionalisme et ultralibéralisme : la Bretagne pour laboratoire », tel était le sujet de la conférence qui m’était demandée le 29 mai.

Elle a été suivie d’un débat avec la salle, puis, le lendemain, d’un débat avec d’autres invités, dont Éric Fraj, professeur et chanteur de langue d’oc, au cours des « journées iconoclastes » organisées par la CNT à Toulouse. Le débat était très intéressant et il est  intéressant de noter que le débat impossible en Bretagne peut avoir lieu en des endroits où se rencontrent des situations à divers égards assez semblables.

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L’OCCITAN, LE BRETON ET LES EXPERTS

QUI SAVENT CE QU’IL FAUT DIRE

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Lisant le livre d’Éric Fraj, Quel occitan pour demain ? j’ai découvert quantité d’observations qui vaudraient aussi pour le breton.

 « Quel bénéfice de récupération sociale peut-on espérer du fait d’enseigner une langue artificielle en vase clos ? Et qu’est-ce qui est finalement visé : l’instauration d’un idiome propre à quelques happy few (fussent-ils quelques milliers), l’établissement arbitraire d’une novlangue de l’entre-soi occitaniste, ou la revivification d’une langue historique et populaire, mal en point, certes, mais encore réellement existante ? »

En Bretagne, la question ne se pose plus : sous la direction de Lena Louarn et de l’Office de la langue bretonne, le ministère de la novlangue impose sa loi. Et les militants de s’en féliciter. L’un d’eux me disait qu’on parlerait enfin un bon breton quand le dernier paysan bretonnant aurait disparu. Il faut lire Roparz Hemon pour comprendre de quoi il retourne.

 « Mes pérégrinations de chanteur et de professeur de langue d’oc m’ont mené en mains lieux d’enseignement de notre langue : j’ai souvent pu y constater que je ne comprenais rien, ou peu, aux questions de certains élèves tellement la prononciation était défaillante ; que l’enseignant ne reprenait pas les erreurs pour les rectifier ; que le professeur lui-même — pourtant titulaire d’un CAPES d’occitan — ne maîtrisait pas vraiment la langue, au point de faire des fautes d’accord grossières, basiques… »

En Bretagne, on forme en six mois des instituteurs pour enseigner le breton surunifié, prononcé avec l’accent français, à la mode de Roparz Hemon.

 « L’avènement de cet occitan “hors sol”, coupé du substrat populaire, correspond à la montée en puissance d’un imaginaire sociopolitique bien déterminé » — politisation du combat pour l’occitan, instrumentalisation de la langue qui en fait un repoussoir, fétichisme de la langue à ramener à sa pureté ancestrale supposée en éliminant les mots occitans d’origine française considérés « comme une tache à effacer ».

Exactement ce qui s’est passé quand Denez a voulu me faire récrire les carnets de Luzel en breton surunifié et les a publiés en les nettoyant des mots français… exactement la même visée politique qui entend éliminer le provençal au profit de l’occitan surunifié… visée politique portée par la Charte des langues régionales et minoritaires…

 Or, ô surprise, ce livre est préfacé par le professeur Cavaillé qui m’avait attaquée avec une telle violence lorsque j’avais publié sur Médiapart un article contre la Charte des langues régionales qu’il m’avait contrainte à exercer mon droit de réponse. Et voilà ce qui chagrine le professeur Cavaillé : « La chose la plus insupportable est d’entendre des gens qui, plutôt que d’essayer de comprendre les positions des uns et des autres et de convaincre avec des arguments probants, traitent les autres d’ignorants, leur enjoignent de se taire et de laisser faire les spécialistes, les experts qui, eux, savent ce qu’il faut faire et ce qu’il faut dire ». Que ne met-il ses préceptes en application ! Ignorant tout des origines de la Charte, ce professeur, contraint pourtant de reconnaître les faits que j’exposais, les effaçait sous un exposé pontifiant…

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LA CHARTE, MAIS OUI, ENCORE ELLE !

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Ce débat est soudain redevenu d’une brûlante actualité puisque, dans le même temps, le président de la République adressait à Jean-Jacques Urvoas, président de la Commission des Lois, un courrier annonçant qu’il avait l’intention de convoquer le Congrès pour faire réviser la Constitution en vue de ratifier la Charte des langues régionales.

 En mars 2013, il avait annoncé qu’il n’était plus question de ratifier la Charte.

Jean-Jacques Urvoas, tout acquis à la cause de l’ethnisme et partisan d’une autonomie de la Bretagne (« réunification », aéroport international à Notre-Dame-des-Landes et élection d’une Assemblée de Bretagne), avait alors décidé d’obtenir coûte que coûte la ratification… Mais, assurait-il, pas question qu’il y ait deux révisions de la Constitution pendant le quinquennat (Ouest-France, 30 mars 2013).

Exit le problème de la Charte, avec ses faux débats, ses déferlements de propagande victimaire, ses relents ethnistes…

Or, voilà qu’en juin 2013, le lobby patronal breton fédéré par l’Institut de Locarn décide de ne pas payer l’écotaxe : destructions de portiques écotaxe, manifestations organisées par le lobby autonomiste en jonction avec le lobby patronal et transformées en manifestations identitaires avec bonnets rouges en acrylique et drapeaux noirs et blancs… Conclusion de cette pseudo-révolte des Bonnets rouges : le Premier ministre accourt et promet un Pacte d’avenir pour la Bretagne, étrange prime à l’incivisme clôturant des actions qui, au total, auront coûté un milliard d’euros à l’État.

Le Conseil culturel de Bretagne fait ajouter un volet « culturel » au Pacte d’avenir et demande, en plus de la délégation de la Culture à la Bretagne (vieille revendication des autonomistes)… la ratification de la Charte.

 C’est donc pour obéir au diktat du patronat ultralibéral le moins soucieux de démocratie que la ratification a été remise à l’ordre du jour : en  2014, alors que le pays s’enfonce dans le chômage, les députés s’affrontent jour après jour sur le problème d’un texte qui n’est pas compatible avec la Constitution… Le 28 janvier 2014, conclusion d’un non-problème qui aura encore contribué à cliver le pays, est adopté un projet d’article 53-3 à ajouter à la Constitution…

 Cet article ne fait que déchaîner la vindicte des artisans de la Charte puisqu’il vise à contourner son dispositif : elle entend imposer les langues régionales et minoritaires (le linguiste mandaté par Lionel Jospin en a identifié 75 en France !) au même titre que le français dans la sphère publique  — et ce en tant que langues parlées par des groupes ethniques opprimés. Voilà bien ce que demandent les militants bretons et autres.

 Ce 1er juin, le président de la République décide de rassembler le Congrès pour modifier la Constitution et faire ratifier la Charte… Coût à prévoir : un million d’euros.

Même si la propagande pour la Charte bat son plein, comme d’habitude, une curieuse indignation, toute nouvelle, selon moi (qui ai dû travailler sur le problème de la Charte depuis une dizaine d’années) se fait jour. Au moment où les classes dites bilangues sont supprimées, où l’enseignement du latin et du grec est réduit à néant et où l’enseignement des langues vivantes autres que l’anglais est sinistré, le problème n’est plus perçu de la même manière.

 Le Figaro, pourtant tout acquis au régionalisme et au lobby breton, organise un sondage et doit bien vite y mettre un terme. Question posée : « Êtes-vous favorable à l’enseignement des langues régionales à l’école ? » Naguère encore, les lecteurs se seraient prononcés à une immense majorité en faveur de l’enseignement des langues régionales… Là,  sur 32 530 participants, 62 % sont contre, 38% pour — et ce genre de sondage mobilise pourtant des groupes militants organisés en réseaux appelant leurs membres à voter en masse…

L’enseignement des langues régionales — comment, pour qui et pourquoi ? — n’a pas grand-chose à voir avec la Charte, qui vise à l’instauration d’une Europe des ethnies, mais, par suite de l’incurie des élus et de la soumission des médias, les langues dites minorisées deviennent le vecteur de l’idéologie qui a présidé à la rédaction de la Charte, parmi tout un arsenal de textes rédigés dans le même esprit.

 C’est bien pourquoi le débat est faussé et rendu impossible en Bretagne.

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La gwerz

Et dire que j’ai oublié d’annoncer l’émission sur la gwerz (autrement dit, la ballade, le genre majeur de la chanson en breton) qui a été diffusée aujourd’hui sur France-Inter

Une émission enregistrée cet été par Charlotte Perry, entre deux émissions sur la Résistance, et qui prend une présence étrange quand on comprend soudain que, pour la première fois, elle rend compte d’abord de l’immense protestation que portent ces chansons trahies par le Barzaz Breiz (j’ai déjà évoqué le cas ici à propos de Marie de France).

 Je n’avais pas du tout mesuré la force de ces chansons et l’ampleur de cette trahison ; j’avais juste trouvé merveilleux de pouvoir parler hors de toute censure d’un genre dont j’avais bien tardivement vu émerger les thèmes profonds et, premier entre tous, ce grand thème des femmes rebelles ou plus précisément de la grande injustice faire aux femmes.

La gwerz d’Anna Le Gardien que j’ai trouvée dans la collecte du père d’Anatole Le Braz, et que j’ai traduite par passion pour le répertoire des mendiantes de haute Cornouaille m’est revenue là comme non pas intacte mais magnifiée — une pure splendeur rendue à sa source par Annie Ebrel qui a trouvé une mélodie cornouaillaise mélancolique pour cette chanson de rébellion. Le plus beau est peut-être que cette émission ait été enregistrée dans l’église de Loc-Envel, où les figures des sablières répondent si merveilleusement aux paroles des longs récits chantés que je ne sais pas toujours distinguer qui vient d’un rêve, d’un lai, d’une gwerz ou d’une simple image où je retrouve un ami perdu.

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.Ce qui est surtout extraordinaire dans cette émission, c’est la présence du lieu, l’énigme de cette présence, et la manière incisive d’en finir avec le romantisme pour ouvrir la gwerz au présent : une énigme — une fois mis à part les oripeaux mystico-folkloriques dont on l’affuble — appelant à une recherche nouvelle, une forme de vie…

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Quand nous avons composé le recueil qui a fini par s’appeler Anciennes complaintes de Bretagne, j’ai cherché quelles images pouvaient illustrer ces chansons et j’ai été sidérée de voir les personnages surgir des images des chapelles…

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Ici, l’émission semble naître des personnages de l’église qui sont devenus pour moi comme des amis, perdus et retrouvés. Entre tous, le petit personnage au ventre bleu qui tient ses genoux dans ses mains et pense à la marche du monde sous son chapeau doré…

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NB : Cet article m’a valu un commentaire auquel j’ai répondu à la fin de la page consacrée à la fausse gwerz écrite par La Villemarqué à partir du « Lai du rossignol » de Marie de France.

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Tiens, mais c’est que mon article se trouve être d’une actualité frémissante : le bicentenaire de la naissance de La Villemarqué ! Surtout, ne manquez pas de regarder le film où, entre deux chants appelant à la liberté de la Bretagne, on nous expose que le vicomte de La Villemarqué (père du nationalisme breton) a transformé la révolte des paysans contre « les seigneurs » en révolte contre « les Français ». Nous n’avons pas fini de jouir des hommages au Grand Lama de la ménagerie celtique, comme le disait Luzel. 

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Melvan et Marie Le Franc

Je viens de recevoir le n° 12 de Melvan, extraordinaire revue publiée par des habitants d’Hoedic et de Houat avec la collaboration des personnes intéressées par tout sujet concernant les deux îles : l’exemple même d’un travail passionnant mené à partir de recherches sur des thèmes concrets, nouveaux, inattendus et qui font des deux îles un univers plus qu’un microcosme.

Cette année, j’ai été amenée par Pierre Butin, le directeur, à présenter l’œuvre et la personne de Marie Le Franc, un auteur auquel je m’intéressais de longue date mais dont je ne connaissais pas tous les livres. De la Bretagne au Québec et retour…  J’ai eu la chance de pouvoir travailler à partir des photos que l’arrière-petite-nièce de Marie Le Franc a eu la gentillesse de mettre à ma disposition.

Et c’est aussi l’occasion de découvrir le monde fascinant de l’anatife, de la balane et de la sacculine, de plonger dans les registres paroissiaux du XVIIIe, de découvrir les fortifications et le portrait d’un kabyle des deux îles — le tout aussi surprenant que possible, remarquablement informé, rédigé, présenté et illustré.

Cette revue donne une idée de ce que pourrait être une culture bretonne dégagée du poids de l’identitaire et du nationalisme. On a l’impression de respirer le souffle du large en la lisant (ou la relisant, car certains articles sont une véritable mine d’informations).

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Contes de Provence

Après les Contes de Haute-Bretagne de Paul Sébillot et les Contes de Basse-Bretagne de François-Marie Luzel, les Contes de Provence de Frédéric Mistral reparaissent en collection de poche.

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L’œuvre de Mistral est née de la parole de sa mère, de son plaisir d’écouter le provençal chanté, conté ou raconté et de lui restituer sa poésie en écrivant :  il s’est attaché tout au long de sa vie, à publier dans l’Almanach provençal des légendes, des contes facétieux et de grands contes merveilleux qui forment la plus belle collecte de Provence.

Chose étonnante si l’on considère la dévotion des militants à la cause des langues et cultures minoritaires, cette collecte avait été tout à fait négligée : indifférence à la culture populaire, indifférence à la littérature et à la vie — car Mistral est un excellent prosateur et un observateur très fin de la Provence. Le provençal, voué à disparaître sous l’occitan surunifié, si l’on tient compte du dispositif de la charte des langues régionales, a été magnifiquement servi par Mistral, et je suis particulièrement heureuse d’avoir donné la première édition de sa collecte (avec l’aide de Claude Mauron, dont la biographie de Mistral, à présent introuvable, aurait bien dû reparaître en 2014, pour le centenaire de la mort du plus grand écrivain provençal).

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La freizh (suite et peut-être pas fin)

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Voilà quelque temps, rentrant paisiblement du Théâtre du Nord, je me trouve face à une affiche parmi tant d’autres, ni plus ni moins stupide peut-être, mais supposée donner par la fraise une image de l’identité bretonne fabriquée par le lobby patronal breton (Produit en Bretagne) à partir du kit nationaliste (la fraise devient la freizh comme la Bretagne devient Breizh, conformément à l’orthographe nationale du breton, fixée sur ordre des nazis en 1941). L’affiche a été détournée par des situationnistes, les Parisiens tournent le dos à cette freizh débile qui leur est imposée comme un espoir de plaisir labellisé pur breton : je prends une photo parce qu’au moins, ça soulage.

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Et j’écris un petit article à ce sujet dans les actualités de ce site.

Qui aurait pu croire que cet article serait lu par des milliers de lecteurs ? Des nationalistes furieux, qui me valent quelques flots d’invectives de plus, bien sûr, mais aussi des lecteurs qui me soutiennent et m’apportent des commentaires, des informations, des références intéressantes.

J’ai donné la parole aux uns (les partisans de la freizh), maintenant, je donne la parole aux autres. Il va de soi que, vu le contexte, je ne peux pas indiquer le nom des lecteurs qui me soutiennent (et je ne publie jamais aucun commentaire sans avoir demandé à son auteur s’il acceptait que son nom apparaisse).

Une observation pour commencer :

« Sur la « Freizh » et l’affiche, je me permets ce petit apport : les belles fraises sont disposées comme autant de bonnets rouges… » 

Eh oui ! C’est vrai. La freizh est un produit local comme la révolte des Bonnets rouges, le logo de Produit en Bretagne se lisant sous la freizh et le bonnet.

Amenée par mes lecteurs à poursuivre mon enquête, j’ai découvert que la publicité pour la freizh Savéol pouvait être encore plus explicite. D’abord, nous avons les Bretons typiques changés en freizh : le couple parfait, coiffe, chapeau à guides, et trogne rougeaude car rustique, et puis l’alcool, c’est bien connu, est de tradition dans cette région festive…

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Nos Bretons typiques sont si vrais qu’ils méritent de figurer sous le regard des photographes venus pour faire un reportage sur les autochtones. Pure vision du couple breton éternel, tel qu’en lui-même la freizh le change…

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Qui aurait pu imaginer pareille illustration du Monde comme si  ?

Les nationalistes fulminaient contre Bécassine, la Bretonne qui n’a pas de bouche : Produit en Bretagne fait mieux, pas de bouche et surtout rien pour voir et pour entendre. Les Bretons freizhifiés peuvent être dispensés de sentir les odeurs de lisier, c’est leur récompense, pas besoin de sentir.

Un autre message :

« Tout à fait d’accord avec vous. De plus, on ne répètera jamais assez que, comme une grande partie des productions de fruits et légumes Savéol, « Prince de Bretagne » et compagnie, la fraise « de Plougastel » pousse hors sol et est gorgée de pesticides, engrais, et autres délicieuses friandises chimiques, vraisemblablement siglées Monsanto ou équivalent multinational… 

Bonjour le terroir !! 

Bonne continuation, et bon courage. » 

Et, peu après l’avoir reçu, je découvre un appel au préfet à classer la commune de Plougastel en « site pollué ».

« Après avoir été introduit, au début des années 60 sur la commune de Plougastel-Daoulas, le film plastique à usage agricole, dit de paillage, présente aujourd’hui toutes les caractéristiques d’une pollution généralisée. C’est à des fins de productivité accrue de l’activité de maraîchage en pleine terre et d’amélioration des conditions de travail que son usage a explosé, couvrant jusqu’à 600 ha de terres agricoles rien que pour la culture de fraises... »

Le plastique ne se dégrade pas mais se délite, se mêle à la terre et à l’eau…

Une lectrice m’adresse des références montrant que Le canard enchaîné dénonce depuis longtemps mais en vain les ravages de l’agriculture industrielle en Bretagne.

« A propos de freizh et tomates Savéol, voici quelques « conflits de canard » instructifs relatifs à l’agriculture bretonne … « de terroir », bien sûr ! :

* 12 juin 2013 : sur l’utilisation d’insecticides non autorisés

https://app.box.com/s/60yd388clld9oskv5m86

* 8 avril 2015 : sur les subventions européennes à Savéol

https://app.box.com/s/uve96kmiy9rv17dn7wae2n6bdvds0224

* 18 juin 2013 : Résultat de cette agriculture intensive : les algues vertes

https://app.box.com/s/xi398y4e4qxitzjqdcos

* 18 mars 2015 : La Cooperl et « ses » bactéries :

https://app.box.com/s/ab6264u90ip39j5f3lda2mnk8ilpedm7

* 19 décembre 2012 : le faux lait frais de lactalis

https://app.box.com/s/mhnihovnd25jifu6isl3

Et j’en oublie certainement … Bref, voici comment transformer un « tas de caillou » (géologiquement parlant) en région n°1 de l’agroalimentaire … »

L’histoire aussi peut être enfreizhée : le dolmen Savéol a quelque chose de guerrier, le clan freizh s’unissant pour porter le glorieux chef à feuillette en casque gaulois. Ouvert en deux mais toujours fringant, sous la caution des hermines.

 

 

Un lecteur m’écrit, ayant bien compris le problème de fond :

« Bravo pour vos analyses et votre courage face à la bêtise et la brutalité des identitaires de « gauche » (??????) comme de droite ». 

La question est bien celle de la gauche avec kyrielle de points d’interrogation.

Et un autre, qui sait bien que la freizh n’est qu’un symptôme :

 « Attendez vous à entendre parler, chère Françoise Morvan, de « Breizh Creative » (sans accent sur le e, voyons !). C’est le futur site internet, annoncé pour la fin de l’année, de la création audiovisuelle bretonne. Après la « Breizh touch »… »

Il va de soi que la freizh s’inscrit dans une entreprise globale de mise en coupe réglée de la Bretagne, l’identitaire destiné à faire vendre étant le vecteur d’une américanisation à marche forcée.

Il me reste à apporter une nouvelle petite pierre à l’édifice, une expérience toute personnelle : faisant mes courses en urgence et cherchant un dessert qui me dispense d’effort culinaire, je tombe sur une pile rutilante de boîtes de fraises agréablement disposées pour que chacun semble y puiser comme à un bienfait allant de soi et requis pour la saison. Arrivée à domicile, je découvre que ma rutilante acquisition, c’est la freizh.

Ne reculant ni devant la palinodie ni devant la contradiction, je goûte la freizh, je sers la freizh, avec chantilly, sucre glace et citron. Non seulement elle a un goût médiocre mais elle est souvent creuse.

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Luzel : Contes de Basse-Bretagne

Les Contes de Basse-Bretagne de Luzel viennent de m’arriver en format de poche. Heureuse nouvelle car j’avais passé l’année 2007 à donner une édition des contes de Basse-Bretagne et de Haute-Bretagne pour la collection « Les grandes collectes ». Je n’avais pas mesuré la difficulté du travail dans le cas de Luzel et Sébillot — il fallait relire des centaines de contes, choisir parmi des dizaines de variantes de contes types et ne pas risquer de lasser le lecteur en donnant des contes dont les personnages et les motifs pouvaient sembler trop proches.

Il en est résulté quatre volumes, les Contes de Haute-Bretagne de Sébillot, les Contes de Basse-Bretagne de Luzel et deux volumes auxquels je tiens particulièrement, Fantômes et dames blanches (la collecte de contes fantastiques de Luzel) et Fées des houles, sirènes et rois de mer (l’étonnante collecte de Sébillot sur la côte nord de la Bretagne, la saga des fées des grottes de la mer — une collecte unique au monde…). Les deux derniers volumes sont chroniquement épuisés. Les deux premiers l’étaient aussi. Plutôt que de les réimprimer, l’éditeur a décidé de les faire passer en collection de poche.

Les Contes de Haute-Bretagne ont reparu cet hiver.

J’attendais avec impatience les Contes de Basse-Bretagne car les deux volumes sont complémentaires. Lorsque j’ai étudié ces deux collectes, j’ai été frappée par la différence de  traitement pour les mêmes contes types dominants et j’ai donc composé les volumes en miroir.

Les Contes de Basse-Bretagne sont une introduction à l’édition des œuvres de Luzel en 17 volumes que j’ai donnée aux Presses universitaires de Rennes : la base de données qui figure à la fin permet de retrouver les contes dans les 12 volumes de contes de cette édition. C’est une introduction et un outil de travail mais aussi un livre qui donne des chefs d’œuvre du conte. Même après avoir édité les contes de Luzel,  je n’avais pas assez pris en compte l’importance des grands contes merveilleux. Cela, je l’ai mieux saisi en publiant les Contes et légendes des régions de France. L’œuvre de Luzel est vraiment exceptionnelle. Celle de Sébillot aussi d’ailleurs : la différence est que j’ai donné une édition méthodique de la collecte de Luzel, ce qui m’a valu l’exécration des nationalistes, et que celle de Sébillot est en déshérence. Un fait qui, à soi seul, en dit plus long que de longues démonstrations.

J’avais déploré la reparution en collection de poche des volumes de la collection « Les grandes collectes » et, finalement, les livres sont tout aussi lisibles, plus légers, avec une maquette plus élégante : un exploit de Laurence Morvan, de Thierry Jégu et de la CPI Firmin-Didot (et je suis reconnaissante à mon éditeur de faire travailler un imprimeur français, et l’un des héritiers de la grande tradition de l’imprimerie).

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Contes des régions de France

Je viens de recevoir le premier exemplaire des Contes et légendes des régions de France, un livre magnifique, tout argenté.

Quand les éditions Ouest-France m’ont commandé ce livre, j’ai trouvé intéressante cette proposition de partir des régions où des collectes  folkloriques avaient été effectuées  pour faire un tour de France par les contes et les légendes. Je ne mesurais pas à quel point les régions diffèrent…

C’était l’occasion de prolonger la collection « Les grandes collectes » (qui est en train de passer peu à peu en format de poche) et, pour moi, d’aborder quelques collectes que je n’ai pas encore éditées (les contes du pays basque, de Corse, du Berry) en les mettant en relation avec les autres et en orientant les lecteurs vers les éditions qui existent.

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Molières : merci, Emmanuelle !

Premier jour de répétitions : après le travail à la table...

Tout le monde m’écrit pour me faire savoir qu’Emmanuelle Devos a reçu le Molière de la meilleure comédienne pour son interprétation du rôle de la Générale dans Platonov mis en scène par Rodolphe Dana et qu’elle a fait applaudir les traducteurs… Incroyable mais vrai, eh oui, pourtant !

Alors que le Molière de la traduction a été supprimé (je dois dire que nous l’avons eu, pour Platonov justement) et que les critiques de théâtre omettent le plus souvent le nom des traducteurs, une telle attention est une sorte de miracle, un signe de reconnaissance,  et qui ne nous concerne pas seulement nous, mais tous les traducteurs.

Merci, Emmanuelle !

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La découverte ou l’ignorance

Je reçois un message qui m’apprend que le film de Vincent Jaglin, La Découverte ou l’ignorance, sera diffusé pour la première fois sur TVRennes, Tébéo et TébéSud demain jeudi 30 avril à 20 h 35.

Le film a eu le Grand Prix du documentaire historique 2014.

C’est un document tout à fait exceptionnel sur un sujet  tenu dans l’ombre.

Vincent Jaglin évoque l’histoire de ses grands-oncles, militants nationalistes bretons engagés au Bezen Perrot, et ouvre une réflexion sur l’idéologie du mouvement nationaliste breton.

La dernière partie du film ayant été coupée à la demande des producteurs, un débat organisé après le film était supposé permettre d’aborder l’actualité du sujet.

Vincent Jaglin a refusé d’y participer, les  « spécialistes » invités au débat étant Christian Bougeard, l’un de ses étudiants et Jean-Michel Le Boulanger : depuis des années, Christian Bougeard minimise les responsabilités du mouvement nationaliste breton et Jean-Michel Le Boulanger  les réduit à une peau de chagrin. Ce dernier, vice-président du conseil régional en charge de la Culture, écrit, dans son essai, Être breton ? que la « collaboration de quelques-uns » a fâcheusement jeté l’« opprobre sur tout le mouvement breton » innocent de toute compromission... C’est tout dire.

Dans la catégorie « débat breton » (autrement dit, débat permettant de court-circuiter toute possibilité de débat réel sur un sujet breton) nous avons donc toute chance d’avoir un document intéressant.

Le film a donné la parole à l’historien autonomiste Kristian Hamon qui a eu le mérite de reconnaître que le mouvement breton dans sa totalité avait collaboré. Il est vrai qu’il a reconnu aussi la présence du Bezen à Bourbriac, dans un élan de franchise qu’il a par la suite déploré, lançant à ce propos une polémique qui n’est pas sans intérêt non plus pour comprendre le mouvement breton actuel.

En tout cas, il fallait du courage pour mener à bien un tel film, et rompre l’omerta en une période où la réécriture de l’histoire devient la norme.

Voilà quelques informations supplémentaires telles que je les ai reçues…

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DATES DE REDIFFUSION
(et en replay sur les sites de chaînes)


Jeudi 30 avril : 20h45 et 23h15
Samedi 2 mai : 21h30
Dimanche 3 mai : 15h00
Mardi 5 mai : 15h00, 20h45, 23h15
Samedi 16 mai : 15h00


Vendredi 1er mai : 11:00 et 23:00
Samedi 2 mai : 14h30


Vendredi 1er mai : 14h00
Samedi 2 mai : 18h30
Dimanche 3 mai : 14h30

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PETIT AJOUT À TITRE DE CONCLUSION

Le film a été présenté enlisé dans un pseudo-débat visant à en court-circuiter le sens. La censure s’est donc doublement exercée :

  1. Par suppression dans le film de la conclusion originale qui faisait le lien avec l’actualité et, entre autres, avec la promotion du nationalisme breton par le lobby patronal soutenu par les élus (sept coupes ont été exigées par les chaînes TVRennes, Tébéo et TV Sud — notamment au motif qu’étant sponsorisées par Produit en Bretagne, elles ne pouvaient pas critiquer ce lobby…).
  2. Par travestissement des faits, à savoir l’habituel travestissement de la doxa autonomiste : le présentateur a commencé par indiquer qu’une infime partie du mouvement breton avait collaboré, minimisation qui interdit toute réflexion sur les faits  réels ; le discours pontifiant des historiens, précédant et suivant le film, ainsi soumis à  la lecture prophylactique des vraies autorités, est venu, comme il fallait d’y attendre, assurer que l’actuel mouvement breton n’a rien à voir avec ce regrettable épiphénomène, le tout aboutissant pour finir à promouvoir l’essai de Jean-Michel Le Boulanger, Être breton ? — lequel dit, en somme, l’exact contraire du film.

Ainsi, une fois de plus, la censure a-t-elle interdit tout débat sur le problème que le film visait pourtant à poser, à savoir la promotion actuelle sur fonds publics d’une idéologie fondamentalement inchangée et qui a conduit des jeunes gens fanatisés à s’enrôler sous uniforme SS, en relation avec l’ensemble du mouvement nationaliste, avec le soutien des prétendus régionalistes modérés qui ont poursuivi leur combat après-guerre à leurs côtés.

Ils récoltent à présent les fruits de ce pseudo-combat breton, et tel est bien le problème qu’il s’agissait d’occulter.

Opération réussie — à cela près que le débat était si ennuyeux que la plupart des téléspectateurs ne l’ont pas suivi ou n’en ont rien retenu. Mais la production massive de discours serviles sert à empêcher que soient posées les vraies questions, et tel était d’abord le but poursuivi.

Censure par suppression, censure par enlisement : rien que d’ordinaire désormais en Bretagne.

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