Le Printemps des poètes et l’art d’être à l’ouest 

« Dans cette vie, tant qu’on peut, il faut faire de l’ouest. » Sylvain Tesson.      

                           « Errare humanum est » est-il écrit à la page de garde du manuel de la graineterie comparée. À quoi je me permettrai d’ajouter de mon propre chef : “Errare humanum ouest“... » Pierre Dac.

Je le précise avant tout : je n’ai jamais participé au Printemps des poètes, je ne sais pas en quoi consiste cette opération festive imaginée par Jack Lang en des temps où l’argent coulait à flots pour abreuver des gosiers secs, ni quels poètes ont choisi d’honorer quels poètes ou de se promouvoir eux-mêmes. La polémique lancée suite à la désignation de Sylvain Tesson comme parrain de cette opération m’a donc laissée totalement indifférente. Je n’avais jamais lu une ligne de Sylvain Tessson que j’ai d’abord confondu avec son père, m’étonnant de la longévité de ce journaliste que je connaissais surtout comme fossoyeur de Combat. J’ai ensuite appris qu’il s’agissait d’un auteur d’extrême droite et que des auteurs, parlant au nom de la Poésie, s’opposaient à sa désignation. 

Il m’a néanmoins fallu prendre connaissance de cette polémique car André Markowicz m’a fait savoir qu’il se sentait obligé d’écrire une chronique à ce sujet. Pourquoi ? Parce que de plus en plus de lecteurs lui demandaient son avis sur la pétition signée par 1 200 (à présent 2 000 ?) personnes pour protester contre Sylvain Tesson. Je l’ai prié de n’en rien faire mais il m’a lu cette, de fait, consternante tribune (qui se terminait par une non moins consternante apologie de la Poésie incarnée par le Printemps des poètes conclue par ces mots : « S’iels nous prennent la grâce, nous garderons la dignité. »). Sachant que rien ne l’arrêterait, je me suis contentée de lui dire que tout ça ne serait qu’une source supplémentaire d’ennuis. Et j’ai commencé à développer des arguments qui, de fil en aiguille, m’ont amenée, qui l’eût cru, piège infernal, à lire Sylvain Tesson et trouver des raisons de m’indigner à mon tour…

PÉTITION 

Pour commencer, j’ai indiqué que cette pétition n’avait aucun sens car, ce Sylvain Tesson, qu’avait-il fait sinon accepter la proposition qui lui avait été faite par la présidente du Printemps des poètes, Sophie Nauleau, l’épouse du poète André Velter, premier président du Printemps des poètes ? Sylvain Tesson aurait-il dû se retirer en avouant qu’il pensait mal (en regard des vrais poètes qui, pensant bien, sont de gauche) ? Et laisser la place à un vrai poète de gauche ? Mais comment un vrai poète de gauche aurait-il pu se donner le ridicule de célébrer « la Grâce » (car tel était le thème de ce Printemps parrainé par cet auteur d’extrême droite) ? Jusqu’alors, à ce que j’ai pu voir, les parrains du Printemps des poètes avaient tous été des acteurs et des actrices, à part un poète, Jacques Bonnafé, qui, par la suite, je l’ai découvert aussi, s’était signalé par des vociférations car il ne supportait pas de voir la poésie associée à la Garde républicaine (pour inaugurer en fanfare son règne de directrice artistique du Printemps des poètes, Sophie Nauleau avait convié la Garde républicaine). 

Mœurs étranges de ce petit monde… Comique ? Non, pas vraiment comique, j’en savais quelque chose car, Sophie Nauleau, j’avais été contrainte de la lire lorsque j’avais tenté de comprendre comment, au terme de longues falsifications des manuscrits d’Armand Robin, ce malheureux auteur avait été changé en poète maudit, en poète en pied, en Poète, lui qui avait toujours voulu fuir la poésie pour poètes. L’opération avait été bouclée précisément par André Velter qui avait réédité dans la collection Poésie/Gallimard (qu’il dirigeait) l’édition falsifiée des manuscrits d’Armand Robin. J’avais soutenu une thèse d’État, obtenu que les manuscrits de Robin soient restitués aux éditions Gallimard (avec le soutien de Robert Gallimard), prouvé qu’un manuscrit intitulé Fragments avait été démantelé pour fabriquer Le Monde d’une voix, édité les Fragments – et, pour finir, André Velter rééditait Le Monde d’une voix cependant que les Fragments passaient au pilon… Le tout au nom de la Poésie. 

Vingt ans de recherches perdus, ça n’a rien de comique, et néanmoins cette mésaventure permettait de comprendre sur quelle conception de la poésie se fondait cette fabrique du Poète. En écrivant Armand Robin ou le mythe du Poète pour tirer la leçon de cette expérience, j’ai dû lire Sophie Nauleau, c’est-à-dire sa thèse intitulée André Velter, troubadour au long cours. Mieux vaut, dira-t-on, être un troubadour au long cours qu’un troubadour au cours court (ou au court cours) mais, dans le cas qui m’intéressait, c’était un cours torrentiel, un déluge, un déversement de clichés qui, à force de s’accumuler, formaient une énorme masse, une vaste colline molle laissant surgir en ses plis la figure du Poète. Celle que le Printemps des poètes avait mission de célébrer. 

Le fait que Sophie Nauleau ait choisi Sylvain Tesson s’inscrivait dans ce contexte et n’avait donc rien de surprenant. Ce qui l’était, en revanche, c’était la manière dont chacun s’était soumis au règne du Poète, célébré sous les auspices de l’Homo festivus, et contribuant massivement à marginaliser ce qui de poésie aurait pu percer hors de cette organisation tenue d’une main de fer.

DÉMISSION

Alors même que mes arguments me semblaient tombés dans le vide, j’ai découvert à ma grande surprise que Sophie Nauleau avait démissionné. Il est vrai que le personnel, peu sensible à la hauteur poétique de ses aperçus, avait profité de l’appel d’air provoqué par la pétition pour se plaindre de ses pratiques (mais pourquoi elle et pas le président, Alain Borer, qui avait couvert l’opération, ou le parrain, qui, ne serait-ce que par galanterie, sans même parler de solidarité, aurait dû aussitôt se déparrainer ?). Elle avait démissionné en disant qu’elle ne dirait rien mais en rappelant tout de même qu’elle avait écrit « Le chêne de Goethe », un documentaire réalisé dans le camp de concentration de Buchenwald. Un pied à l’extrême droite, un pied à Buchenwald… Moi qui travaille en ce moment sur l’histoire de mon grand-oncle déporté à Buchenwald, j’ai eu comme un haut-le-cœur. 

J’en ai eu d’autres par la suite en lisant les prises de position de la droite, de l’extrême droite, de la ministre de la Culture, de Jack Lang et même de Fabien Roussel au nom du Parti communiste en faveur du tandem Nauleau-Tesson – et ce tandis que l’ultragauche se déchaînait contre ceux qui osaient critiquer les formules de la pétition, formules que bien des signataires, menés par leur souci de combattre la montée de l’extrême droite, avaient absoutes comme aimable verbiage poétique – et là est bien en fin de compte le problème que pose le traitement de la poésie par le Printemps des poètes. 

Pour finir, les critiques en place et les tenants de l’ordre ont eu beau jeu d’opposer aux élites (incarnées par la présidente du Printemps des poètes et l’auteur élu pour célébrer la Grâce) la piétaille des jaloux : une horde de 1 200 (2 000 ?) inconnus (hormis une pincée d’auteurs à renommée) assaillant l’institution – les gilets jaunes de la poésie, les indignés, les factieux, les sans-dents qui auraient mieux fait de se taire face au Grand Auteur qui honorait la Littérature française. 

En fin de compte, comme dans le cas d’Armand Robin, la polémique montrait comment l’institution prenait et reprenait le pouvoir, au service d’une idéologie qui était par tous passée sous silence, à savoir l’idéologie portée par le mythe du Poète.   

Cependant que les ventes de l’auteur martyr s’envolaient…

INTERROGATIONS

Bien loin de ce tohu-bohu qui ne se calmait pas, j’en étais à me pencher sur les manifestations des paysans en Bretagne (manifestations qui donnaient à la polémique du Printemps des poètes un côté plus dérisoire encore) lorsque un ami (qui avait signé la pétition) m’a fait parvenir quelques citations extraites du dernier livre de Tesson, Avec les fées

Allons donc, était-ce possible ? 

Un auteur qui avait été choisi entre tous pour parrainer un événement officiel, qui avait suscité une telle polémique, qui était défendu par la ministre de la Culture (et tant d’autres, ministres ou pas) pouvait-il vraiment avoir écrit de telles inepties ? 

Je me suis mise à lire Sylvain Tesson non pour savoir si les citations que j’avais reçues étaient exactes, car je ne doutais pas de la précision de mon correspondant, mais pour en avoir le cœur net : l’institution littéraire en France en était-elle arrivée là ? 

Des lecteurs, écrivains et autres, s’étaient indignés parce qu’il s’agissait d’un auteur d’extrême droite mais pas un seul n’avait pris en compte le fait qu’il ne s’agissait pas d’un auteur mais d’une sorte de sous-journaliste à prétentions promu auteur par un dévoiement de la poésie employée comme faire-valoir et cache-misère.    

Que Sylvain Tesson soit un auteur d’extrême droite ne fait aucun doute. Son attitude à l’égard du monde est celle des « hussards », ces mauvais auteurs mis en place par les héritiers de la collaboration après-guerre : il parcourt la planète en seigneur, consommateur d’espaces mis à sa disposition par une sorte de dieu dont il perçoit par instant la présence, et c’est la raison pour laquelle il se lance dans une exploration des terres celtes, vestiges sauvages, encore épargnés par la vulgarité moderne. Cette exploration est l’objet de ce livre : un banal parcours touristique en bateau présenté comme un itinéraire initiatique. « Les promontoires de Galice, Bretagne, Cornouailles, du pays de Galles, de l’île de Man, de l’Irlande et de l’Écosse dessinaient un arc. Par voie de mer j’allais relier les miettes de ce déchiquetage. Sur cette courbe, on était certain de capter le surgissement du merveilleux. »  Le merveilleux, la fée du merveilleux qui lui ouvre les yeux sur la celtitude comme approche de l’indicible : tous les vieux clichés de la celtomanie nourrie d’un culte des origines fantasmé dans la haine de l’esprit des Lumières, servent de toile de fond aux paysages revus et corrigés par ces visions mystiques de commande  : « Moi, c’est dans le paysage que je plaçais le lien des époques. Cinq millénaires conduisaient des dolmens à l’indépendance de l’Irlande en passant par la quête du Graal. Ces chapitres recelaient la même essence océanique. Cette géographie sonnait un assaut permanent : la houle sur les falaises, les oiseaux sur les roches, le vent sur la lande, les herbes sur les haies, les mèches sur les épaules, les chevaux dans les bois, les chevaliers au tournoi, les spectres dans les âmes et le lierre sur les ruines. L’Ouest est une ruée. » 

Page après page, des resucées de lectures sur les Celtes, la quête du Graal, le roi Arthur sont plaquées sur des descriptions que l’on croirait tirés de manuels de rédaction selon le principe un paysage : un couplet. 

Baie des Trépassés : surgit un Breton du cru. « Au fond de la baie des Trépassés, un homme m’avait confirmé le martyrologe naturel de tout Breton :— Je suis un Mervel. On a fait sauter le « le » à la Révolution. Pour survivre.— Et après ?— Après, mon arrière-grand-oncle achète un bateau de pêche avec ses trois frères. Un coup de vent. Tous morts. » Le « Le » perdu ? Pourquoi ? Comment ? Pour survivre à quoi ? Le nom de famille Mervel (Mourir en breton) n’existe pas, le nom Le Mervel non plus. S’agirait-il d’une confusion avec Mevel (Valet) ? Peu importe, ça fait breton, ça fait celte, la mort règne et la Révolution française est dénoncée comme origine du long martyrologe breton. 

Land’s End en Cornouailles : « Le paysage était un rêve celtique, vu par les romantiques : une suspension dans les genêts, légèrement kitch, soutenue par des orgues basaltiques.  » Le rêve celtique, de fait, relève du kitch et l’auteur laisse entendre qu’il le sait, que c’est ce faux parce qu’il est faux, ce romantisme à la gomme qui lui plaît comme un décor habillant le sarcasme. 

Stonehenge : « Édifiés dans la mystérieuse énergie indo-européenne, ces mégalithes avaient inspiré les légendes des géants celtes, alimenté la création tardive de Merlin, servi d’assise au renouveau breton, puis peuplé les poèmes du XIXe siècle. Leur ombre continuait à attirer la jeunesse biberonnée au glucose global où se mêlaient la Pachamama, les soucoupes volantes et les basses des groupes de hard metal. »  Les Indo-européens à la mystérieuse énergie passent des mégalithes au hard metal et les délires de Markale nourrissent les considérations sur la harpe, le triskell, la mer : « La mer a façonné la pensée celte » ; « la pensée atlantique vibrait d’un son de harpe » ; l’esprit celte est « une dynamique de l’être » ; mieux encore : les yeux des Bretons sont bleus parce qu’ils savent rêver face au large… 

Ce fatras que l’on dirait issu des pires revues druidiques est ressassé comme un dogme qu’il faudrait asséner contre les faits, l’histoire, la rationalité :  « L’identité celtique est une sculpture taillée il y a deux cent cinquante ans par une troupe de poètes, de marins, de paysans qui ont lancé un appel dont l’écho s’amplifia. De la Galice à l’Écosse, sonnent aujourd’hui les cornemuses d’une idée très récente, enracinée dans une mythologie très lointaine. Les esprits rationnels y voient une affabulation doublée d’une imposture. Le sentiment d’une appartenance à un espace géo-spirituel rebute les âmes techniques. Certains historiens à la triste figure dénoncent l’artifice des imageries mentales celtiques. Ces moralisateurs craignent les discours sur « l’origine commune ». Ils aspirent à une Histoire rationnelle. » 

Le mythe des origines pour alimenter le « monde comme si » du nationalisme panceltique et dénoncer la France républicaine : le comble de l’émotion est atteint quand l’auteur voit à la télévision les funérailles de la reine d’Angleterre : « Ainsi donc, les peuples des nations, stupéfaits par la magnificence des funérailles d’Élisabeth, allaient-ils se rendre compte de la nécessité de la grandeur. Bien des Français contemplant les fastes royaux et l’adhésion de tous à la splendeur d’un seul se diraient : “Qu’avons-nous fait ?” Bien sûr, quelques ricaneurs ricanèrent. Le faste les agressait comme le soleil cloue le cloporte. » 

Cloué au sol par le soleil de la monarchie, le cloporte français laisse les glorieux Celtes attendre le retour du roi Arthur et la fée qui a accompagné son périple lutter contre le mal, à savoir « le profit marchand, l’emprise technique, l’urbanisation grouillante, la folie de la foule. » Car « même si elle a perdu le combat au siècle 21, la fée incarne encore le refus d’un monde immonde gouverné par la stupidité des machines et la méchanceté des masses. » 

Ce pseudo-aristocratisme, ce nietzschéisme de pacotille, est sans cesse agrémenté de formules pontifiantes :

« L’arthurisme est une espérance. Le Celte, un homme de patience. » 

« Trempez un poète dans un lac : c’est le lieu qui se trouve béni. »

Est-ce pour justifier son parrainage du Printemps des poètes que Sylvain Tesson a consacré une page à la Grâce ou y a-t-il là une rencontre miraculeuse dans l’absolue ringardise du lieu commun poétique ? « Le merveilleux émane des choses. La grâce les surplombe. Le merveilleux est contenu dans le monde car il en est l’essence. La grâce s’en distingue car elle en est la source. Le merveilleux rayonne. La grâce ruisselle. L’un va de la chose à l’homme. L’autre du créateur à la chose. Le merveilleux irradie du réel et se diffuse au ciel. La grâce descend des nuées et inonde la terre. Le merveilleux révèle par le regard une force contenue. La grâce convoque dans le cœur une présence extérieure. Le merveilleux est le nom du génie du lieu ou, mieux, de son esprit. La grâce celui de son gardien ou, pire, de son maître. Le merveilleux part du réel pour y revenir. La grâce descend de l’abstrait pour expliquer le monde. Le merveilleux est ici et maintenant. La grâce sera toujours ailleurs. » C’est clair : elle est ailleurs. 

BOBARDISATION

La lecture du dernier livre de Sylvain Tesson était une épreuve que je ne souhaite à personne. Elle était particulièrement pénible pour moi car je ne vois que trop les dangers de l’idéologie qu’il développe avec le kit néoceltique partout désormais imposé en Bretagne et en Grande-Bretagne pour des raisons politiques qui servent, de fait, l’extrême droite via l’ethnorégionalisme.  

Ce que j’ai dénoncé dans Le Monde comme si puis dans Le Culte des racines est illustré ici avec une impudence d’autant plus grande que l’auteur sait qu’il offre au lecteur un kitch à faire oublier les banlieues : le tout est de faire semblant d’y croire et de trouver dans le rêve des origines matière à mépris – ce mépris hautain si caractéristique d’une certaine extrême droite et qui est ici d’autant plus insupportable qu’il touche à peu près à tout. 

Sylvain Tesson, qui voyage avec les fées, commence par préciser que les fées n’existent pas car, c’est triste, elles ont disparu au XIIe siècle : « Aucune fille-libellule ne volette en tutu au-dessus des fontaines. » Quel mépris pour les traditions populaires dont il ignore tout et sur lesquelles, sans même s’en rendre compte, il plaque le plus vulgaire cliché de bande dessinée américaine ! Pour avoir rendu justice aux fées des eaux sans trahir les collectes des folkloristes qui ne se souciaient pas de mysticisme panceltique, je suis à même de mesurer la profondeur de ce mépris… Les fées n’existent pas, sauf que, bien sûr, il les emporte en voyage. 

Ce qu’il écrit sur Synge (qu’il ne cesse de convoquer comme expression pittoresque de la celtitude) est, du début à la fin, imprégné du même mépris : Synge, « le dingo des îles magiques » est, d’après lui, l’auteur d’un « théâtre incompréhensible », un auteur « illisible », le « barde des îles païennes » (sic) qui y composa « sa pièce de théâtre la plus farouche, la plus absconse, au titre indépassable : Le Baladin du monde occidental. »  Titre en effet indépassable puis qu’il s’agit d’un double contresens imposé par le premier traducteur français. 

Enfin, l’invraisemblable liste de ses lectures cuistrement exposée se termine par une référence à Marie de France. « J’avais constitué une bibliothèque de licornes et de chevaliers », explique-t-il. Une bibliothèque comptant, on ne sait pourquoi, Hugo, Apollinaire, Aragon auteur de Brocéliande (très consternant poème paru en 1942 à la gloire de la Résistance), Nietzsche « pour que le soleil frappe l’écume », le cycle arthurien vu par Pastoureau, Jaufré Rudel et Michel Zink parce qu’il fallait « un troubadour et un savant ». Enfin : « J’avais Marie de France pour la beauté des dames ». Marie de France embarquée dans cette croisière virant à la croisade panceltique, non pour ce qu’elle a pu écrire et qui n’occupe pas plus de place que le théâtre illisible de Synge, mais parce que les dames sont belles, et c’était une dame. Les fées sont, elles aussi, des dames : en somme, des prostituées de l’au-delà prêtes à surgir sur commande.

Pour se remettre de ces lectures, Sylvain Tesson a aussi emporté Simenon parce que « faut pas charrier, on est content de la familiarité collante des gares du Nord après les chevauchées dans les nobles taillis. » Les chevauchées n’ont, de fait, qu’un temps, tout ça n’est que tourisme, bobards poétiques, évasion à bon compte, business genre Étonnants voyageurs, littérature…

Mais cette littérature ne dit pas rien. 

Les défenseurs de l’auteur martyr font allégeance à une propagande qui est loin d’être inoffensive et qui est loin d’avoir été diffusée sans connaissance de l’entreprise politico-commerciale en cours : la petite croisière avec les fées est une production toute faite pour servir l’interceltisme tel qu’il est mis en place par le lobby patronal breton soucieux d’échapper aux lois égalitaires de la République, ou ce qu’il en reste : rien d’étonnant si, en Bretagne, Sylvain Tesson est défendu par toute l’extrême droite nationaliste, Breizh-Infos en tête, s’appuyant sur Éléments et, bien sûr, l’Agence Bretagne Presse qui délire d’enthousiasme tant la fureur sacrée de Tesson est celte.

Le rêve celtique aidant, le livre pourrait être distribué lors du prochain Forum celte organisé par les sept « nations celtique » vouées à s’émanciper de la tutelle de la France et de l’Angleterre – ces « nations celtes » auxquelles Sylvain Tesson a donné voix : après le Printemps des poètes, il pourrait succéder à Jean-Yves Le Drian comme parrain de l’« Interceltic Business Forum » et rejoindre le clan zemmourien des auteurs promus par Bolloré pour appeler à l’indépendance de la Bretagne, les Patrick Mahé et autres, à Paris-Match qui ne manque aucune occasion de le célébrer et le défendre

Et c’est cet auteur lamentable que les «  cloportes de la République », je veux dire la ministre de la Culture et Bruno Le Maire, ministre qui se pique de littérature, encensent, imités par un chœur uniformément laudateur. 

Et les lecteurs se précipitent dans les librairies pour acheter le dernier livre de cet « auteur de grand talent » que, sans cette polémique, bon nombre d’entre eux auraient à tout jamais, comme moi, ignoré. 

Petit conseil pour finir : plutôt que de lire Sylvain Tesson, lisez l’essai de Jean-Louis Brunaux, Les Celtes, histoire d’un mythe (éditions Belin), remarquable essai, clair, précis, rigoureux, écrit, après quarante ans de recherches, par l’un de ces historiens (un archéologue, directeur de recherche au CNRS) que Tesson récuse par avance, sans les avoir lus, au motif qu’ils écrivent cette « histoire rationnelle » qu’il hait. 

Il y a plus de poésie dans les essais de Jean-Louis Brunaux que dans les divagations de Tesson et Nauleau. 

© Françoise Morvan

On trouvera ici le texte de la tribune avec les signataires.

https://francoisemorvan.com/wp-content/uploads/2024/02/TRIBUNE-LIBE-3.docx

Par la suite, j’ai trouvé une autre raison de m’indigner : l’Opération Coudrier organisée par le Printemps des Poètes pour inciter les élèves à retraduire un passage du « Lai du chèvrefeuille » de Marie de France traduit en charabia. Mépris du texte, mépris des élèves, mépris de la forme, mépris de l’histoire : tout se rejoint.

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La cinquième saison des éditions Mesures

Voici la première présentation des cinq livres de la cinquième saison des éditions Mesures. C’est à Rennes, à la librairie Comment dire où la libraire, Aliénor, nous a proposé de présenter tous les livres ensemble et non pas un à un comme nous le pensions à l’origine. 

Cette année, j’ai décidé de publier un livre qui offre une sorte de conclusion à mes recherches sur le conte. Je l’ai intitulé L’Amour des trois oranges en reprenant le titre d’un conte écrit à partir des versions que j’avais pu trouver au cours de mes recherches – une sorte de condensé de la poésie qui était (et j’ai pu enfin l’expliquer) l’objet de ces recherches – des recherches qui m’ont si longtemps occupée pour n’aboutir à rien : mon édition de Luzel en 18 volumes est devenue introuvable et la collection « Les grandes collectes » démantelée par l’éditeur a perdu tout sens. Il n’empêche qu’au bout de ce parcours, le fait de ne pas séparer conte et poésie change la perspective. Et puis, le livre répond à l’édition des Contes de Bretagne qui, grâce aux éditions Mesures, ont pu ouvrir la collecte de Luzel sur une autre approche du conte.  

J’ai aussi publié Le Dit de la grièche d’hiver et autres poèmes de l’infortune car l’humour sarcastique de Rutebeuf m’a toujours touchée — et il m’a toujours semblé que les médiévistes étaient injustes à son égard, même lorsqu’ils rendaient hommage à sa poésie (jamais traduite en respectant sa forme originale pourtant essentielle). De plus, je n’étais pas sans trouver une sorte de parenté avec ce Rutebeuf toujours lancé dans des combats voués à l’échec (mes recherches sur le conte en sont un bon exemple) et je voulais poursuivre l’expérience de traduction engagée avec La Trilogie de Pathelin (qui devrait être étudiée dans tous les conservatoires, je ne cesse de le répéter, hélas, en vain) et, aux éditions Mesures, avec La Folie Tristan.

Chose incroyable, alors qu’au cours d’une conversation j’avais dit à Christian Olivier qu’il était fait pour dire ces textes, il a choisi de les illustrer avec son complice Lionel Le Néouanic et nous avons une édition illustrée, rajeunie et comme revigorée de ces textes anciens. 

Édition illustrée aussi, celle du Roi Famineune pièce traduite par André qui lui permet de poursuivre son édition du théâtre de Léonid Andréïev – pièce incroyablement actuelle… Les images de l’édition originale sont complétées par celles, inédites, de Serge Eisenstein pour une mise en scène qui devait être interdite. Cette publication est aussi un acte politique. 

La pièce d’Andréïev (puisque nous ne voulons pas séparer prose, poésie, conte et théâtre) trouve sont prolongement dans les nouvelles d’Evguéni Zamiatine, extraordinaires nouvelles évoquant la guerre civile en URSS (suivies d’un texte sur Alexandre Blok dont nous avons publié Les Douze voilà deux ans). Les traductions d’André étaient devenues introuvables et les éditions Mesures lui ont donné l’occasion de les revoir et de les compléter (y compris par une pièce sur l’Inquisition qui a elle aussi une résonance terrible dans les circonstances actuelles). 

Enfin, traduction poursuivie depuis bien longtemps aussi, Les Élégies du nord d’Anna Akhmatova. À mon avis, c’est le plus beau de ces cinq livres mais je n’en dis rien de plus : on peut le trouver d’ores et déjà en librairie, sur le site des éditions Mesures et sur abonnement à notre petite AMAP (cinq livres numérotés, signés, dédicacés et livrés à domicile pour 100 €). 

Cette année, pour les illustrations de couverture, j’ai choisi le brun léger d’un papier kraft parce que la tonalité d’ensemble m’a semblé comme boisée, mélancolique et chaleureuse à la fois, en attente d’un avenir promis par ces protestations contre le sort. 

Publié dans ancien français, André Markowicz, Anna Akhmatova, Chats Pelés, Christian Olivier, Conte, Éditions Mesures, Evguéni Zamiatine, illustration, Léonid Andréïev, Les Douze, Littérature, Poésie, Rutebeuf, Théâtre, Traduction | Laisser un commentaire

Vigile de décembre au TNP

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Le FLB sur France Culture

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Nouvel épisode du monde comme si…

C’est une journaliste qui m’écrit le 17 mars 2023 pour m’indiquer qu’elle prépare une série documentaire sur le Front de libération de la Bretagne (FLB) pour France Culture. 

« Nous reviendrons sur la période 1966-1981 mais également sur les origines du mouvement nationaliste breton, la collaboration pendant la seconde guerre mondiale et son héritage aujourd’hui. J’aimerais beaucoup vous interviewer à ce sujet. » 

Elle s’appelle Kristel Le Pollotec, et a déjà pris contact avec Vincent Jaglin qui a réalisé un film sur le Bezen Perrot, groupe de nationalistes bretons engagés sous uniforme SS pour soutenir l’Allemagne nazie dans son combat contre la France. La Découverte ou l’ignorance a reçu le prix du meilleur documentaire historique au Festival de l’histoire de Blois mais a été censuré de diverses manières en Bretagne – y compris du simple fait que le réalisateur osait me donner la parole. Que Vncent Jaglin soit interrogé est donc positif. 

Alors que j’hésite encore à accepter, il m’assure que, contrairement à ce que je crains et qui s’est déjà tant de fois produit, la journaliste n’entend pas se livrer à une apologie du FLB. Son père était un maoïste qui était proche du FLB dans les années 70 (au cours d’une émission elle expliquera, de fait, qu’il était passé par l’IRA avant de rejoindre le FLB). Elle souhaiterait se pencher sur ce passé. Il est vrai que la jonction entre les maos visant à instaurer la dictature du prolétariat et les terroristes visant à faire advenir une nation bretonne sur base ethnique ne tombe pas sous le sens et mériterait d’être étudiée, ce qui n’a jamais été fait (à ma connaissance). Sartre n’est-il pas allé jusqu’à soutenir Fouéré en prison pour le FLB selon le titre de son essai paru dans une maison d’édition d’extrême droite ? Tout cela se trouve dans Le Monde comme si, mais la journaliste l’a-t-elle lu avant de s’adresser à moi ? 

Enfin, je me suis, malgré tout, décidée à lui répondre. Telle est la teneur de ma réponse :

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« Oui, j’ai  étudié la formation du FLB et l’idéologie de ses membres. J’en parle assez longuement dans Le Monde comme si et aussi dans Miliciens contre maquisards puisque le recyclage de nombreux miliciens via l’Irlande a permis aux réseaux séparatistes de se reconstituer et de revenir à l’action violente. Avez-vous lu ces essais ? Ils sont  les seuls (avec le film de Vincent Jaglin) à tenir un discours critique face à un océan de productions nationalistes. 

J’ai repris sur le site du Groupe Information Bretagne des articles au sujet des films d’Hubert Béasse sur le FLB, films qui, somme toute, ayant été commandés par le conseil régional, expriment la version officielle des faits. C’est selon moi une version fausse… Je peux, bien sûr, m’en expliquer. 

https://le-grib.com/histoire/reecriture-de-lhistoire-en-bretagne/berlin-vichy-bretagne/ » 

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Kristel Le Pollotec me répond qu’elle est en train de lire Le Monde comme si et va commander Miliciens contre maquisards car sa famille est originaire de Saint-Nicolas-du-Pélem (la rafle que je raconte dans Miliciens contre maquisards se situe autour de ce bourg, entre autres, et je démontre que les jeunes maquisards pris dans la rafle à laquelle mon père a échappé ont été assassinés par cinq membres du Bezen Perrot, dont certains ont continué le combat après-guerre – notamment un nommé Miniou qui figure dans le film de Vincent Jaglin). Ce sont des faits qui ont été occultés par tous les historiens, comme je le montre aussi. 

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LE PIÈGE

Sur cette base, j’accepte de la recevoir à Rostrenen. 

Je lui demande toutefois de me préciser sur quoi précisément elle entend m’interroger. La réponse est la suivante (je la copie)  :

« Pour les thèmes, nous reviendrons sur: la guerre et la permanence des leaders issus de la collaboration jusque dans les années 70 la collusion des intérêts nationalistes et  économiques (lucarn, celib) et politique (rôle du PS et conseil general)

 Création d’une identité bretonne « officielle  » et fabriquée de toutes pièces, positions politiques,  de l’extrême gauche à l’extrême droite au sein du flb. » 

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Elle reprend donc la problématique posée par Le Monde comme si voilà vingt ans. Je suis la seule à avoir montré la filiation du CELIB (lobby patronal fondé après-guerre par l’adjoint de Fouéré, Joseph Martray, un très redoutable collabo nationaliste reconverti dans l’affairisme) et l’Institut de Locarn (fondé en 1993 par Joseph Le Bihan, indépendantiste, militant catholique, partisan d’une Europe des ethnies dans le cadre de la PanEurope d’Otto de Habsbourg, lequel inaugurait l’Institut) et à avoir montré que la fabrique identitaire était menée en Bretagne par ces puissants groupes de pression portant un projet politique. Ce qui est étrange est que, tout en reprenant les idées qui m’ont fait mettre au ban de la Bretagne depuis vingt ans et  interdite de parole en quelque circonstance que ce soit, elle évoque « le rôle du PS et du conseil général ». Quel conseil général ? Je n’ai eu de cesse de dénoncer le rôle de Jean-Yves Le Drian, président du conseil régional, si bien inféodé au lobby patronal qu’il est allé présenter son programme politique à l’Institut de Locarn… Le président de l’Institut était alors Alain Glon (on se souvient de Glon-Sanders, farines animales, maladie de la vache folle…) qui déclarait tout uniment « notre problème, c’est la France ». J’avais, là encore, été la seule à m’en indigner. 

Je suis un peu perplexe mais, en 2013, lors de la prétendue « révolte des Bonnets rouges » organisée par le lobby patronal de Locarn, une autre journaliste de Radio France, Charlotte Perry, au début manifestement ignorante du problème, avait en un temps record assimilé tout ce qu’elle avait pu trouver sur le sujet. Elle s’était rendue à l’Institut de Locarn et, de manière brillantissime, avait permis aux patrons bretons rassemblés là pour célébrer leur triomphe, d’illustrer mes propos : démonstration imparable. Ces émissions restent des modèles jamais égalés. La lutte scandaleuse du lobby breton contre l’écotaxe a coûté un milliard d’euros à l’État – ce qui n’empêche pas le lobby de Produit en Bretagne (association créée par l’Institut de Locarn) de se présenter sous label écolo… 

Bref, j’accepte.

Kristel Le Pollotec et sa réalisatrice, Marie Plaçais, arrivent à Rostrenen. Dès la première question, je comprends que la journaliste a glané çà et là les informations qui surnagent à partir de ce que peuvent dire les militants bretons. Je suis supposée penser que l’identité bretonne est liée à la collaboration, autrement dit m’engager dans la polémique telle que l’ont fabriquée les nationalistes pour se poser en victimes des « jacobins » dont je suis le suppôt.

Néanmoins, elle me semble de bonne volonté et, vu qu’elle s’est déplacée jusqu’à Rostrenen, je me mets en devoir de rectifier les lieux communs nationalistes brassés sans fin depuis des lustres. Me voilà donc en train d’exposer patiemment que l’« identité bretonne » est une construction et d’expliquer quand, comment et pourquoi elle a été exploitée par La Villemarqué et consorts jusqu’à Breiz Atao et ainsi de suite. À quoi bon se lancer dans des explications face à quelqu’un pour qui la propagande nationaliste semble aller de soi ? J’ai, à dire vrai sans réfléchir, pensé devoir resituer l’épisode de la collaboration massive du mouvement nationaliste breton dans une histoire qui seule permettait de comprendre cette propagande nationaliste appuyée sur une réécriture victimaire de l’histoire. Et puis, Kristel Le Pollotec venait de rencontrer Jean Bothorel, le terroriste du FLB adorateur de Bolloré, et sa réalisatrice et elle s’indignaient ou tout au moins semblaient s’indigner de ses propos. 

Ainsi le piège s’est-il refermé. 

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LES MÉCANISMES DE LA PROPAGANDE

Je le précise tout de suite, c’est un piège très intéressant, très révélateur de la situation actuelle en Bretagne, au moment où le conseil régional vient de demander l’autonomie pour la région, obéissant ainsi au lobby patronal et mettant en œuvre le projet politique que je dénonce depuis plus de vingt ans. 

Au total, ces quatre heures de reportage sont une apologie du nationalisme breton tel qu’il est promu par les poseurs de bombes du FLB mais aussi par les historiens autonomistes et autres militants qui ont été longuement interrogés : deux petites voix dissidentes s’élèvent, celle de Vincent Jaglin et la mienne, très brièvement l’une et l’autre, mais ce qu’elles disent est suivi de propos de militants qui les rendent inaudibles. 

Si ces émissions viennent servir la propagande autonomiste omniprésente et constituent pour Vincent Jaglin et pour moi une véritable trahison, il n’empêche – et c’est sans doute le pire – qu’il s’agit une trahison involontaire car la journaliste a fait preuve d’une certaine témérité en  reprenant les thèmes du Monde comme si. Se rend-elle compte qu’en enlisant nos interventions sous les démonstrations des journalistes et historiens autonomistes, elle réduit à néant ce que nous avons à grand-peine réussi à établir ? 

Ce piège est instructif d’abord par le fait qu’il démontre l’incapacité où la journaliste s’est trouvée de diffuser autre chose que la propagande imposée partout. Elle laisse elle-même entendre dans sa présentation du troisième épisode que, d’avance, sa démonstration était celle qu’imposait la doxa :

« Je porte un nom breton, mais je n’ai jamais vécu en Bretagne. Il n’empêche que j’ai gardé des réflexes. Par exemple, quand j’entends parler du passé collaborationniste du mouvement breton pendant la Seconde Guerre mondiale, je suis toujours partagée entre mon attachement à la vérité historique et une petite voix qui me dit que c’est aussi une façon pour le pouvoir central de délégitimer le mouvement nationaliste breton comme le pense également Jean Bothorel : « Je connaissais ce passé par mes lectures, mais je ne pensais pas que dans l’opinion, ça avait encore une prise. Pour beaucoup de camarades du FLB, le «Breizh Atao» n’était pas un chiffon rouge, mais peu d’entre eux avaient une vraie connaissance de ce qui c’est réellement passé. C’était tout de même une minorité. »

Oui, la référence donnée est Bothorel, auteur d’un livre (réédité par la Coop Breizh) à la gloire de ses actions de terroriste pour le FLB,  d’un autre à la gloire de Vincent Bolloré et d’un autre à la gloire de François Pinault, éminents membres du lobby patronal breton dont je dénonce le pouvoir. Je parlerai plus tard des propos de Bothorel, qui s’intéresse apparemment de longue date à ma personne, je l’ai découvert à cette occasion. 

Ce qui fait de ce documentaire une opération de propagande à la gloire du nationalisme breton, au nom de ce que la journaliste désigne elle-même comme le « romantisme » qui a inspiré cette enquête, c’est le fait que l’histoire des militants auxquels elle donne si généreusement la parole est occultée : ils ont posé des bombes, ils ont été défendus par Chouq et d’autres avocats, certains d’entre eux connus. Et ensuite ? Où est-il rappelé que Charlie Grall a été le seul à ne pas condamner l’attentat de Quévert qui a tué une jeune femme en 2001 ? Où est-il rappelé qu’il s’est associé avec des tueurs basques pour voler de la dynamite ? Où est-il fait mention de sa direction du journal Bretagne Hebdo, feuille nationaliste dite d’extrême gauche où des nazis étaient défendus comme des héros de la nation ? Et du fait que j’ai fait disparaître ce journal grâce à une procédure en diffamation gagnée suite à ses attaques ignobles contre moi après la publication du Monde comme si ? Je n’aurai garde d’oublier que l’avocat de ce journal, suite de Breizh-Infos, fondé par deux terroristes, Grall et Ménard, était ce même Chouq, qui n’a pas ménagé ses effets de manche, et qui a néanmoins perdu son procès. 

Où les liens entre Grall et Christian Troadec, le maire autonomiste de Carhaix et conseiller régional en charge des langues de Bretagne et de l’identité, sont-ils mentionnés ? Et Chouq, ses actions politiques ? Et Chartier, interrogé en même temps que Grall, toujours fier de son engagement au FLB, où est-il rappelé qu’il s’agit d’un autonomiste militant, journaliste au Poher, journal fondé par Troadec et Grall pour soutenir ce même Troadec ? Pas de contexte, pas de commentaires, pas de mise au point, pas d’explications. Les lieux communs nationalistes, voire les pires mensonges, sont donnés pour monnaie comptante. 

Sur le recyclage des tortionnaires nazis par l’Irlande, grâce à la filière des faux passeports mise en place par Fouéré, l’histoire est faussée, malgré les quelques faits rappelés par Vincent Jaglin car, au total, seuls Goulet et Fouéré sont mentionnés : des centaines de nazis qui ont prospéré et continué de militer pour l’indépendance de la Bretagne, rien à dire. Et, pour finir, la parole est donnée, et longuement, à Bothorel, Grall et Chouq qui peuvent raconter ce qu’ils veulent sans la moindre contradiction et la moindre mise en perspective. Et la journaliste de tendre la perche au terroriste Charlie Grall : « Ben, moi, je trouve ça plutôt bien de se distancier d’avec ce passé-là… » « Quel passé ? » « Ben, le passé de la Seconde Guerre mondiale ». Allons donc, mais oui, faisons-le passer, ce passé qui ne passe pas : sans moi, il aurait très bien passé et Grall aurait pu continuer de faire l’apologie des vieux nationalistes collabos dans son journal Bretagne-Hebdo (alias Breizh-infos, lequel est devenu le site d’extrême droite éponyme, où se trouve d’ailleurs une apologie de ces quatre émissions qui sont très bien, sauf bien sûr qu’hélas on me donne la parole – l’approbation de ces émissions par les héritiers de Breiz Atao suffit à indiquer ce qu’elles servent). 

Dans la dernière émission, intitulée « La mise en scène d’une identité », on me donne la parole : des deux heures d’interview à Rostrenen restent quelques bribes immédiatement suivies de longs développements dus à des autonomistes ou des tenants de l’« identité bretonne » factice, si opportunément promue par les bons élus comme Le Drian (telle est la leçon de l’émission, avec, en complément, cette litanie : tous les problèmes viennent de ce que l’histoire de Bretagne n’est pas enseignée – vieille revendication, d’ailleurs naguère explicitée par des autonomistes qui, constatant que l’enseignement du breton ne produit pas les fruits attendus, se tournent désormais vers cette revendication politique présentée comme une urgence. Ils passent évidemment sous silence le fait que l’histoire de Bretagne est aujourd’hui écrite par les nationalistes et qu’elle fait l’objet d’investissements massifs du conseil régional). 

J’ai déjà eu mainte fois l’occasion de voir à l’œuvre les procédés des journalistes dès lors qu’il s’agit de « sujets bretons » : par exemple, à l’occasion de la révolte des Bonnets rouges, le refus de France bleue-Armorique de passer l’antenne à France Inter qui souhaitait m’interroger ; ou encore, à l’occasion de la Charte des langues régionales, le traquenard monté par cette même radio avec un nommé Gourmelen alors responsable de l’UDB ; et, avant tous ces épisodes, l’invitation à collaborer à une revue qui se voulait « de débat » et dans laquelle j’avais vu paraître mon article sur le drapeau breton… mais entouré de sept articles à la gloire de ce même drapeau, : il n’avait pas fallu moins que Michel Denis, Jean Guéguéniat, Christian Guyonvarc’h, plus Kernaleguen, Le Coadic, Le Prohon, autrement dit six autonomistes, et, en prime, le maire socialiste de Quimper, Bernard Poignant, pour « normaliser » le « débat breton » – le normaliser à la mode bretonne (bretonne nationaliste, s’entend, puisque les non-nationalistes n’ont pas voix au chapitre), à savoir 1 contre 7. Une contre sept messieurs, ça va de soi. 

Ils sont cinq, cette fois :  

— Régis Delanoë, auteur d’un livre sur le vélo breton paru aux éditions du Coin de la rue qui ont publié une apologie de Le Drian par Nicolas Legendre et Benjamin Keltz, puis une apologie du Club des trente, fer de lance du lobby patronal breton. En quoi les recherches de Régis Delanoë sur l’identité bretonne ont-elle consisté ? Mystère. Il expose longuement, aussi incroyable que cela puisse paraître, que la « fierté bretonne » est « un peu dure à lire » car elle ne « s’accompagne pas de renvendications politiques » ; 

— Joël Cornette, le spécialiste du copier-coller comme arme politique dévide tous les vieux clichés de la propagande de l’UDB : à l’en croire la « France jacobine »  depuis toujours hait la Bretagne, la preuve : le méchant Ermold Le Noir qui, au IXe siècle, a dit qu’ils étaient crasseux et Bécassine qui n’a pas de bouche (comme les nationalistes n’ont pas lu la bande dessinée honnnie, il leur a échappé que si Bécassine n’a pas de bouche, c’est elle qui a la parole du début jusqu’à la fin et qui d’ailleurs triomphe de tous les obstacles) ; 

—  Sébastien Carney qui fait des nazis dont il a étudié le parcours de doux « non conformistes des années 30 » si dévoués à leur patrie bretonne. En l’occurrence, réduisant à néant les faits établis par Le Monde comme si et divers articles établissant l’itinéraire de Morvan Marchal, le fondateur de Breiz Atao et l’inventeur du drapeau breton, il le présente comme un joyeux écervelé, « très intelligent » (très intelligent, Morvan Marchal ! Il faut n’avoir pas lu ses articles de Breiz Atao à la gloire de la « race bretonne » et sa revue druidique Nemeton – mais, à croire l’historien spécialiste du nationalisme breton, il fut, bien sûr, un peu druide sur les bords mais pas beaucoup, juste un peu sous l’Occupation ; 

—  Franck Darcel, le rocker nationaliste qui n’a cessé de m’insulter, président de Breizh-Europa dont la liste Bretagne-Europe (toujours sans la France honnie) a fait un score misérable aux élections municipales à Rennes (mais ses engagements politiques sont totalement passés sous silence : il aurait été intéressant de mentionner son apologie de la Vallée des saints évoquée dans la suite de l’émission et la manière dont tous ceux qui osent dénoncer cette monstruosité due au lobby de Locarn sont par Darcel traités de « Parisiens » (y compris Jean-Marc Huitorel, natif du cru, qui a publié une tribune dans Libération). 

— le journaliste Nicolas Legendre, qui a commencé par déclarer : « Je prends des mégapincettes avec Françoise Morvan » avant de faire de la bouche une sorte de bruit de mitraillette pour signifier qu’oser parler de moi, c’est dangereux : « Ici, c’est incroyable.… ». Eh oui, incroyable mais vrai, les mégapincettes sont très utiles pour éloigner l’objet qui dérange et le rendre ainsi indiscernable : Nicolas Legendre réduit à néant les recherches que j’ai pu faire sur l’Institut de Locarn, à la suite de journalistes, d’ailleurs, eux, remarquablement courageux : il réduit le discours du fondateur de l’Institut de Locarn à un inoffensif « globiboulga » (je cite), et le marketing identitaire à un phénomène plein de sincérité mais qui n’a « pas assez approfondi l’idée de terroir ». Ce grand pourfendeur de l’agrobusiness, tel que porté par le lobby de Locarn dont il efface le rôle (son livre Silence sur les champs qui lui valu le prix Albert Londres, passe systématiquement sous silence ce qui, dans Le Monde comme si, était déjà établi, et qui est le sujet énoncé de l’émission, à savoir la fabrique d’une identité nationale factice accompagnant la destruction d’une région par l’agrobusiness). Dans son souci de prendre des pincettes, ne va-t-il pas jusqu’à mettre en doute le fait qu’Otto de Habsbourg (appelé à présider l’inauguration de l’Institut de Locarn) était lié à l’Opus Dei ? Et à déclarer que, de la part des responsables de l’agrobusiness, il y avait peut-être une contradiction entre les pratiques et l’idéologie identitaire  : au lieu de mettre du maïs, mettre du blé noir, ç’aurait été mieux. 

— À ces cinq s’ajoute Ronan Calvez, directeur du CRBC qui ne dit rien mais, il faut le supposer, cautionne le tout. 

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LE TRIOMPHE DU MÂLE 

Cette série d’émissions est intéressante d’abord parce qu’elle montre le fonctionnement de la censure par écrasement de toute parole dissidente sous la propagande officialisée ainsi cautionnée. 

Elle est aussi intéressante parce qu’elle offre une illustration du machisme du mouvement bretonque j’ai eu à étudier de longue date. 

Au total, ont été interrogés dans la première émission :

  • Christophe Colin, maire de Landunvez
  • Régis Delanoë, journaliste spécialiste du vélo breton
  • Erwan Chartier, journaliste autonomiste 
  • Jean Bothorel, ancien membre du FLB, auteur d’un livre à la gloire de Vincent Bolloré
  • Yann Choucq, avocat du FLB, militant nationaliste

… dans la deuxième :

  • Charlie Grall, ancien membre du FLB, militant nationaliste 
  • Erwann Chartier, déjà nommé 
  • Régis Delanoé, déjà nommé
  • Yann Choucq, déjà nommé

… dans la troisième :

  • Sébastien Carney, historien, auteur d’une thèse banalisant l’itinéraire des militants nationalistes collaborateurs des nazis
  • Vincent Jaglin, cinéaste,
  • Christian Bougeard, historien, minimisant les respeonsabilités des militants nationalistes collaborateurs des nazis. 
  • Jean Bothorel , déjà nommé
  • Charlie Grall , déjà nommé
  • Yann Choucq , déjà nommé

… et dans la quatrième, donc, Sébastien Carney et Régis Delanoé, Nicolas Legendre, Joël Cornette et Franck Darcel, plus Ronan Calvez à titre subsidaire. 

Au total, une femme contre douze hommes, pour la plupart nationalistes allant de l’indépendantisme à l’autonomisme militant. 

Seul dans cette liste, l’infortuné Vincent Jaglin, consterné d’avoir été à l’origine de cette expérience, se trouve être l’objet d’un traitement plus douloureux et plus offensant que celui auquel j’ai été soumis pour ma part car ses propos sont contredits, édulcorés, brouillés précisément par les historiens dont il avait voulu montrer les errements. Même le titre de son film est faussé : La Découverte ou l’ignorance, devient La Découverte et l’ignorance. Il est vrai que, de même, Miliciens contre maquisards devient Miliciens et maquisards…. Les informations que donne Vincent Jaglin sont rendues totalement incompréhensibles. 

Reste l’idée qu’en fin de compte, ils étaient très bien, ces terroristes, et puis, l’un d’eux nous le rappelle, Fouéré n’était pas nazi du tout. D’ailleurs, il a été acquitté. L’itinéraire de Fouéré était rappelé dans Le Monde comme si et rappelé en maints articles ; Vincent Jaglin l’a fait figurer dans son film et a montré comment, agent de la Gestapo lui-même, il avait recyclé les nazis du Bezen Perrot en Irlande. Mais, là encore, silence. 

Les seuls liens donnés, à la fin de la première émission, sont ceux qui mènent à des productions nationalistes. 

Aucun lien vers l’article du Groupe Information Bretagne sur le FLB, l’Institut de Locarn. Aucune mention en bibliographie de Miliciens contre maquisard ou du Culte des racines qui traite précisément des nationalistes, de la fabrique identitaire, du FLB et du lobby patronal. 

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Y A RIEN

Pour moi, le moment le plus extraordinaire de ces émissions est celui où le terroriste Bothorel interrogé au sujet des liens entre les militants nationalistes, les collaborateurs des nazis et le FLB déclare que, pour sa part, il n’en voyait pas et que, quand il était en prison, il disait aux camarades de se méfier un peu de ceux qui en Irlande… Mais, en prison, gauche ou droite, tout le monde chantait en chœur le « Breiz Atao » le soir (oui, le chant national breton bien connu, le «  Breiz Atao » – la journaliste, elle, ne parle-t-elle pas du « Gwenn-ha-dou », le drapeau national breton ?). Mais, bon, passons sur ces broutilles, le passage le plus merveilleux pour moi est celui où Bothorel déclare que la collaboration, c’était microscopique. 

« Peu avaient une vraie connaissance de ce qui s’était réellement passé, et puis c’était tout de même une minorité. C’était tout petit, en fait. Et vous avez un auteur, là, Morvan… Je ne me souviens plus de son prénom…

— Lebesque ? Non, un autre ?…

— Non, Morvan, cette femme… qui écrit…

— Ah, Françoise Morvan… Oui, mais il y a plein de Morvan en Bretagne.

— Oui, mais je parle de… Françoise, Françoise Morvan a changé la barre… » 

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« Changé la barre » ou « chargé la barque » ? Difficile de décider, l’élocution de Jean Bothorel étant plutôt confuse. Quoi qu’il en soit, quel hommage ! En effet, sans moi, la barre serait restée très, très bas (ou la barque très, très vide) et l’histoire écrite par les nationalistes aurait permis de laisser dans une ombre épaisse l’histoire du mouvement nationaliste breton. Personne n’aurait traduit les textes antisémites de Drezen, de Hemon, de Langlais et alii, personne n’aurait protesté contre la réhabilitation de nazis comme (en ce moment) l’abbé Perrot et tant d’autres, personne n’aurait montré comment le patronat s’est emparé de l’idéologie nationaliste et comment les élus l’ont peu à peu imposée, comment les médias ont relayé massivement cette propagande et comment elle s’impose : nous en avons une nouvelle démonstration. 

Un passage intéressant de la troisième émission est d’ailleurs celui qui voit Sébastien Carney interrogé par Kristel Le Pollotec sur la manière dont le passé collaborationniste des militants nationalistes breton a pu faire surface répondre qu’il a été réécrit par les nationalistes eux-mêmes après-guerre, puis occulté, avant que, dans les années 60, les militants autonomistes de l’UDB quittant le MOB de Fouéré ne mettent au jour des pans de ce passé, puis que, dans les années 90, il ressurgisse soudain. Pourquoi ? La réponse est incroyable : parce qu’il y a eu les procès Barbie et autres et que Chirac a reconnu la responsabilité de la France dans la rafle du Vel’ d’Hiv’… Ô miracle, grâce à Chirac, on a protesté contre l’attribution du nom de Roparz Hemon au collège Diwan et contre l’histoire de Bretagne en bande dessinées de Secher. Chirac a bon dos… Ce qui s’est passé dans les années 90, c’est que j’ai découvert, grâce au procès que m’intentait Pierre Denis, l’histoire du mouvement nationaliste breton et que j’ai fait un travail d’information qui ne pouvait pas être contredit. J’ai informé la presse nationale, j’ai travaillé avec des journalistes, avec la LDH, avec le MRAP et des associations républicaines : j’ai traduit les textes antisémites de Hemon, protesté contre la publication de la bande dessinée…  Ce travail d’information a fait que la vieille histoire que tout le monde connaissait à l’intérieur du sérail (ou du moins que beaucoup connaissaient et avaient soin d’occulter) a été mise sur la place publique. D’où un déferlement de fureur. D’où aussi l’usage de « mégapincettes » conseillé par  le journaliste Nicolas Legendre et les cris de rage des militants nationalistes de quelque bord qu’ils soient – et l’on voit dans cette émission que le discours des militants, qu’ils se disent de gauche ou de droite, est le même. 

À son insu, c’est ce que confirme Bothorel. À l’en croire, pour les membres du FLB, la collaboration avec les nazis n’avait aucune importance. C’est « l’intelligentsia parisienne » qui lui a donné cette importance – l’intelligentsia parisienne dont je suis naturellement l’expression native. Comme dans le cas de Darcel, pour qui protester contre les productions nationalistes c’est être « parisien », Bothorel, depuis son hôtel particulier de Boulogne (92) où les journalistes sont allées l’enregistrer, me dénonce, moi, enregistrée dans ma maison natale à Rostrenen, comme pure expression du parisianisme – et cela ne pose pas le moindre problème : la chose va de soi. 

Tels sont les propos qui suivent :

« Pour eux [les bons terroristes du FLB] ça n’avait pas l’ampleur que l’intelligentsia lui donnait et moi je suis d’accord avec eux, parce que c’est ça que Françoise Morvan – maintenant, j’ai bien retrouvé son nom – j’ai été en euh… j’ai polémiqué avec elle, il y a des années. Ça va, j’aime pas trop qu’on revienne, comme ça, sur ces problèmes parce que je lui avais dit, d’ailleurs : « Qu’est-ce que tu aurais fait, toi, si tu avais eu vingt ans en 41 ? »

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Qu’il mente comme un arracheur de dents, c’est un fait, car jamais je n’ai échangé un mot avec lui et, néanmoins, entendre ce militant s’adresser à moi, fût-ce dans ses fantasmes, en me tutoyant comme le flic tutoie l’immigré en dit long sur le machisme de ces militants. Ce journaliste de droite, si servile à l’égard des grands patrons et tout imbu des principes bourgeois de civilité oublie politesse et bonnes manières dès lors que le militant breton resurgit face à une femme qui ose rappeler des faits contraires au dogme.  

Quant à l’argument – qu’est-ce que t’aurais fait, toi… ?  – c’est l’éternelle antienne des nationalistes pour ne pas avoir à regarder le passé en face et mettre en cause l’idéologie du mouvement breton. 

Cette idéologie n’a pas changé.

Bothorel peut déclarer en toute impunité que « La Bezen Perrot, bon,  y a rien, y a quelques personnes de la Bezen Perrot qui, eux, ont pris le costume nazi, ont été se battre sur le front de l’Est… » 

Quelques petites personnes du Bezen qui ont pris le costume comme ça pour aller se battre ailleurs, au loin, pas en Bretagne, pas pour torturer et assassiner des résistants bretons, non, pas du tout : en fait, bon, y a rien. 

On comprend que je les ai dérangés, ces militants. 

Ces quatre émissions ont faute de mieux le mérite de le montrer. 

Mais c’est France Culture, une chaîne nationale, qui diffuse cette propagande.

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LES OS DES ANCÊTRES

Le plus étonnant et le plus révélateur est la fin de la série : Kristel Le Pollotec, après être allée à Rostrenen m’interroger, s’est rendue à Saint-Nicolas-du-Pélem. Son arrivée au bourg est pleine d’émotion  : 

« Le village est entièrement vide. D’un côté une église de granit gris, de l’autre côté quelques maisons en granit gris également et au-dessus le ciel gris. […] Il fait presque froid quand nous nous pénétrons dans le cimetière qui borde l’église. » 

Hélas, au cimetière, pas trace de tombe de la famille Le Pollotec. 

« J’avais pourtant bien vérifié avant de partir, mes aïeux sont tous nés et morts à Bothoa, commune de Saint-Nicolas-du-Pélem. » 

Et voici l’illusion qui surgit : au sortir du cimetière, une sorte d’auge remplie d’os humains… Un ossuaire ! « Je suis tellement saisie par cette vision que, l’espace d’un instant, je me dis que ce sont eux mes ancêtres ». 

Le  monde comme si, ultime épisode en date. 

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Voici le lien vers le podcast. 

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Mes vœux

Dans Bretagne-Île-de-France.

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Bonne année !

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©françoisemorvan

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Au terme d’une année sombre (et qui s’est terminée pour moi par des protestations contre de nouveaux hommages à un nationaliste breton collaborateur des nazis, comme on a pu le voir), je me suis dit qu’il serait bon d’ouvrir l’année nouvelle par un partage qui serait aussi un hommage à des personnes qui, en Bretagne, mènent un travail indépendant : tout à l’opposé des institutions qui orchestrent à grand frais la défense du breton surunifié, de la culture néoceltique, du kit nationaliste et de l’histoire falsifiée, les bénévoles de l’association Melvan poursuivent depuis des années un travail exemplaire. 

Leur sujet : deux îles, Houat et Hoedic, au sud du Morbihan.

Leur méthode : s’intéresser à tout ce qui concerne leur sujet, approfondir les connaissances, les  mettre en relation, les élargir… 

La revue Melvan qui paraît tous les ans permet ainsi de découvrir la scille d’automne et la spiranthe, d’assister à l’échouage de la tortue-luth et à l’apparition du grillon-taupe voire au retour du hibou moyen-duc aux yeux orange, de suivre les aventures des pirates et autres écumeurs de mer, l’histoire des recteurs des îles, les relations avec le continent, de réfléchir aux projets pharaoniques d’implantations d’éoliennes en mer ou à l’aménagement du littoral, de comprendre les travaux des archéologues. Bref, botanique, zoologie, histoire, onomastique, ethnographie, littérature, rien n’est étranger à Melvan.

En 2011, l’association avait édité un CD de cantiques enregistrés dans les deux îles. Or, cette année, elle les a mis en ligne, véritable présent offert à tous. Le latin, le français et le breton se font écho et se répondent – belle occasion d’entendre le breton vannetais et de découvrir des chants à présent oubliés, ainsi « Notre-Dame de la Garde », l’un de ces cantiques écrits par Louis Grignion de Montfort au XVIIe siècle. Les paroles chantées à pleine voix par des marins qui affrontent jour après jour la mer prennent une grandeur sombre qui rejoint celle du « Libera ». Aucune revendication identitaire, aucune fierté d’être ce qu’on est mais un ensemble, un chœur où chacun occupe sa place. 

Je vous invite donc à partager ce cadeau de Nouvel An et je vous souhaite une bonne et heureuse année…

Un dimanche à l’île de Houat

La messe royale de Dumont à Hoedic

Les cantiques latins d’Hoedic

Les cantiques bretons d’Hoedic

Les cantiques français d’Hoedic

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Vigile de décembre : nouvelle édition

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Juste pour Noël, la nouvelle édition de Vigile de décembre, le dernier volume de Sur champ de sableest parue. C’est le volume essentiel des quatre livres puisqu’il rassemble les thèmes des autres. 

Qui aurait cru, lorsque nous avons créé les éditions Mesures pour publier ces quatre livres sans les séparer, que nous aurions à procéder à un troisième tirage ? 

Et nous venons de remettre à l’imprimeur les cinq livres de la cinquième saison

C’est le moment où jamais de souhaiter un joyeux Noël à tous ! 

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Réhabilitation d’un nazi : l’abbé Perrot (suite)

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Comme suite à l’article que j’ai publié ici le 4 décembre pour alerter sur la nouvelle entreprise de réhabilitation d’un militant nationaliste breton collaborateur des nazis, l’abbé Perrot, je reçois d’une lectrice indignée un article du journal Ouest-France.

Je donne cet article tel que je l’ai reçu, découpé aux ciseaux et un peu froissé, car je l’ai cherché en vain sur le site des éditions Ouest-France : il semble avoir disparu. Son auteur, le directeur de la rédaction du Finistère, aurait-il eu honte ? Le supposer est encore faire preuve d’un optimisme qui cependant ne semble guère de mise en pareil domaine. 

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Cet article s’inscrit dans un contexte particulier : l’opération de propagande organisée par les nationalistes d’extrême droite pour promouvoir la dernière production du militant indépendantiste Yves Mervin, une apologie de l’abbé Perrot. On en trouvera le programme sur le site de la Fondation Fouéré

Ce qui le rend intéressant est le fait qu’il nous amène à détourner le regard de son sujet apparent, l’abbé Perrot, un collabo parmi tant d’autres, un nationaliste parmi tant d’autres, un curé qui ne mériterait que l’oubli car il a trahi la Bretagne qu’il entendait défendre. 

Mais c’est précisément cet oubli qui est refusé, et précisément refusé pour légitimer cette trahison au nom d’une Bretagne éternellement victime de la France. 

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AMALGAMES

Le directeur de la rédaction d’Ouest-France ne connaissait manifestement rien à la question quand il a eu vent des protestations contre la conférence organisée à Quimper . Sa seule source d’information semble être un livre publié par le journaliste Thierry Guidet en 1986 à la Coop Breizh, maison d’édition nationaliste, un livre au titre racoleur : Qui a tué l’abbé Perrot ? 

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Avant de rendre compte de cette conférence, dans un article en date du 8 décembre, passant sous silence le fait que cette conférence avait fait l’objet de protestations de plusieurs associations, et surtout passant sous silence les motifs de ces protestations, il s’en était pris à la volonté de censure de la Libre Pensée : à l’en croire, le pauvre abbé avait été injustement suspecté d’autonomisme, puis de séparatisme et de collaboration car il recevait dans son presbytère des militants nationalistes.

 On croit rêver… 

Et pourtant telle est bien la thèse qu’il défend au mépris de toutes les recherches qui ont pu avoir lieu depuis trente ans : l’abbé Perrot, ce militant nationaliste de la première heure, l’âme damnée de Célestin Lainé, Mordrel et alii depuis les années 20, aurait par hasard, du fait qu’il s’intéressait au breton, croisé la route de quelques nationalistes

Je n’invente rien. La formulation est la suivante :

L’amalgame était, en effet, on ne peut plus facile, l’abbé étant amalgamé depuis les origines avec les plus fanatiques séparatistes, y compris les terroristes de gwenn-ha-du qu’il avait soutenu lors de leur procès… S’il les recevait dans son presbytère, c’est qu’il collaborait comme eux avec les nazis et ce n’est pas pour rien que son « fils spirituel », Célestin Lainé, a donné son nom au Bezen Perrot. Ses responsabilités sont d’ailleurs établies par des historiens que l’on ne peut accuser d’être hostiles aux autonomistes bretons, ainsi S. Carney. 

Mais rien de cela ne compte aux yeux du journaliste chargé de relayer la propagande des héritiers de l’abbé Perrot. 

PROPAGANDE

L’article du directeur de la rédaction du Finistère qui a tant indigné ma lectrice s’inscrit dans une campagne bien orchestrée – campagne qui se prolonge  le 14 décembre par un article de la revue Bretons, revue militante acquise à la cause du lobby patronal breton.

La journaliste s’appuie, quant à elle, sur les dires de l’historien autonomiste K. Hamon qui, naguère établissait le rôle de délateur de Perrot et à présent le nie. Ne va-t-il pas jusqu’à présenter le bon abbé comme une « figure respectée pour son engagement pour la langue bretonne », une figure « œcuménique », quoique, bien sûr, « foncièrement antisémite » mais qui ne l’était pas à l’époque ?…

Une « figure respectée » ! Mais respectée par qui ? 

« Œcuménique », alors que sa hiérarchie elle-même avait dû sévir contre lui à plusieurs reprises sans parvenir à le rendre moins fanatique ? Le responsable de l’exécution de l’abbé Perrot, c’est bien son évêque qui avait espéré le calmer en le nommant dans une paroisse rouge, Scrignac. Loin de se calmer, l’abbé ne fit que multiplier les provocations. Qui séme le vent…  

Enfin, « respecté pour en engagement pour la langue bretonne » ? Pauvre langue bretonne soumise aux délires racistes de ces fanatiques !   

L’article d’Ouest-France et l’article de Bretons (revue liée à Ouest-France et membre de Produit en Bretagne, émanation de l’Institut de Locarn) sont complémentaires : ils accréditent la version des autonomistes comme version officielle. 

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UN PASSÉ BIEN EMPÊCHÉ DE PASSER

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’article qui a tant indigné ma lectrice. 

Intitulé « Mort de l’abbé Perrot : un passé qui ne passe pas », il fait l’apologie de la conférence-débat (quoique sans débat) tenue malgré ces empêcheurs de conférer en rond qui « vandalisent, dynamitent » au seul nom de Perrot et interdisent qu’on le prononce. » 

Quand les associations protestataires ont-elles vandalisé ou dynamité quoi que ce soit ? Il semble plutôt que le monument aux morts de Scrignac ait été dynamité par un membre du FLB, Michel Chauvin,associé à cet hommage à Perrot. La conclusion de l’article est nette : « Tout le monde s’accorde à dire que l’abbé était un homme bon. Sans doute. Il ne fut en tout cas pas ce nazi ou ce collaborateur que certains décrivent. Même si son anticommunisme primaire l’a amené à commettre des erreurs politiques. ».  

L’anticommunisme a bon dos. 

Il sert à effacer d’un mot, en bloc, le séparatisme, la haine de la France, l’antisémitisme, le soutien apporté aux pires nationalistes bretons collaborateurs des nazis, y compris ceux qui allaient s’enrôler sous uniforme SS – autrement dit tout ce qui a été à l’origine de l’exécution de l’abbé Perrot par la Résistance. 

Les nationalistes d’extrême droite qui sont à l’origine de ces diverses interventions à la gloire de l’abbé Perrot peuvent se réjouir : la propagande journalistique qui les soutient leur permet de diffuser leur idéologie, héritage de Perrot. 

Cette propagande laisse oublier l’essentiel, à savoir que si ce passé ne passe pas, c’est uniquement parce que les militants nationalistes bretons qui sont les héritiers de l’abbé y trouvent leur intérêt.

Sans eux, qui parlerait de ce prêtre fanatique auteur de pièces de patronage et de vies de saints totalement ineptes ? Il n’a pas peu contribué au discrédit dans lequel la langue bretonne est tombée au lendemain de la Libération : langue de collabos haïssant le breton parlé par le peuple… Comment n’est-il pas considéré par une brebis galeuse par ces chrétiens qui prônent une religion d’amour ? Les Feiz ha Breiz et autres Bleun Brug fétichisant le kit nationaliste n’ont pas peu discrédité le catholicisme dont les Bretons se sont si rapidement détachés.  

Le seul passage intéressant du livre d’Y. Mervin est celui qui rappelle la stupeur de Daniel Trellu, le chef de la Résistance FTP du Finistère, sidéré par le battage organisé autour de ce curé. C’était en 1986, à la suite de la pièce de G. Kervella sur Perrot. Replacée dans le contexte de la Résistance, l’exécution de collaborateur des nazis était, a-t-il alors rappelé, une exécution parmi tant d’autres, un acte de guerre, « sans commune mesure » avec l’importance que la campagne de presse en cours entendait lui donner. 

L’événément était, de fait, cette campagne de presse. 

Cet ancien résistant désignait ce qui semblait alors incongru, indécent, voire vaguement ridicule, à savoir cette montée en force des nationalistes par la propagande qui légitimait toutes ces vieilles lunes que l’on coyait à jamais éteintes. 

La prise de pouvoir des héritiers de Perrot sur l’opinion signifiait l’écrasement progressif de l’esprit de la Résistance, chacun pouvait alors s’en douter, mais cette prise de pouvoir paraissait invraisemblable.

C’était une erreur : à présent que les témoins directs sont morts, les nationalistes triomphent – l’abbé Perrot, personnage aussi nocif que son affidé Herry Caouisssin, membre du redoutable Kommando de Landerneau, fait figure de martyr, de héros de la nation, voire de saint promis à canonisation. Ainsi peut-il continuer de nuire.

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Réhabilitation d’un nazi : l’abbé Perrot

L’image que vous ne verrez pas dans le livre d’Y. Mervin : l’apologie de Mgr Tiso qui, en 1943, est présenté comme un héros par l’abbé Perrot. Il fait mieux que Hitler en Slovaquie…

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La réhabilitation des nationalistes bretons collaborateurs des nazis bat son plein. Après Roparz Hemon, Youenn Drezen, Polig Monjarret et tant d’autres, voici que l’IDBE (autrement dit la Fondation Fouéré qui se trouve à Guingamp) organise un hommage à l’abbé Jean-Marie Perrot qui fut exécuté le 12 décembre 1943 par la Résistance et donna son nom au Bezen Perrot, rassemblant des nationalistes bretons enrôlés sous uniforme SS pour combattre la France et le venger. 

Comment Yann Fouéré qui fut un agent de la Gestapo peut-il avoir une fondation chargée de diffuser son idéologie en toute impunité ? 

Comment cette nouvelle opération publicitaire destinée à faire la promotion du dernier livre de l’indépendantiste breton Yves Mervin peut-elle se dérouler au nom du « devoir de mémoire » sans susciter l’indignation ? Les productions d’Yves Mervin, autoéditées (mais diffusées par la Coop Breizh), entendent démontrer que la Résistance a fait plus de tort aux Bretons que les nazis. Son dernier livre est intitulé Jean-Marie Perrot, un crime communiste. 

Son premier livre, Arthur et David, avait pour but de nier et banaliser l’antisémitisme du mouvement breton, en dépit des textes accablants qui ont été largement diffusés sous l’Occupation (et parfois réédités depuis par des éditeurs nationalistes comme ce fut le cas pour les textes racistes et antisémites de Youenn Drezen). Il m’a fallu perdre un temps considérable à traduire ces textes ignobles qu’aucun militant breton de l’UDB ou autre parti nationaliste dit de gauche n’aurait eu à cœur de traduire et dénoncer. Au contraire, le secret était bien gardé – on lave son linge sale en famille, l’important étant précisément la famille, la famille nationaliste, la familia qui n’exclut que l’étranger – autrement dit, en l’occurrence, le Breton ordinaire, soucieux de connaître une histoire qui ne soit pas falsifiée.

À présent, ce même Mervin mène campagne pour réhabiliter l’abbé Jean-Marie, dit Yann-Vari, Perrot, un autre militant nationaliste, un curé de choc, fanatique au point d’avoir été mis en pénitence par son évêque à Scrignac, paroisse rouge, dans le but de calmer un peu ses ardeurs séparatistes. 

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L’ABBÉ PERROT AU SERVICE DU REICH 

Loin de se calmer, l’abbé s’empressa de cacher dans le jardin de son presbytère les armes du « débarquement de Locquirec », autrement dit les armes livrées secrètement par les services secrets nazis aux nationalistes bretons investis de la mission de combattre sur place en faveur du Reich. 

Complice de Célestin Lainé, d’Olivier Mordrel et de son cousin Bricler, qu’il recevait dans son presbytère, considéré par les habitants de Scrignac comme un « nid de vipères », l’abbé fut accusé d’avoir remis à Bricler le nom de résistants de Scrignac. Bricler, affairiste délateur, fut exécuté par la Résistance. L’abbé Perrot le fut aussi. Alors que l’essence était rationnée et les déplacements surveillés, l’abbé disposait d’une grosse Peugeot noire et d’un ausweis, ce qui lui permettait de surveiller les alentours et, entre autres, de participer au Comité consultatif de Bretagne mis en place par Fouéré et d’autres nationalistes. 

En 1943, la revue de l’abbé Perrot, Feiz ha Breiz (Foi et Bretagne), publie des articles très violents intitulés (en breton) « La main de Moscou », « Le charnier de Katyn » et « Un pays dirigé par un prêtre » (ce dernier célébrant Mgr Tiso, le chef de l’état slovaque qui allait plus loin que les nazis dans la politique d’extermination des juifs). Perrot avait d’ailleurs publié dès 1940 un article violemment antisémite encourageant la politique raciale du Reich : à l’en croire, grâce à Dieu, le duc Jean le Roux avait chassé les juifs de Bretagne, ce qui avait délivré le pays de ce fléau. 

Ces articles, en plus des provocations constantes, des sermons menaçants et des risques que l’abbé faisait courir à la Résistance expliquent son exécution. 

Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne fut pas pleuré par ses ouailles. En témoigne un entretien filmé avec les habitants de Scrignac lorsque, en 1985, la (très mauvaise) pièce de théâtre Yann Vari Perrot, la mort d’un prêtre, mise en scène par le (très consternant) Goulc’han Kervella (depuis décoré du collier de l’hermine par les nationalistes de l’ICB) fit polémique. On pourra apprécier le breton parlé par les habitants du bourg que Perrot entendait soumettre au règne du zh en même temps qu’à celui du Reich. 

Pour venger l’abbé, il n’y eut pas seulement le Bezen Perrot mais le Kommando de Landerneau qui fut créé dans le but de combattre la Résistance (il comptait entre autres les frères Caouissin, Édouard Leclerc, le futur épicier, et divers tortionnaires). Les membres de ces deux formations n’ont généralement pas tardé après la Libération à reprendre le « combat breton » en se faisant passer pour des martyrs. 

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FEIZ HA BREIZ ATAO ! 

La conférence organisée par la Fondation Fouéré au nom de Mignoned Feiz ha Breiz (Les amis de Feiz ha Breiz, la revue fondée par l’abbé Perrot), le diocèse de Quimper et l’association Ar Gedour doit se tenir dans la chapelle Saint-Laurent à Quimper. Elle sera suivie d’une cérémonie avec messe et hommage public au lieu-dit La Croix rouge de Scrignac et fera l’objet d’un colloque à l’abbaye de Landévennec. 

L’association Ar Gedour a été fondée par Efflamm Caouissin. Catholicisme intégriste et nationalisme breton : Youenn Caouissin, le fils de Herry Caouisssin, membre du Kommando de Landerneau,  a publié aux éditions Via Romana une apologie de l’abbé Perrot. Il collabore à la revue nationaliste d’extrême droite War Raokfondée par le terroriste et fondateur d’Adsav Patrick (alias Padrig) Montauzier, partisan d’une indépendance de la Bretagne sur base ethnique. 

Il est à noter que depuis de longues années, Scrignac, ancienne paroisse rouge, est devenue un haut lieu de la fachosphère qui s’y assemble pour commémorer son martyr, le bon abbé qui n’aimait ni les juifs ni les Français. 

Le maire (de gauche ?) semble trouver ça très bien et le curé aussi : le curé retraité Peter Breton participe à l’hommage en tant que « modérateur » (ne rions pas) avec la bénédiction du diocèse et la messe sera célébrée à Scrignac par le père Davy, ex-cuisinier, ex-instituteur Diwan et ex-patron du bar le Klud-Noz de Morlaix (où, d’après ses dires, « la dominante bretonne était très présente »). Le passage du bar de type associatif dans la mouvance gauchisante à la célébration de la messe en l’honneur d’un nazi donne à mesurer les fabuleux glissements dont le mouvement breton est spécialiste. 

Quant à l’ANACR et autres associations de défense de la mémoire de la Résistance, leur silence à ce jour est assourdissant. Les communistes, pourtant désignés à la vindicte publique, se taisent. Cette étrange soumission s’accorde avec l’égale docilité de l’église catholique, apparemment prête à défendre une idéologie pourtant peu compatible avec l’amour du prochain qu’elle entend prêcher.

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La cinquième saison des éditions Mesures 

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Qui l’eût cru ? Oui, les éditions Mesures entament leur cinquième saison, grâce au soutien des lecteurs, des abonnés, des libraires qui forment comme un chœur amical. En cinq ans, nous avons réussi à publier des livres impubliables ailleurs, et qui poursuivent tous leur petit bonhomme de chemin : les quatre volumes de Sur champ de sable, les œuvres inédites en russe comme en français de Kari Unksova, les Sonnets de Shakespeare dans la première traduction française qui respecte leur forme, La Folie Tristan traduite selon la même méthode, les contes de Luzel malgré la censure si lourde en Bretagne, et L’Oiseau-loup et Les Juifs, pièce oubliée d’un auteur inconnu… 

Bref, nous poursuivons notre aventure cette année avec, pour moi, L’Amour des trois oranges, un livre auquel je tiens beaucoup puisqu’il met fin à trente ans de recherches sur le conte, et une traduction des « poèmes de l’infortune » de Rutebeuf (un livre illustré par les Chats pelés qui avaient déjà illustré Les Douze d’Alexandre Blok, et ce rapprochement n’est pas fortuit). Je trouve merveilleux que cs deux livres fassent écho au Roi Famine, aux nouvelles de Zamiatine et aux Élégies du nord d’Anna Akmatova dans la traduction d’André : ce sont comme des ponts jetés d’un bord du temps à l’autre, d’autant plus précieux qu’ils semblent rapprocher des rives plus lointaines. 

Publié dans André Markowicz, Chats Pelés, Éditions Mesures, Librairie, Poésie, Théâtre, Traduction | Laisser un commentaire