Dire que le 7 mai aux ateliers Berthier commençaient les répétitions de La Cerisaie dans la mise en scène de Tiago Rodrigues et qu’hier soir, avant la générale (devant, quand même mille personnes), avait lieu la dernière séance de notes…
Et voilà la dernière minute avant le début du spectacle…
Pour la suite, je vous renvoie à la chronique d’André sur Facebook (moi, comme on dit, je ne « suis pas sur Facebook »).
En octobre dernier, nous devions participer au festival Lettres sur cour à Vienne, André Markowicz et moi, pour parler du Maître et Marguerite et des éditions Mesures, et j’avais compris que la librairie Lucioles organisait en même temps des rencontres dans des classes sur la poésie pour enfants, autour de la collection Coquelicot. Puis tout avait été annulé par le confinement et reporté en juin si le festival pouvait avoir lieu.
Grâce à la ténacité des organisateurs, qui ont accompliun travail exceptionnel pour faire face à des circonstances exceptionnelles, le festival a bien pu avoir lieu. Et il est apparu que je n’avais rien compris au projet pour ce qui me concernait : il ne s’agissait pas de faire découvrir des poèmes mais des contes russes à quatre classes allant de la maternelle au CM2. Panique à bord ! D’autant que la lecture devait être accompagnée par un musicien que je ne connaissais pas. J’avais bien, non pas traduit mais adapté un conte russe illustré par Nathalie Parain, Baba Yaga…
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et aussi P’tit-gars-P’tit-doigt illustré par Étienne Beck…
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Par la suite, j’en avais écrit deux d’après Afanassiev pour accompagner les pastels d’Étienne Beck, lequel, passionné par les contes russes, avait choisi, d’abord l’étrange conte que j’ai baptisé Le Kraspek…
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… puis cet extraordinaire Alionouchka qui met en scène une jeune fille prête à triompher des pires brigands.
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J’avais donc de quoi faire, mais le problème était qu’il fallait lire alors que, selon moi, le conte se dit et ne se lit pas. Il fallait lire et surtout il fallait trouver des contes qui ne soient pas trop compliqués ou trop effrayants pour les petits. Or les contes russes sont très cruels. Après avoir revu tous ces contes, j’ai fini par décider de m’en tenir à Baba Yaga – mais je n étais pas au bout de mes peines car la version de Teffi illustrée par Nathalie Parain comportait des incohérences qui rendaient le conte difficile à comprendre et j’ai vite constaté qu’ il fallait le réécrire.
Par chance, j’ai soumis le conte au musicien, Jean-Louis Cuenne, qui m’a dit qu’il convenait parfaitement pour les quatre niveaux et qu’il se chargeait de l’accompagner, pas du tout avec des instruments russes, mais avec des instruments venus du monde entier. Et c’est ce qu’il a fait magnifiquement. Accompagner la poursuite de la Baba-Yaga par la boîte à tonnerre était une vraie trouvaille, et je peux dire que Jean-Louis mérite bien son nom de peintre sonore. Les enfants ont été passionnés par ces instruments mystérieux et ils ont écouté avec une attention impressionnante.
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Quatre belles rencontres dans ce lieu magique qu’est la Cour du roi Boson, pour la première fois mise à disposition du festival, et une expérience très intéressante pour moi car si, au début, j’ai lu puisque je pensais que c’était ce qui m’était demandé, au fil du temps, le conte a pris vie et je n’ai plus eu recours au texte écrit, ce qui a été une amélioration considérable : un conte s’intériorise et ne relève pas du domaine de la lecture. Et, d’autre part, le conte obéit à des règles qui ne se transgressent pas sans lui faire perdre sa cohérence : l’exemple de Teffi est parlant ; étrangère au domaine du conte, elle rédige un texte qui a du charme mais qui est du faux conte, comme, hélas, il y en a tant. Ce qui n’empêche pas l’album illustré par Nathalie Parain d’être magnifique, et il est heureux qu’il ait été réédité après avoir été si longtemps épuisé. Il faut rendre hommage au libraire, Alain Bélier, qui pour la librairie Lucioles avait rassemblé tous ces livres de contes et ceux de la collection Coquelicot : c’était la première fois que ces livres étaient présentés ensemble, et comme un ensemble, ce qui montrait leur cohérence.
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Et ce n’était pas tout : il restait à présenter Le Maître et Marguerite, objet premier de nos rencontres, et les éditions Mesures. Là, nouvelle découverte, une rencontre dirigée de main de maître (c’est le cas de le dire) par Michel Bazin, le fondateur de la librairie Lucioles, et non moins magistralement accompagnée par le quatuor Le chant des anches. Nous avions peur de ne pas savoir nous accorder avec les musiciens mais nous avions bien tort, car c’était un magnifique contrepoint. Et nous avons pu rencontrer nos lecteurs avant qu’Alexis et Matheo Ciesla, Anita Pardo et Jean-Luc Brunetti poursuivent la rencontre par un concert qui nous a donné l’impression de poursuivre un voyage mélancolique et joyeux bien digne de Boulgakov.
C’était long mais c’était joyeux, précis, respectueux du public qui était venu très nombreux en ce moment de réouverture des théâtres si longtemps interdits.
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C’était long parce que le programme est d’une incroyable richesse. Inutile de se lancer dans une longue démonstration : mieux vaut feuilleter le programme qui a été mis en ligne (un programme joyeux, lui aussi, illustré par Serge Bloch, avec les photos de Jacques Grison prises dans les ateliers du théâtre).
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Pour la première fois Avril et L’Oiseau-Loup sont donnés en miroir… suite du travail commencé avec les étudiants du Théâtre de l’Iris pendant le confinement, et suite de la représentation mémorable d’Avril au TGP en 2019.
Merveilleuses rencontres à la librairie Ombres blanches… J’observe d’ailleurs qu’il est difficile de trouver meilleure appellation qu’« ombres blanches » pour évoquer notre travail : aussi bien la traduction du Maître et Marguerite, la publication des quatre volumes de Sur champ de sable et celle des œuvres de Harms, d’Iliazd, d’Aïgui et de Luzel aux éditions Mesures relèvent de la démarche même qui a inspiré la création de la librairie comme espace de résistance et de liberté : Boulgakov, interdit de publication, a rédigé Le Maître et Marguerite pendant des années ; les manuscrits de Harms, lui aussi interdit de publication, ont été retrouvés par miracle après sa mort dans les décombres de son immeuble ; exilé, Iliazd a écrit à Paris sans espoir d’être lu et compris sinon après sa mort, et l’infortuné Luzel n’a cessé d’être trahi parce qu’il avait eu le courage d’affronter les nationalistes qui aujourd’hui triomphent. Les volumes parus aux éditions Mesures sont une manière de les faire exister comme la mémoire d’une source détournée, interdite, qui pourrait enfin circuler librement. Et il est particulièrement heureux qu’au moment même où se célèbre (sans moi) le bicentenaire de la naissance de Luzel, sa sœur et lui trouvent place, grâce aux rencontres organisées à Toulouse par Christian Thorel, au milieu d’auteurs qui furent aussi voués à l’ombre et au silence.
Avrila été créé aux Lieux mouvants à Lanrivain, puis repris au TGP de Saint-Denis et devait être repris en avril 2020 au Théâtre du Nord à Lille mais, confinement oblige, tout a été annulé. C’est donc avec bonheur que nous avons appris que le spectacle ferait la réouverture du théâtre, le 26 mai prochain. Nous serons, comme de coutume hors de Bretagne, quatre en scène, Annie Ebrel, Hélène Labarrière, André Markowicz et moi.
Le texte de Buéeà partir duquel j’ai écrit le spectacle vient d’être réédité et est donc à nouveau disponible aux éditions Mesures.
En 2008, à l’occasion de la mise en scène de La Cerisaie par Alain Françon à la Comédie française, nous avons participé, André Markowicz et moi, à une rencontre à l’ENS de Lyon sur le thème « Traduire La Cerisaie ». Cette rencontre avait été enregistrée, transcrite et mise en ligne avec des extraits de lecture.
Il se trouve que La Cerisaie, dans la mise en scène de Tiago Rodrigues, avec Isabelle Huppert, va faire l’ouverture du Festival d’Avignon (si les dieux y consentent) et que nombreuses sont les questions que l’on nous pose sur la traduction. Or, nous avons découvert que l’entretien avait disparu du site de l’ENS.
Par chance, une amie en avait pris copie et j’ai pu en mettre en ligne ici une version abrégée.
Cette recherche n’a pas été inutile car j’ai pu corriger certains détails, j’ai retrouvé des photos que j’avais prises à Melikhovo, le domaine de Tchekhov, et j’ai été surprise de voir à quel point elles éclairaient les arrières-fonds de La Cerisaie.
Eh oui, avec ce septième et dernier album, l’aventure des Mistoufles, commencée dans l’allégresse, se termine dans la mélancolie – mais le fait que ce dernier album ait pu être enregistré relève de l’exploit : confinement, reconfinement, classes divisées, masques, nouvelles directives, soucis et resoucis…
Le travail à l’école primaire d’Adainville avait formidablement bien commencé. J’en avais un peu parlé ici à l’époque en expliquant pourquoi j’avais choisi de conclure les Mistoufles par un album de Fabulettes, des petits poèmes avec moralités, formant pour finir comme la moralité de cette expérience. Et puis, tout s’est arrêté.
À l’automne, grâce à l’enthousiasme et à la ténacité de tous, les liens ont été renoués.
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Les enfants ont appris et enregistré les fabulettes mises en musique et le disque sera donné le 11 juin aux enfants et aux parents.
Cette année encore, les images de Dan Ramaën ont donné présence aux visages et aux instants partagés.
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Un bel acte de résistance et d’optimisme contre l’adversité.
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire entendre la « Chanson de l’escargot du bas du bois » qui s’accorde bien à l’époque et à cette mélancolie que les enfants ont su rendre joyeuse.
À la fin de la dernière représentation de Désir sous les ormes au Théâtre des amandiers, Jean-Marc Stehlé, qui n’était pas seulement un prodigieux acteur mais aussi un scénographe et décorateur (il jouait le rôle du père dans cette pièce et avait dessiné les costumes) me disait qu’il n’y avait pas lieu d’être mélancolique de voir un spectacle s’achever.
— Pour moi, le plus beau moment d’un spectacle, c’est quand je casse le décor, c’est fini, c’était bien, basta, la vie continue.
J’ai été tellement stupéfaite que j’ai pensé qu’il blaguait. Mais non.
Pour moi, le moment le plus émouvant d’un spectacle, c’est quand tout le monde arrive, se rassemble et que le spectacle qui n’a pas commencé est déjà là comme une énigme que chacun va tenter de résoudre.
Ici, c’est le premier instant de La Cerisaie aux ateliers Berthier. Un instant particulièrement émouvant pour tout le monde puisque la réouverture des théâtres coïncide avec ces répétitions et que le Festival d’Avignon ouvrira avec cette Cerisaie, miracle fragile auquel tout le monde veut croire.
Trois millions de Bretons, treize millions de cochons… treize millions de cochons abattus par an (d’après Uniporc Ouest), combien de Bretons accablés de voir les eaux polluées, les terres souillées, les paysages ravagés, les villages empuantis par des odeurs de lisier…
Mais protester, c’est nuire à la Bretagne : le touriste a besoin de jouir d’une image positive de cette région vouée à ses vacances. Plus grave, protester en replaçant le phénomène dans son histoire et son contexte, c’est nuire à l’avenir de la Bretagne (pour reprendre le titre du journal de l’autonomiste Fouéré) et donc commettre un crime de lèse-nation. Soupirer, lever les bras au ciel, gémir sur le coût de l’eau en bouteille et sur la mort des alevins est légitime et même bien vu, mais essayer de comprendre les causes du désastre, holà !
En 2002, lorsque j’avais publié Le Monde comme si, l’avocat nationaliste du journal non moins nationaliste Bretagne hebdo, qui avait orchestré une violente campagne de presse contre moi, m’avait prise à partie au motif que mon chapitre « Le porc ou la mort » où je mettais en cause le CELIB, Martray, Gourvennec et le règne du cochon n’avait rien à faire avec le mouvement breton, le bon mouvement breton si naturellement pur : nulle collusion avec les nazis sous l’Occupation, nulle collusion avec le lobby capitaliste mis en place par l’Institut de Locarn, héritier du CELIB. Blanc comme neige, le mouvement breton odieusement noirci par moi s’était révolté par la voix de Bretagne Hebdo et je n’étais pas fondée à demander réparation puisque c’est moi qui étais coupable, ayant transgressé un double interdit.
Il n’empêche que ce journal a été condamné et a disparu.
Moi aussi : je suis devenue un auteur breton sans existence.
Mais le fait d’être interdite de parole sur le sol breton ne m’empêche pas d’exister ailleurs, et de donner mon avis sur divers sujets lorsqu’on m’interroge. Ainsi lors de la pseudo-révolte des Bonnets rouges, précisément orchestrée par le lobby patronal breton, qui avait donné lieu à une formidable série d’émissions de Charlotte Perry sur France-Inter.
Ainsi, sur France-Inter encore, hier, à l’occasion du dernier désastre écologique en date, la pollution de la Penzé, une petite rivière près de Morlaix… Une fuite de lisier, une de plus, et la rivière est polluée jusqu’à l’estuaire. Rien que de banal en Bretagne. Ce qui l’est moins, c’est que l’habituelle protestation contre ce que la presse régionale appelle un « incident » trouve un relais dans les médias nationaux.
Je regarde qui est l’éleveur. SA Kerjean, Taulé. Pas besoin de chercher bien loin : la SA Kerjean a été fondée par Marc Gourvennec.
En 2003, mis en accusation par l’association Eaux et rivières, le fils d’Alexis Gourvennec s’indignait vertueusement – et ses protestations étaient aussitôt relayées par Le Télégramme : « “Les allégations d’Eau & Rivières ne sont qu’un tissu de mensonges mais leur attitude ne m’étonne pas. Ils veulent nous faire passer pour des grands bandits et cela fait dix ans que cela dure”. Attendant sereinement le vote du conseil municipal de Taulé, le 24 janvier, Marc Gourvennec se défend aussi de vouloir gonfler les effectifs de son exploitation. ”Nous ne les avons jamais augmentés depuis 1988 et je peux garantir qu’avec ce projet de traitement, il n’y aura pas un cochon de plus chez nous” ».
En 2003, l’élevage comptait 11 288 cochons ; actuellement, il en compte 21 000.
Il y aurait encore long à dire sur la pisciculture, sur Brittany Ferries et autres sujets apparemment étrangers au débat mais n’épiloguons pas.
En 2007, Marc Gourvennec meurt. Voici sa nécrologie d’après Ouest-France :
« Fils de l’ancien P-DG de la Brittany Ferries, disparu le 19 février dernier, Marc Gourvennec dirigeait la Sofalim, entreprise d’aliments pour animaux de ferme, dont dépendent deux autres sociétés : la SA Kerjean (élevage porcin) et Financières la Garenne (organisme de placement en valeurs immobilières). Ces trois sociétés familiales sont basées à Taulé. A la fin des années 90, Marc Gourvennec avait pris la direction de la société piscicole Aquadis, qui regroupait plusieurs piscicultures dans la région morlaisienne, mais aussi à Pont-Calleck, dans le Morbihan. Il y a quelques années, il avait intégré le conseil d’administration de la Cuma (coopérative d’utilisation de matériel agricole) de Locmaria-Plouzané. Les obsèques de Marc Gourvennec seront célébrées aujourd’hui, à 14 h 30, à l’église de Taulé, cette commune d’où il était originaire et à laquelle il était viscéralement attaché. »
Qui oserait s’en prendre à ces bienfaiteurs de leur commune, du Léon et de la Bretagne tout entière ? Et qui oserait rappeler que c’est en 1961, avec la prise de sous-préfecture de Morlaix par Alexis Gourvennec qu’a commencé la grande dérive productiviste, induite et soutenue par le mouvement nationaliste breton, terroristes du FLB œuvrant pour l’appuyer, comme le notait Jean Bothorel, qui savait de quoi il parlait ? Du CELIB à Produit en Bretagne le réseau s’est étendu, renforcé, et règne à présent sur les médias, l’économie, la politique, la culture. Face à ce pouvoir exercé sous les dehors de la vertu mise au service de l’identité, voire de l’écologie, qui oserait protester ?
Eh bien, si, le miracle est là : malgré cette chape de plomb, quelques voix s’élèvent encore.
On peut lire un résumé de l’affaire par deux journalistes de Franceinfo…
Et écouter l’émission d’Antoine Chao sur France-Inter.