Rencontre à la librairie Le marque page

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Ce soir à 18 heures, nous présentons la quatrième saison des éditions Mesures à la librairie Le marque page à Quintin (magnifique librairie, comme on peut le voir – l’une des plus belles de France, et tenue par des libraires passionnés, ouverts et chaleureux).

Nous ne parlerons pas que des éditions Mesures… 

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Littérature et politique

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Très humbles, très soumis, très obéissants… et surtout très voraces (Daumier).

Touchée par l’article de Nina Yargekov, j’avais mis en relation cette rencontre de la poésie et de la politique avec l’instrumentalisation de la littérature par la politique telle qu’elle se trouve officialisée en Bretagne : le salon du livre de Carhaix fondé par des terroristes du FLB reconvertis dans l’édition est une plateforme des nationalistes rassemblant des éditeurs exclusivement bretons afin de faire avancer la cause sous l’apparence bénigne de l’amour des lettres. 

Il se trouve que, cette année, pour la première fois, cette affaire bien rôdée a provoqué quelques remous – pas une protestation contre la soumission de la littérature à la propagande (ce qui aurait dû être le premier devoir des instances en charge du livre en Bretagne) mais un rappel à l’ordre dû à l’instrumentalisation des élus eux-mêmes…

Le maire de Carhaix, l’autonomiste Christian Troadec, a, comme il fallait s’y attendre, ouvert le salon du livre par un discours. Cette année, la « nation » invitée étant la Catalogne, il était à prévoir que le discours serait particulièrement virulent. Il l’a été. 

Pour le clore, le maire de Carhaix, également conseiller régional en charge des langues de Bretagne et des Bretons du monde, a (non sans quelque difficulté) déployé une affiche et appelé les Bretons à la diffuser partout ainsi que des tracts destinés à être distribués dans toute la Bretagne. Ouest-France ayant mis en ligne une vidéo destinée à faire connaître cette opération, il est possible de juger de sa teneur.

Rassemblement pour une Bretagne Autonome (avec majuscule à l’adjectif), tel était le titre de l’affiche qui annonçait que ce rassemblement se tiendrait le 19 novembre à Carhaix. Suivait une liste d’une vingtaine d’élus et de militants nationalistes qui y assisteraient sous l’égide de Loïg Chesnay-Girard, président du conseil régional, de Jean-Guy Talamoni, indépendantiste corse, et de Lluis Puig, indépendantiste catalan. 

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Nul besoin d’avoir longtemps barboté dans le marigot nationaliste pour comprendre que l’autonomie revendiquée n’était que la résurgence de la vieille plaisanterie de Breiz Atao telle qu’énoncée par Olier Mordrel en son temps : l’autonomisme comme masque de l’indépendance due à la nation bretonne. 

Encore une fois, rien là que de banal : les auteurs, les éditeurs ainsi engagés dans ce combat se sont tus, tous complices comme de coutume car une occasion de se vendre ne se refuse jamais. 

Mais, ô surprise, c’est que ni Chesnay-Girard, ni la communiste Delphine Alexandre, ni l’écologiste Claire Desmares, ni, pour la très droitière Isabelle Le Callennec, ni les autonomistes Cueff et Molac figurant sur la liste n’avaient été avertis qu’ils participaient au Rassemblement. N’ont-ils pas voté le vœu pour l’autonomie de la Bretagne qui figure en arrière-fond de l’affiche ? Ils étaient complices, pourquoi ne le seraient-ils plus ? Face à ce lâchage, C. Troadec évoque une petite « erreur de communication». 

Les défenseurs du gallo protestent aussi, rappelant que le vice-président du conseil régional est en charge des « langues de Bretagne » mais a choisi de tenir son Rassemblement juste au même moment que le rassemblement pour la défense du gallo (mais, bon, le gallo, dans le panorama des nations celtes vouées à se libérer…). 

Et c’est dans cette foire aux livres que ce pauvre Armand Robin, l’ennemi de tous les nationalismes, le partisan de l’universalisme, se trouve embringué. 

« La vérité, quoi qu’il puisse en coûter – la littérature n’a jamais eu d’autre objet », telle est la conclusion de l’article de Nina Yargekov. Alors, disons-la : le dévoiement de la littérature par les nationalistes n’est dû qu’à la lâcheté des élus, des auteurs, des éditeurs et des universitaires qui le cautionnent. 

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Brumaire

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Étrange destin d’un poème extrait du recueil Brumaire (que plusieurs lecteurs me disent relire en cette période de Toussaint) : l’ayant trouvé sur Facebook, Nina Yargekov a écrit un texte qui m’est d’abord parvenu via Radio France… 

 Cette rencontre de la poésie et de la politique mérite d’être soulignée au moment où se tient à Carhaix le salon du livre sponsorisé par la municipalité où règne l’autonomiste Christian Troadec – avec, cette année, pour accompagner les nationalistes catalans mis à l’honneur, la promotion du nazi Youenn Drezen ainsi associé au malheureux Armand Robin  une fois de plus victime du complice de ma plagiaire et promoteur du mythe du Poète que j’ai dénoncé dans la synthèse de mes recherches parue cette année (et objet d’une totale censure en Bretagne)… L’anarchie et le nazisme associés sous couvert de promotion des ethnies à libérer, Catalans et Basques venant unir leur voix à celle des Bretons opprimés, tandis que le maire célèbre l’union des « nations sans état » dont la Catalogne offre le modèle. 

Le prix Roparz Hemon n’est plus décerné suite aux protestations publiques mais le prix Xavier de Langlais continue de l’être : militant séparatiste de la première heure, collaborateur de la presse nazie raciste et antisémite jamais repenti, Langlais était-il moins responsable que Roparz Hemon ? Tout ça se mélange avec les prix décernés aux uns et aux autres comme aux comices et, cette année, la création d’un prix d’histoire décerné par les membres du sérail (dont le journal Le Poher créé par Troadec), le tout avec l’appui d’une sorte de ministère de l’Identité baptisé « Bretagne Culture Diversité » pour mieux anéantir toute diversité. 

Le ridicule de l’entre-soi mis au service d’un militantisme auquel chacun se soumet, pratiquant sans honte l’art de feindre : les éditeurs « français » étant interdits depuis l’origine, pourquoi des maisons théoriquement neutres quoique « bretonnes » viennent-elles cautionner cette opération de propagande destinée à promouvoir les pires éditeurs nationalistes ? Nulle voix pour protester contre ce festival créé, comme je le rappelais jadis dans Le Monde comme si, à l’initiative de terroristes du FLB – dont Charlie Grall, le seul à avoir en son temps refusé de condamner l’attentat meurtrier de Quévert et qui, cette année se livre à une virulente apologie des indépendantistes catalans réfugiés en Belgique. La littérature mise au service de la politique, et de la pire politique… « Le nationalisme, c’est la guerre » : la guerre et le mensonge, imposé par le biais de ce qu’Armand Robin appelait « la fausse parole ». 

Y a-t-il si loin, malgré les apparences, de l’horreur de la Hongrie à la Bretagne telle que son visage se dessine sous le règne chafouin de la censure et de la propagande ? J’ai lu le texte de Nina Yargekov comme une réponse. Le voici in extenso. Je la remercie de me l’avoir adressé. 

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LA RUSSIE, L’UKRAINE ET LE MIROIR DE MA SALLE DE BAINS

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« Mais jouir de ne plus savoir feindre. »  (Françoise Morvan, Orée

Je mets les pieds dans le plat : ici en Hongrie, d’où je vous écris cette longue carte postale, me regarder dans un miroir est devenu affreusement compliqué. En effet, constater chaque jour que le gouvernement de ce pays non seulement n’en a ouvertement rien à foutre de l’Ukraine, mais en prime se comporte exactement comme l’allié secret de Poutine, voire l’allié pas si secret que ça, et juste après l’avoir constaté, lancer nonchalamment une lessive, sortir ma chienne ou régler ma facture internet, cela me donne quand même légèrement la sensation de collaborer par le silence, par l’absence de protestation permanente, étant précisé que la protestation permanente par définition est impossible, car oui, il faut laver son linge, promener son animal ou payer ses factures ; quoi que je fasse ou ne fasse pas, que je crie parfois souvent ou jamais, ma seule présence sur le territoire implique de participer. Je respire le même air, je foule le même asphalte, je me nettoie avec la même eau que les autres ; je parle, j’interagis, je prends le métro, je vais chez le médecin, je paie des impôts et je mange des pommes avec des asticots hongrois dedans.  

La courtoisie rhétorique exigerait, j’en ai conscience, que je donne des exemples précis.  Que j’explicite pour quelle raison et sur quels fondements je m’autorise à affirmer : dans cette guerre, l’État hongrois, pourtant membre de l’OTAN et de l’Union européenne, cire consciencieusement les pompes du président russe. Que j’égrène les blocages, les refus, les critiques, les coups bas, et tout ce qui constitue l’expression d’une doctrine de discret sabotage, faisons chier autant que possible toutefois sauvons les apparences, des fois que le vent tourne. Que je raconte l’articulation entre politique extérieure et intérieure, les ficelles narratives de la communication gouvernementale et l’usage de la guerre comme épouvantail, mamans hongroises ne sanglotez plus, grâce à notre premier ministre vos fils ne verseront pas une goutte de sang pour l’Ukraine. Que je mentionne au moins, parce que c’était tellement clair, tellement ah d’accord si on avait encore une sorte d’espoir naïf alors vraiment on se réveille et arrête immédiatement d’accorder le bénéfice du doute, que le 3 avril dernier, dans son discours de victoire électorale, le chef de l’exécutif magyar a énuméré les adversaires dont il avait eu à triompher pour l’emporter : « la gauche hongroise, la gauche internationale, les bureaucrates de Bruxelles, l’argent et les organismes de l’empire Soros, la presse internationale grand public, et à la fin, même le président ukrainien » ; que sa langue n’ait pas aussitôt moisi dans sa bouche constitue la preuve ultime qu’aucune justice divine n’existe, il va donc falloir se démerder avec la justice humaine, mes agneaux. 

J’ai écrit beaucoup sur ces questions. Pour chaque épisode marquant, pour chaque jour où j’ai eu envie de hurler, j’ai des notes, des lettres, des morceaux de journal. Avec des brassées d’insultes et de malédictions, parce qu’il y a un moment, ça suffit la politesse. En vérité, bien sûr qu’aux membres de ce gouvernement et à leurs amis, je leur souhaite un procès équitable et la prison, ainsi que de lourdes peines d’amende, mais parfois j’ai juste besoin de formuler le vœu qu’ils aillent de toute urgence s’asphyxier dans une bassine emplie de cafards, mes excuses aux cafards. Bref. Après de longs errements, oui j’ai une méthodologie moyennement optimale, je produis 45 pages de brouillon pour finir par comprendre que je suis totalement hors sujet, j’ai réalisé que l’objet du présent texte n’était pas de brosser le tableau de la « politique ukrainienne » de la Hongrie. D’autres s’en chargent, les informations sont accessibles. Non, l’objet, je crois, c’est dire quelque chose de la traversée nerveuse, de l’épreuve psychique et du déchirement d’assister au naufrage moral du pays où j’habite. Je n’ignore pas qu’il s’agit là de problèmes de luxe, de problèmes de fille qui n’a à craindre ni les bombardements, ni les viols et les tortures. Cependant que faire d’autre, depuis ce pays en paix, mais où se trouve quand même, au-dessus de mon bureau, une liste intitulée « départ précipité » sur laquelle j’ai noté quoi emporter pour le cas où la guerre venait jusqu’à nous, si ce n’est énoncer la honte que je ressens ?    

J’aimais bien, voyez-vous, cette idée d’être une fille gentille. Je dois admettre que j’y étais même assez attachée. Cela flattait mon égo, je suppose. Je pensais : ma grande, sans doute que tu passes souvent pour totalement perchée, excessive, pénible, psychorigide ou obsédée par des problèmes dont tout le monde se fiche royalement, ainsi lorsque tu organises des jeux olympiques d’oléagineux dans ta tête et que tu annonces crânement que les amandes ont gagné le 100 mètres et les noix de cajou le sabre par équipe, c’est probablement un brin fatigant pour tes proches, mais une chose est sûre, on ne peut raisonnablement te soupçonner de torturer des bébés dauphins dans la baignoire secrète de ta cave. Et bien qu’il soit un brin ridicule de le formuler ainsi, il était important, oui, important pour moi de pouvoir considérer, à tort ou à raison, sachant que dans mon esprit c’était évidemment à raison, sinon il m’aurait été impossible de le considérer dans la mesure où je tâche d’être un minimum de bonne foi dans mes conversations avec moi-même ; et donc, oui, il me tenait à cœur de pouvoir considérer que dans l’ensemble, je suis plutôt une bonne personne. Bienveillante, respectueuse, tout ça. Du coup, cela me contraire beaucoup, non pardon, ça défonce littéralement l’architecture morale de mon psychisme que de me retrouver, pour le dire vite, dans le camp des agresseurs. Du côté de la honte, dans ce lieu poisseux où la boue me recouvre, où les larmes me montent aux yeux, où je ne cesse de me répéter que plus tard, écœurés et perplexes, des écoliers se demanderont : comment ont-ils pu ?

Désormais, nous sommes le mal. Et moi, j’ai la sensation d’habiter dans la cellule de prison partagée par Gargamel, le Joker et Charles Manson. Vision manichéenne, simpliste, idiote – tout ce que vous voudrez. Le réel se caractérise par son extrême complexité, m’opposerez-vous. Vous prêchez une convaincue. Toutefois. Face aux rues de Boutcha, face à l’hôpital de Marioupol, face au centre commercial de Krementchouk, permettez-moi d’être manichéenne. Permettez-moi d’en avoir rien à foutre de la complexité du réel. Permettez-moi de déclarer qu’aujourd’hui, pour un pays européen, et j’insiste, je ne parle pas de la Thaïlande, du Mexique ou de l’Afrique du Sud, qui ont bien le droit de se désintéresser de l’Ukraine, mais pas nous, pas en Europe, il n’existe que deux options : contre Poutine ou avec Poutine. Or la Hongrie, d’une manière qui en d’autres circonstances aurait pu passer pour comique, on se croirait dans un inédit de Goldoni ou de Molière, a choisi de devenir le servile larbin du maître du Kremlin. Son empressé et mielleux courtisan. Cher Vladimir, vous reprendrez bien un zeste de blocage de sanctions ? À moins que vous ne préfériez une petite sortie de route anti-Ukraine ? Mais nous avons aussi, plus classique, notre célèbre numéro de colombe de la paix, vous verrez à force ils comprendront qu’une victoire russe, pourvu qu’elle mette fin aux combats, constitue la solution idéale pour sortir de cette ennuyeuse crise géopolitique. Ma chienne, je vous le jure, quand elle réalise que j’ai une friandise cachée dans la poche, se comporte avec mille fois plus de classe que ce gouvernement. Parce que ma chienne, elle n’est pas prête à tout pour une friandise. Après, il ne faut pas non plus espérer qu’elle aille se battre en Ukraine, surtout qu’elle est rikiki et ressemble à un lapin, mais je veux dire : dans sa hiérarchie des priorités, il existe des choses plus importantes qu’une friandise. Son instinct, sa fidélité à sa nature profonde primeront toujours sur la friandise. La fidélité, voilà exactement ce qu’il manque à la Hongrie actuellement. 

Du moins à la Hongrie que je croyais connaître. Soit un pays où malgré les dérives actuelles, il resterait quelque chose de l’esprit de l’insurrection de 1956. De l’aspiration à l’auto-détermination, à l’indépendance, au libre choix de se tourner vers l’Ouest. Cette Hongrie-là, qui peut-être n’existe que dans mon imagination et celle de quelques hipsters de Budapest, avait pour obligation morale de se montrer solidaire de l’Ukraine. Pas parce que c’est la Russie qui agresse et que les chars dans les rues de Budapest étaient soviétiques. Pas non plus parce que nous aurions des affinités particulières avec les Ukrainiens : savoir si votre voisine a oui ou non bien arrosé vos géraniums en votre absence n’est pas un critère quand elle se fait massacrer sous vos yeux. C’était notre obligation morale, au-delà du principe général qui commande qu’on évite si possible de se lier d’amitié avec un dictateur belliqueux, parce qu’à l’instar d’autres pays de l’ancien bloc communiste, nous savons précisément combien ça fait mal, de se faire écrabouiller par une grande puissance. Mais non. La Hongrie s’en lave les mains, ceci n’est pas notre guerre, ceci n’est pas notre sang, ne comptez pas sur nous pour avoir froid l’hiver prochain ; et puis ces Ukrainiens, s’ils voulaient vraiment la paix, ils renonceraient à des bouts de leur territoire et ce serait plié, donc camembert. Si vous saviez ce que ça brise dans le cœur, une telle trahison : envers l’Europe, envers nous-mêmes. 

Autrefois, l’émigration me paraissait constituer la solution des lâches. Je me scandalisais de l’exil d’André Breton pendant la Seconde guerre mondiale et brandissais Paul Éluard, lui au moins est resté, lui au moins a résisté. Je préfère toujours Éluard, autrement plus puissant, autrement plus vibrant sur le plan littéraire, cependant mépriser Breton, je ne le peux plus. D’ailleurs, Breton, pourquoi est-il parti, craignait-il pour son intégrité physique ou refusait-il par principe de respirer l’air fétide de Vichy, je n’en sais trop rien. Peu importe. Ce qui importe, c’est que se barrer pour cause de nausée politique, dorénavant je saisis plutôt bien le concept. Parce que je sais. Je fais cette expérience. Chaque jour inspirer, expirer l’oxygène corrompu. Insomnies, phalanges qui blanchissent, lente intoxication. Les nouvelles, la propagande. On n’échappe pas au pourrissement intérieur. À tel point que ce printemps, l’idée de me rendre en Pologne m’obsédait absolument. Je m’imaginais marcher dans les rues de Varsovie, joyeuse et soulagée, comme on rêve de séjourner au sanatorium. L’air polonais pour soigner mes poumons : si pur, si propre, si irréprochable. Depuis le début de la guerre, je crève d’envie de Pologne, eux soutiennent indéfectiblement l’Ukraine tandis que nous nous vautrons dans l’indignité. Qu’un pays où l’avortement est quasi interdit et où il existe des zones « anti-LGBT » ait acquis à mes yeux le statut d’Eldorado moral en dit long, me semble-t-il, sur le délabrement de mon système de valeurs. 

Sauf que partir, en Pologne ou ailleurs, je ne le souhaite pas. Ce n’est pas uniquement la splendeur du Danube, ma flemme de déménager ou le fait que Budapest demeure un bastion de l’opposition où le climat est doux, libéral, cosmopolite. Ce n’est pas non plus, même si cela y contribue, uniquement parce que possédant un passeport français en plus du hongrois, je sais qu’en cas de besoin, il me sera possible de plier bagage en deux temps trois mouvements, luxe qui rend plus facile le choix de rester. Cela procède plutôt d’une sorte de fierté. Partir reviendrait à admettre que ce gouvernement a le pouvoir de me faire déménager. Surtout, je sais que ma honte, je l’emporterais avec moi. Je préfère l’affronter en face-à-face. En découdre frontalement, pas depuis une planque à l’étranger. Et puis, comment le formuler, une part de moi m’enjoint de rester, de tenir, de continuer, ici et pas ailleurs car c’est ici que ça se passe, ici que ça se joue, ici qu’éclate et fleurit le déshonneur de l’Europe ; une part de moi qui me susurre que j’ai quelque chose à traverser, ou comprendre, ou écrire dans ce pays, et que partir reviendrait à renoncer à cette mission.  

Puisque je reste, autant me rendre utile et organiser la révolution, me direz-vous. Alors oui, mais non. C’est-à-dire que la volonté de révolution me dévore toutefois je suis réaliste, je ne possède pas du tout le profil psychologique. Déjà parce que cela implique du collectif, une révolution, tandis que moi, ce que je préfère dans la vie, c’est passer du temps seule chez moi en pyjama. J’apprécie les gens, mais pas trop souvent. Sans compter l’énergie mentale. La situation présente, pas seulement l’Ukraine, mais aussi la politique intérieure, dévore nos forces vives. Je ne compte pas les amis qui déclarent, je ne dors plus à cause de la politique. Le pouvoir attaque par rafales, des réformes votées sans consultation aucune se suivent à un rythme effréné. Et les affaires, et l’indépendance de la justice, et les médias, et le massacre des forêts, et les météorologues. Chaque semaine, un nouveau chapitre de notre dystopie nationale ; émouvantes similitudes avec le roman fou que Poutine compose pour la Russie.  Se révolter pour tout est humainement impossible ; je demeure concentrée sur ma honte. 

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Alors, il faut vivre cette situation. Non pas s’en accommoder, mais trouver, ou du moins chercher, ne jamais cesser de chercher le chemin. Creuser sans relâche le sillon. Dans cette recherche, les textes qu’André Markowicz, poète et traducteur du russe, publie sur sa page Facebook, jouent un rôle essentiel. Tous les deux ou trois jours, un long billet sur la guerre. Si d’aventure il n’écrit pas sur la guerre, il écrit quand même sur la guerre, encore, toujours, obstinément. Je le lis avec passion, fièvre, toxicomanie. Ses textes me soutiennent ; je m’appuie dessus, parfois m’affale.  Car lui aussi, j’en ai la conviction, cherche le chemin. 

J’ignore si je suis bonne écrivaine, mais je me sais plutôt bonne lectrice. J’ai l’oreille. J’entends le juste, la musique, l’accent. Markowicz, son accent c’est la virgule, son usage de la virgule, cette sorte de souffle, presque un bégaiement, qui serpente, qui slalome, et qui vient paver une voie, construire une place. Lorsque dans ses textes consacrés à la guerre, il rapporte ou commente tel événement, ou discours, ou tournant, pour ma part j’entends, et je suis sûre, vraiment sûre de ne pas être la seule à venir pour ça, à lire sa page Facebook pour m’abreuver à ça, jamais explicitée et pourtant impérieusement présente, une question de vie ou de mort : la question de l’endroit où lui, Markowicz, se positionne dans cette guerre, et comment lui, et donc nous, ses lecteurs, pouvons y survivre psychiquement, pendant que d’autres risquent leur existence physique, réelle, matérielle. 

Au mois de juillet, Markowicz a publié un billet consacré à Orée de Françoise Morvan. À la fin de ce poème magnifique, on trouve ce vers totalement magnifique : Mais jouir de ne plus savoir feindre. J’ai passé une semaine à lire, chaque jour, ce poème. À pleurer en arrivant au dernier vers, sans savoir pourquoi. À me répéter, cela parle d’un renard floué et de fougères rousses et je n’y comprends rien et pourtant l’Ukraine. Je ne sais comment expliquer. Mais je suis persuadée, et tant pis si je me trompe, que Markowicz aussi pensait à la guerre, que le choix du poème, et le commentaire qu’il en donne, où il est question d’exigence de vérité, quoi qu’il puisse en coûter, constituent une manière de répondre à la guerre.   

Quelques jours plus tard, je marchais dans la rue avec ma chienne, qui ignore tout de la guerre – son monde n’est pas exempt de peur et de violence, cependant elle ne peut se représenter la guerre, et cette impossibilité, souvent, me fascine et me repose –, et soudain j’ai songé, Markowicz a tellement raison : la vérité, quoi qu’il puisse en coûter. Dans mon psychisme s’est dessiné un triangle, j’entendais Paul Célan dire Seules des vraies mains écrivent de vrais poèmes, j’entendais Paul Otchakovsky-Laurens dire La vérité est une forme, j’entendais Françoise Morvan dire Mais jouir de ne plus savoir feindre, tous les trois debout à chaque angle d’un triangle en laine écrue dans une clairière, je les voyais, je les admirais, et je marchais toujours dans la rue, et j’ai perçu une sensationnelle fusion entre le trottoir, les pattes de ma chienne, la laisse, ma main et mon cerveau, et j’ai été pendant une fraction de seconde persuadée d’avoir effleuré un secret jaillissant, un trésor, une clef, quelque chose de suprêmement important. Et flop, j’ai perdu le truc. 

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Hier matin, un avion de chasse est passé au-dessus de mon immeuble. Boucan infernal, chienne qui aboie, et moi pétrifiée le cœur battant dans mon salon : les Russes bombardent Budapest, les Russes bombardent Budapest. Puis je me suis souvenue : Poutine n’attaquerait pas son fidèle larbin. Un tiroir de mon esprit, un minuscule tiroir souterrain s’est doucement ouvert. À l’intérieur, j’ai découvert un douillet soulagement : après tout, la trahison a du bon, puisque notre premier ministre a su s’attirer les bonnes grâces du Kremlin, dans le nid national hongrois je me sens en sécurité. Certes, le reste de mon psychisme, la commode à laquelle appartenait le tiroir, ainsi que l’intégralité des autres meubles, oui dans ma tête ça ressemble à un grand appartement bordélique, ont été horrifiés. De plus, il se trouve qu’à mon niveau de géopoliticienne de comptoir, je considère au contraire que la Hongrie s’est extrêmement mal positionnée : jouer double jeu revient à s’asseoir sur le siège éjectable traditionnellement réservé aux traîtres et en cas de guerre mondiale, si les deux camps doivent s’accorder pour sacrifier un pays, la Hongrie sera toute désignée. Mais il n’empêche : je me suis surprise en flagrant délit de gratitude, chut c’est un secret mais au fond du fond, qu’on soit potes avec Poutine ne me déplaît pas absolument.

Est-ce que c’est ça, le chemin, la mission, la clef ? D’abord retranscrire fidèlement la honte, dire ça me rend malade d’avoir du sang ukrainien sur les mains, dire j’aurais préféré le froid plutôt que le déshonneur. Il s’agit de la partie moralement confortable, regardez comme je suis une gentille fille, regardez comme mon cœur est pur. Et ensuite, affronter le minuscule tiroir, plonger à l’intérieur, voir la crasse, les cendres, les morts, et avouer : moi aussi j’ai peur, moi aussi je suis lâche. Dire que malgré Boutcha, malgré Marioupol, malgré Krementchouk, je suis capable, putain, oui je suis capable de me réjouir que la Hongrie se soit blottie sous l’aile de Poutine. Cela pour éventuellement, un jour, réussir à me pardonner et à nous pardonner. Je ne sais pas, mais oui, peut-être que c’est ça, jouir de ne plus savoir feindre ? La vérité, quoi qu’il puisse en coûter – la littérature n’a jamais eu d’autre objet.  

Budapest, le 30 août 2022.

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La quatrième saison des éditions Mesures

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Voilà, depuis hier la quatrième saison des éditions Mesures est ouverte. Notre petite maison a vogué comme une arche sur les turbulences du monde et, malgré les confinements, la guerre en Ukraine, le doublement du prix du papier, l’augmentation des frais de port, la prolifération de nouveaux titres et les difficultés que connaît la librairie, nous avons pu la maintenir à flot. C’est comme un miracle et rien n’est plus précieux pour nous que cette liberté gagnée. 

Nous faisons les livres auxquels nous tenons comme nous le voulons et les lecteurs qui s’abonnent sont autant d’amis connus ou inconnus, les libraires qui achètent ces livres (et c’est un achat ferme car nous ne pouvons pas les laisser en dépôt vu qu’ils sont numérotés et signés) sont aussi autant d’amis qui ont fait le choix de les défendre. 

Je ne vais pas présenter ici les cinq livres de cette saison puisque cette présentation est lisible sur le site des éditions où l’on pourra trouver aussi le bulletin d’abonnement pour 2023. Nous avons tenu à ne pas augmenter son prix malgré les circonstances, nous avons juste pris le risque d’augmenter les tirages de certains livres. Il est aussi possible de choisir cinq livres « à la carte », d’en acheter un au choix sans s’abonner ou de le commander chez le libraire.

Le premier livre, Les Enfants de la guerre, doit paraître début décembre. Il s’agit d’un livre de photographies prises en Trégor par une femme qui tenait par-dessus tout à sa liberté et dont l’immense fonds d’images sur plaques de verre a été sauvé par une autre femme, Pascale Laronze, contre vents et marées. C’est en soixante images une protestation contre la guerre. J’aurais pu l’intituler le récit du silence…

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Carte blanche

Demain, nous serons au festival vo-vf pour parler des éditions Mesures où nous avons publié cette année des livres auxquels nous tenions particulièrement… même si la guerre en Ukraine ne nous a pas permis de les défendre comme nous l’aurions voulu. C’est l’occasion pour nous de leur permettre de rencontrer leurs lecteurs.

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Marie de France au lycée… et ailleurs

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La collection Les Ateliers d’Actes Sud dirigée par Tiphaine Pelé présente à la rentrée une édition des Lais de Marie de France accompagnée d’un appareil pédagogique dû à Clara de Raigniac et d’un grand nombre d’illustrations (dont une bande dessinée due à Aurore Callias). Pour un prix modique (4,20 €), les lycéens pourront découvrir la littérature médiévale en partant d’une œuvre majeure qui pourtant parle immédiatement à ceux qui la lisent (de préférence à haute voix et si possible à deux voix). Ce n’est pas seulement un outil pédagogique mais une invitation à explorer la la littérature française à partir de ses origines et à comprendre combien malgré les apparences la poésie du XIIe siècle nous est proche. 

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Au même moment, j’apprends que, le 18 septembre, les Fables de Marie seront dites, accompagnées d’une exposition, chez Mona, Cité audacieuse, dans le sixième arrondissement. 

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De plus, j’apprends aujourd’hui qu’une édition revue et corrigée des Lais va paraître en collection Babel… et un charmant lecteur m’invite à traduire Le Purgatoire de saint Patrice. Je ne demande pas mieux ! 

La collection Les Ateliers d’Actes Sud va compléter les lais par les fables qui, pour la première fois, pourront ainsi être étudiées au collège.

Et enfin, je vous invite à aller écouter les fables de Marie à l’Hôtel de Massa…

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Prix de traduction et plagiat

Remise du prix à la SACD

Constatant que nos traductions sont exploitées plus ou moins travesties par des metteurs en scène ou des auteurs qui les font passer sous leur propre nom et touchent ainsi les droits, nous avons tenté de poser le problème et de chercher des solutions. 

En 2011, nous avons rédigé une communication intitulée « Traduction théâtrale et plagiat » pour le colloque Mise en scène et droit d’auteur, sous la direction de Sophie Proust. S’en est suivi un débat lui-même suivi d’échanges avec les plus hautes instances de la SACD. Sans succès.

En 2015, un metteur en scène ayant fait passer une de nos traductions de Tchekhov sous son nom, plutôt que d’assigner et d’interdire le spectacle, nous avons préféré signer un protocole d’accord et nous avons à nouveau tenté d’alerter sur le problème du plagiat. L’article « Tchekhov-remix », publié par André Markowicz dans la revue de l’Association des Traducteur littéraires de France (ATLF) et largement diffusé, n’a provoqué aucun changement, aucune prise de conscience des tutelles, des critiques, des acteurs, des spectateurs ainsi abusés. 

Voilà peu, nous avons appris que la SACD nous décernait son prix de traduction. Or, le sujet du plagiat au théâtre est plus que jamais d’actualité car il se pratique au grand jour, en toute impunité.. Il nous a donc semblé que le moment était venu de poser publiquement le problème. La cérémonie ne s’y prêtait pas mais nous avons rédigé une lettre ouverte que nous avons décidé de remettre à la SACD, à la SGDL et à l’ATLF avant de la mettre en ligne. La voici. 

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LETTRE OUVERTE À LA SACD

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Mesdames, Messieurs, 

Nous vous remercions de nous avoir décerné le prix de la traduction et/ou adaptation de la SACD. Comme nous sommes associés pour ce prix, nous supposons qu’il récompense prioritairement notre travail de traduction du théâtre de Tchekhov. 

Nous voudrions à cette occasion vous faire part de nos observations : le fait de considérer que traduction et adaptation sont équivalents voire interchangeables est un contresens dont les conséquences sont lourdes. La traduction est tout sauf une adaptation ; elle est le contraire absolu de l’adaptation. Nous n’avons pas adapté les pièces de Tchekhov, nous les avons traduites en essayant d’être aussi précis que possible et en nous gardant de toute adaptation au goût français, au goût du public, aux convenances actuelles ou autres visées possibles visant à transformer le texte. 

Cette confusion entre traduction et adaptation a pour conséquence un laxisme amenant à autoriser le détournement du texte : le premier metteur en scène venu peut s’emparer d’une traduction, la mettre à sa sauce, faire jouer cette « adaptation » et percevoir les droits. C’est de cette confusion que dérive le problème que nous soumettons depuis des années, à savoir le problème de la contrefaçon. 

Au moment où nous recevons ce prix, nous sommes victimes de plagiats répétés. Faute de soutien de la SACD, nous nous sommes vus contraints de nous lancer dans une procédure. Or, et c’est ce sur quoi nous voulons attirer l’attention, la procédure pour contrefaçon au théâtre fait que, quoi qu’il advienne, le plagié sera deux fois victime : il lui faudra, en plus d’être blessé par les falsifications des plagiaires, perdre beaucoup de temps et d’argent pour établir la preuve du plagiat (payer un avocat pour qu’il soumette une requête au président du tribunal qui mandate un huissier, puis engager une procédure…). Et ce alors que les solutions pour résoudre ce problème seraient simples à mettre en œuvre. 

Nous souhaitons que la SACD, la SGDL et l’ATLF se concertent pour permettre enfin de lutter contre le plagiat. Ce serait la meilleure façon de promouvoir la traduction, de soutenir le travail des traducteurs et de nous permettre de prolonger notre travail de traduction de Tchekhov. 

Puisse ce prix être l’occasion d’alerter sur un problème qui va s’aggravant au fil des années et qui a lui-même de lourdes conséquences. 

                                                       André Markowicz et Françoise Morvan 

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Orée

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Je viens de recevoir le lien vers l’émission de France Culture « Mon œuvre à moi » qui a été diffusée le 25 juin et a été suivie par une chronique Facebook d’André Markowicz (à laquelle je n’ai pas accès, n’ayant pas de compte Facebook). 

À la suite de cette émission de cinq minutes et de cette chronique, j’ai pu lire un grand nombre de commentaires sensibles, perspicaces et pleins d’une empathie touchante au sujet de Brumaire : étrange impression de voir la poésie se glisser dans le gigantesque chaos de l’internet comme un léger fétu sur l’océan… Et de prendre conscience de cette passion intacte alors même que tout ce qui s’apparente à la poésie semble voué aux cercles littéraires. C’était, de fait, un peu comme une orée… 

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Pluie

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La pluie, est-il utile de le préciser, occupe une place essentielle dans la vie de la haute Cornouaille. Personnellement, je ne m’en plains pas, et je trouve même du charme aux considérations sur les intempéries qui alimentent les conversations, offrant ainsi une base gracieuse aux échanges locaux, fût-ce sur le mode de l’invective au ciel. 

C’est après avoir évoqué le sujet avec ma cousine (autre membre du club des amateurs de pluie) que l’idée m’est venue de rassembler les textes sur la pluie qui pouvaient accompagner les volumes de Sur champ de sable (comme L’Oiseau-loup les accompagne). C’était aussi une manière de prolonger Sur champ de sable en employant le quatrain qui en est la base. 

J’ai appuyé ce volume de quatre parties de quatre fois quatre quatrains sur quatre images (la pluie vue par la lucarne du grenier de ma maison natale) à la suite de considérations que j’expose ici. Pour la première fois, je peux penser dans la continuité le texte et l’image et travailler avec l’imprimeur.

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Encore une liberté que m’offrent les éditions Mesures… 

Le livre aurait dû paraître pendant les giboulées de mars mais la guerre en Ukraine en a décidé autrement. Le voilà néanmoins. 

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Après la Corse, la Bretagne…

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Gallia ethnica

Comme il fallait s’y attendre, les autonomistes bretons, stimulés par la proposition du gouvernement d’accorder l’autonomie à la Corse, se sont mobilisés pour revendiquer le même statut. Tout était prêt de longue date : les manifestations du FLB pour faire redouter des attentats, puis les discours lénifiants des bons autonomistes appelant le gouvernement à prendre des mesures pour éviter les violences… C’est ce qui s’annonçait dès la mi-mars suite à la mort de Colonna comme je le notais ici même. Mais tout a pris une dimension nouvelle, à la fois burlesque et lamentable, avec le basculement subit du conseil régional tout entier dans le camp des autonomistes. Seul le Rassemblement national a voté contre l’autonomie – difficile, en effet, de s’appeler Rassemblement national et de prôner l’éclatement de la France en ethnorégions inéluctablement vouées à prendre leur indépendance, comme on peut le voir en Catalogne ou en Écosse – et le président du groupe d’extrême droite de manifester son étonnement : « À croire que les élus RN sont les derniers républicains de cette assemblée ». Triste constat. 

Le plus invraisemblable de ce coup de force, est que, alors que les autonomistes ont obtenu des scores dérisoires aux élections régionales, c’est Aziliz Gouez, élue sur la  liste « Breiz-a-gleiz – autonomie écologie territoires » disposant en tout et pour tout de six sièges, qui a lancé l’opération. La redoutable Aziliz Gouez que l’on a vu apporter son soutien aux pires nationalistes du Parti breton comme aux affairistes de l’Institut de Locarn tout en œuvrant à la « réunification », vœu premier du lobby patronal breton (puisque préalable nécessaire à la création d’une nation bretonne libérée de la France jacobine). Socialiste mais soutenant la Fondation Fouéré, écologiste mais faisant advenir le projet de l’Institut de Locarn

Entre Alain Glon, président de l’Institut de Locarn, et Jakez Bernard, président de Produit en Bretagne, à la fondation de l’ENA bretonne destinée à former les futures élites au management de la Bretagne autonome

Nulle opposition dans les rangs des élus. À droite, le ridicule Marc Le Fur, le « député du cochon », que l’on voyait défiler affublé d’un bonnet rouge en tête des manifestants contre l’écotaxe, appelle le retour au duché de Bretagne, aux temps heureux où le parlement de Bretagne votait ses lois et ses spécificités fiscales. Il appelle à une dérèglementation générale mais limitée à ceux qui pensent pouvoir en tirer profit car, attention, ce qui est bon pour les Corses et les Bretons n’est pas bon pour les autres. « N’ayons pas peur. Toutes les régions n’ont pas vocation à avancer dans la même direction que la nôtre ». L’égoïsme des uns suppose l’abnégation des autres… Car ce qui est demandé d’abord, c’est l’autonomie fiscale, grande revendication de l’Institut de Locarn : la Bretagne est maintenant, comme la Corse, une région riche et qui ne veut plus « payer pour Paris ». Comment donc a-t-elle fait pour devenir si prospère sous le joug de l’État jacobin ? Question à ne pas poser : fini de payer pour les banlieues pleines d’immigrés, les régions sans identité. Fin de l’égalité républicaine.

Et les élus de se soumettre. Les élus de la République en marche se congratulent naturellement. La République en marche, pour aller vers où ? La réponse se précise : sa disparition. Le président socialiste applaudit des deux mains et le premier vice-président s’exclame sur un ton liturgique : « Oui à ce supplément d’âme d’une Bretagne à cinq ! ». Nantes pour supplément d’âme d’une Bretagne attendant qu’on lui livre enfin ce qui lui fait si cruellement défaut : discours de missionnaire que même la » France colonisatrice » n’aurait jamais osé tenir ? Le supplément d’âme promis par le lobby patronal qui est ici à la manœuvre ne serait-il pas surtout le supplément de pouvoir d’élus serviles ?

Ont-ils été élus sur un programme autonomiste ? Ou les Bretons sont-ils à nouveau les dindons d’une sinistre bécassinade ?

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NB : Dans le même registre, depuis le 1er avril, la langue des discours au conseil régional n’est plus le français mais indifféremment le français, le breton ou le gallo. Le président socialiste du conseil régional annonce que c’est une grande première en France et qu’il faut en être fier. En effet, près de dix conseillers régionaux sont plus ou moins capables de s’exprimer en breton ou en gallo et un poste de traducteur a été créé pour les traduire en français lorsque l’envie leur vient de s’exprimer dans leur idiome minorisé.

On pourra lire à ce sujet une lettre ouverte de Gérard Hamon au président du conseil régional – lettre qui, à ce jour, n’a reçu aucune réponse.

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