Aujourd’hui à 19 h nous sommes invités à rencontrer nos lecteurs par la toute jeune librairie À la ligne de Lorient…
Et demain, à 19 h aussi, nous sommes invités chez Albertine, une librairie, elle aussi, toute jeune et toute jolie qui se trouve à Concarneau.
Nous parlerons surtout des derniers livres des éditions Mesures, Les Sonnets de Shakespeare, parus la semaine dernière, et aussi Les Enfants de la guerrequi, parus en décembre, ont connu un succès si extraordinaire (sans service de presse et sans un seul article, même en Bretagne) que le livre est à peu près épuisé (nous venons de lancer un deuxième tirage). Cela grâce aux libraires et aux abonnés des éditions Mesures… Merci à ces courageux libraires qui, eux aussi, ont fait le choix de nous demander de présenter ces livres si différents et si atypiques.
À la fin du colloque sur Alain Françon, comme je reste échanger avec des personnes au sujet de sujets divers, voilà qu’arrive une charmante dame qui me sourit et me parle de Sur champ de sable – « un livre sans je », dit-elle, « juste par moments un léger on… » Oui, puisque c’est l’histoire d’une vie qui pourrait être celle de n’importe qui. Et cette inconnue ajoute quelques phrases qui témoignent d’une si fine compréhension qu’il est clair qu’elle a lu les quatre volumes et donc qu’elle les a achetés, mais où ? par quel miracle ? Et comment se fait-il qu’elle s’en souvienne si bien – à brûle-pourpoint, faudrait-il dire, car nul dans l’assemblée rassemblée à la Scala n’a, selon moi, la moindre idée de ce que je peux faire hors du théâtre et encore moins de cette aventure de la création d’une maison d’édition pour publier ces livres impubliables… Cette inconnue se révèle être Marie NDiaye, et voilà qu’elle donne à Libération aujourd’hui un article remarquable d’empathie, de curiosité amicale et de compréhension… Nous qui avons décidé de ne pas faire de service de presse, nous nous trouvons récompensés l’un et l’autre par la découverte de la critique comme partage (mot cher entre tous à André) et comme exercice de reconnaissance.
Avec mes exemplaires d’auteur du dernier album illustré par Maurice Sendak, Hector Protector, j’ai reçu une affiche rassemblant les livres de Sendak que j’ai traduits depuis 2016 – treize à ce jour, mais il en manque un (pas de chance, mon préféré, qui devait paraître l’an dernier mais a été arrêté par les agents de Sendak, je ne sais pas pourquoi). J’ai aussi traduit Presto et Zesto pour l’École des loisirs.
Après avoir été surprise de constater que les textes de présentation de ces albums ne comportaient aucune mention de traduction, j’ai découvert qu’un paragraphe indiquait que j’avais été choisie pour « mon exigence et mon attention à l’oralité ».
L’oralité, oui, pour ces deux comptines faites pour être dites et apprises par cœur en anglais comme en français. En tout cas, j’aime beaucoup ce petit Hector Protector qui sait dire non : savoir dire non, se révolter et résister, tel est le message que Maurice Sendak a fait passer par les deux comptines qu’il a rassemblées.
Après les Laisde Marie de France parus l’an passé dans la collection « Les Ateliers d’Actes Sud » destinée aux collégiens et aux lycéens, voici ses Fables, menus trésors si peu connus. Les deux volumes sont vraiment complémentaires même s’ils peuvent être lus séparément. Ils offrent aux professeurs une ouverture précieuse sur la poésie médiévale et ne s’adressent d’ailleurs pas qu’aux élèves des collèges : bien des étudiants peuvent y trouver une initiation à un domaine encore à découvrir.
Baptiste Laïd, qui a rédigé l’appareil critique, a trouvé un grand nombre d’exercices et de rapprochements de nature à éveiller l’intérêt des élèves. C’est un travail de recherche simple, précis et drôle à la fois qui prolonge sa très savante thèse sur les Fables de Marie de France…
Il faut aussi saluer les illustrations d’Irène Bonacina dont la mise en situation de la fable « Le loup et le renard » est une fable graphique merveilleusement accordée à l’humour de Marie.
Le cahier d’illustrations sur papier glacé offre une magnifique ouverture sur l’univers des fables et donne un aspect précieux à ce livre proposé au prix de 3, 90 €… Les enseignants disposent là d’un outil qui ne peut que les inciter à donner envie aux élèves de partir à la découverte de ces fables.
En fin de compte, voilà réalisé par un autre biais mon désir initial de faire entrer les poèmes de Marie de France dans les écoles : c’est ce désir qui nous avait amenées, Sabine Wespieser et moi, à publier les lais dans la collection Librio – un livre qui s’était vendu à des milliers d’exemplaires puis qui avait été pilonné. Cet échec dû à des lois du marché dont nous ignorions encore la violence avait été compensé par la parution des Lais, puis des Fables, en collection Babel. Et le voici donc compensé par le retour non seulement des Lais mais des Fables entre les mains des élèves. Puissent-ils avoir plaisir à les lire et surtout à les dire et les apprendre par cœur.
Demain, de 8 h à 18 h à la Scala, 13 boulevard de Strasbourg dans le Xe arrondissement, nous évoquerons un long compagnonnage puisque nous travaillons depuis 1996 avec Alain Françon.
PROGRAMME
Il y a cinquante ans, à Annecy, Alain Françon créait sa première mise en scène. Celui qui allait traverser tous les répertoires, révéler Edward Bond au public français, entrelacer son œuvre à celle de Vinaver, embrasser dans sa recherche aussi bien Brecht et Ibsen que Marivaux, Tchekhov ou Feydeau, est aujourd’hui le metteur en scène de Nicolas Doutey, qu’il monte avec la même passion, et en même temps, que Beckett.
Alain Françon a toujours « continué de commencer », selon la formule qui clôt sa lettre au Ministère de la Culture de février 2006, au moment de poursuivre son travail à la tête du Théâtre national de la Colline, qu’il a dirigé pendant douze ans (1999-2010). Il appartenait sans doute à un théâtre, sans prétendre rien clore ni embrasser, de donner au public une idée de la profondeur de cette œuvre, à la fois dans le temps et dans l’ostinato de sa quête. Et de convier main dans la main acteurs de la recherche et auteurs de l’art théâtral, celles et ceux qui collaborent depuis longtemps avec Alain Françon comme celles et ceux qui le découvrent, en une journée ouverte, organisée mais curieuse d’imprévu. De sorte que les voix multiples qu’on y entendra laissent au grand artiste le dernier mot, celui d’un perpétuel commencement.
Programme de la journée
9h30 – Ouverture par une lettre de Michel Vinaver à Alain Françon, lue par Anouk Grinberg et introduction de la journée par Frédéric Biessy puis Françoise Gomez
9h40-10h10 – Profondeur de champ d’un parcours. Dialogue entre Odile Quirot auteur de Alain Françon,La Voie des textes, Histoires et entretiens (Actes Sud, 2015) et Isabelle Barbéris, sur le défi d’embrasser une carrière de cinquante ans.
10h10-11h00 – « Être à la tâche » du texte, dialogue entre Alain Françon et Nicolas Doutey dramaturge d’Alain Françon depuis 2011, animé par Florence Naugrette, selon un dynamisme réciproque :
Nicolas Doutey interroge Alain Françon sur son approche des contemporains, entre découverte (Edward Bond) et redécouverte (Beckett)
Alain Françon, metteur en scène, interroge Nicolas Doutey comme auteur de Le Moment psychologique, créé au Studio Théâtre de Vitry le 27 janvier 2023, est présenté au Théâtre Ouvert en février 2023.
Avec la présence de Marie Iemma-Jejcic, auteur de Le Métier d’être homme, Samuel Beckett, l’invention de soi-même (EME Éditions 2021, coll. Lire en psychanalyse).
L’expression « être à la tâche » est reprise aux propos d’Alain Françon dans son entretien avec Guillaume Lévêque dans la revue en ligne « Alain Françon » accessible sur le site du Théâtre de la Colline.
Pause
11h30-12h40 – Compagnes et compagnons de route, table ronde animée par Gildas Milin
Les comédiensDiffusion d’un enregistrement des interprètes d’En attendant Godot réalisé lors de la venue à La Scala du séminaire « Le personnage par l’acteur » de Florence Naugrette (Sorbonne). Echanges avec Dominique Valadié, Anne Benoît, Suzanne De Baecque et Luc-Antoine Diquéro
La création sonore et scénographique avec Jacques Gabel et Marie-Jeanne Séréro
Pause déjeuner
14h – Réouverture par une seconde lettre de Michel Vinaver à Alain Françon, lue par Anouk Grinberg.
14h15 – Les compagnons disparus : portrait de groupe. Jean Bouise, Jean-Yves Dubois, Raymond Jourdan, Serge Merlin, Benoit Régent, Robert Rimbaud, Michel Robin, Jean-Paul Roussillon, Isabelle Sadoyan, Michel Vinaver, Michel Vittoz, Wladimir Yordanoff
14h30-15h30 – Champs littéraires, table ronde
Michel Vinaver et les mises en scène d’Alain Françon, avec Catherine Naugrette (sans exclure Beckett et autres contemporains)
Georges Feydeau et les mises en scène d’Alain Françon, avec Violaine Heyraud
Anton Tchekhov et les mises en scène d’Alain Françon, avec André Markovicz et Françoise Morvan
14h30-15h30 – Le moment « Sans cible » (revue du Théâtre de la Colline sous la direction d’Alain Françon), table rondeavec Frédéric Fisbach, metteur en scène, Gildas Milin, metteur en scène, Marie-José Mondzain, philosophe, Myriam Revault d’Allonnes, philosophe.
Pause
16h45-17h45 – Alain Françon au prisme de la mémoire vivante, animée par Isabelle Barbéris. Trois jeunes chercheurs se font tour à tour narrateurs et témoins, en dix minutes maximum, du spectacle d’Alain Françon qui a marqué leur mémoire et enrichi leur approche du théâtre.
N.B : tous les témoignages particulièrement parlants recueillis à l’occasion de l’appel à contribution lancé pour ce chœur final, pourront se voir publiés : en ligne sur le site de La Scala Paris et dans les actes du colloque.
19h30 – Premier amour de Samuel Beckett, réalisation Alain Françon et Dominique Valadié.
De la disparition brutale de Jean-Paul Capitani je ne parlerai pas ici hormis pour renvoyer à la chronique qu’André lui a consacrée sur Facebook et à rappeler que sans lui Le Monde comme si ne serait jamais paru, qu’il en a lu et relu le manuscrit, que nous avons débattu avec l’avocate des éditions Actes Sud des risques que nous pouvions prendre et qu’aux menaces de procès des militants nationalistes, dont Alan Stivell, il s’est contenté de répondre par l’un de ces sourires accompagné d’un haussement d’épaules qui en disait plus long que de longs commentaires : sagesse romaine, pur héritage d’une culture qui ne s’exhibait pas en revendications victimaires mais se donnait pour ce qu’elle était, avec sa volonté de bien faire en évitant les conflits.
Je revois Jean-Paul et Antoine triant des tellines à Maguelone : images d’un bonheur perdu. Et aussi d’un espoir perdu : une mort injuste, quand il restait tant à faire…
Depuis 24 ans, la librairie Olympique est le cœur de la poésie à Bordeaux et c’est autour de ce cœur que, chaque année, à l’initiative de Jean-Paul, l’infatigable libraire, se rassemblent poètes, éditeurs et passionnés de poésie.
Cette année, j’étais invitée à présenter mon travail pour les éditions Mesures – et principalement L’Oiseau-loupqui, victime de la guerre en Ukraine, était passé inaperçu, faute de temps pour le présenter et lui donner quelque visibilité. Il prolonge les quatre volumes de Sur champ de sable par un récit où se rassemblent les personnages évoqués par fragments dans Assomption et Buée. Il s’agit donc d’un livre essentiel pour comprendre l’ensemble (même s’il est vrai qu’il est aussi possible de ne pas en tenir compte et de lire chaque livre de manière indépendante).
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Nous étions assez inquiets puisque les grèves rendaient aléatoire la possibilité de se rendre à Bordeaux et que nous avions fait venir (pensions-nous) beaucoup trop de livres mais l’atmosphère amicale, les rencontres chaleureuses et les découvertes nous ont bien vite fait oublier nos inquiétudes… Et, au total, aussi incroyable que cela puisse paraître, nous n’avions pas assez de livres.
Il nous faut dire un immense merci à Jean-Paul, Marie, Christine, Patrice et tous ceux qui nous ont ainsi permis de faire vivre nos livres comme ils doivent vivre, c’est-à-dire comme des partages de vivant à vivant… Le plus touchant pour moi a été de rencontrer des lecteurs qui avaient attendu un an pour se faire dédicacer un livre, gardé avec soin et lu comme il devait l’être, c’est-à-dire lentement, au fil des mois.
Le culte du drapeau promis à connaître son apothéose cette année s’inscrit en Bretagne depuis les origines dans le contexte général du culte de l’ethnie (ou, pour Morvan Marchal, l’inventeur de ce drapeau, de la race) bretonne, bien distincte (puisque celte) de la France métisse. Le culte du drapeau plonge dans le culte de l’ethnie qui plonge dans le culte des origines – des origines bien obscures puisque, d’après d’éminents archéologues anglais, les Celtes n’existent pas. À quoi les Celtes servent-il donc ? À planter le décor d’une Europe des ethnies minorisées appelées à se libérer.
L’exposition Celtique ? orchestrait récemment tous les lieux communs de la celtitude en passant sous silence l’usage politique qui en était fait. Cet usage commercial à visée politique est parfaitement illustré par les projets du conseil régional tel qu’ils ont été exposés lors de la cérémonie des vœux à la Maison de la Bretagne à Paris. Le président du conseil régional a, en effet, annoncé « trois moments forts pour 2023 : le Forum celte à Lorient qui sera une rencontre des politiques des nations celtes » (dont la Bretagne) ; « le congrès des régions à Saint-Malo » et « la réunion des cinquante ans des régions périphériques et maritimes d’Europe (plus de 200 régions) ». C’est ce que rapporte le journal Bretagne-Ile-de-France.
Pour ceux qui ne le sauraient pas, la Conférence des régions maritimes a été fondée en 1973 par l’autonomiste Joseph Martray (avec la complicité de René Pléven, à la tête du CELIB, le redoutable lobby ethnoaffairiste que Martray avait commencé par mettre en place). Le but de la Conférence des régions maritimes étaitde court-circuiter l’État central et de mettre la Bretagne en relation (sur fonds de ce même État) avec les autres « nations celtes », Irlande, Écosse, pays de Galles… De fait, comme l’annonçait triomphalement Ouest-Francevoilà dix ans, célébrant par la voix de Le Drian cette arme efficace de l’ethnorégionalisme, « en quarante ans, la Conférence a largement étendu son champ d’intervention, devenant l’interlocutrice incontournable des institutions européennes, Commission ou Parlement. » Le journaliste, tout acquis à la cause, titrait son article « Les régions maritimes ont pris le large ». Tel était bien le but. Il n’a pas changé.
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Le Forum celte de Lorient qui devait rassembler ce jour les « politiciens des nations celtes » mais a été reporté pour cause de problèmes de transport (la grève a du bon) s’inscrit donc dans ce contexte global. Un indépendantiste breton maudissait tout récemment le politologue Benjamin Morel, auteur de La France en miettes, coupable, selon lui, d’avoir inventé un « ethnorégionalisme » qui n’aurait aucun sens. L’ethnorégionalisme, c’est ça.
Le panceltisme, le pangermanisme et le panslavisme sont les faces du même. On voit en Ukraine à quoi mène le culte des racines. Les discours lénifiants du président du conseil régional ne font que rendre plus odieuse cette fabrique identitaire que dénonçait déjà Le Monde comme si.
Il ne suffisait pas de la promotion du drapeau dit breton dans les supermarchés, les stades (où le « gwenn-ha-du » est distribué par milliers au frais du contribuable), les places et autres lieux où le populisme trouve à s’exercer sur le chaland sans méfiance, voilà que se présente une nouvelle occasion de diffuser une propagande nationaliste massive : la célébration de l’anniversaire de la bannière supposément inventée en 1923.
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Nous sommes bien loin de ces jours où, découvrant un « gwenn-ha-du » piqué dans un far, j’allais m’interroger sur la prolifération de ce symbole passablement sinistre : nous n’en étions alors qu’au début du phénomène et, le culte du drapeau me paraissant relever du plus pur ridicule, surtout connaissant les origines de le bannière, j’avais écrit un article ironique à ce sujet. Cet article, intitulé « Blanche hermine, noir drapeau » m’avait été demandé par les responsables d’une revue qui se prétendait alors « de débats ».
En ces temps lointains, j’étais loin de me douter que cet article allait faire de moi l’Ennemie de la nation, le grand Satan, la Femme démoniaque toute faite pour fédérer de l’extrême droite à l’extrême gauche le mouvement breton. Les réactions des lecteurs allaient m’éclairer, sans parler des déchaînements d’invectives (qui, depuis, n’ont jamais cessé, dressant le portrait de ce mouvement fondamentalement réactionnaire et machiste).
Infime numériquement, infirme idéologiquement, le dit mouvement breton n’exerçait alors qu’un pouvoir de nuisance limité, même s’il avait pu, grâce notamment à l’aveuglement sélectif de l’État français, prendre le contrôles des institutions culturelles, Institut culturel de Bretagne, Conseil culturel de Bretagne et tutti quanti.
Je n’en étais alors qu’au début de mes interrogations et, dans ma naïveté, m’indignais des hommages rendus aux grands hommes de la nation bretonne, auteurs, par exemple, de textes antisémites (textes qu’il fallait traduire mais – autre découverte – à quoi bon puisque la traduction était aussitôt censurée) et nazis jamais repentis (mais – il me restait encore à le découvrir – le rappeler relevait du « complotisme » car ces grands hommes, étant bretons, n’étaient pas nazis mais engagés dans un méritoire « combat breton » : ainsi, autre exemple, un parmi tant d’autres, le président du Conseil culturel de Bretagne défendait-il tout récemment encore un auteur comme Drezen). Le cas de Maurice, dit Morvan, Marchal, l’inventeur de la bannière nationale, rentrait dans le lot. Pas question de rappeler ses écrits : hérésie, pure hérésie ! Condamné à la Libération, oui, mais par la France jacobine, l’Ennemie, l’éternelle Ennemie, l’Ennemie de race que je me trouvais subitement, et si opportunément, incarner.
Il me restait à découvrir comment et pourquoi le kit nationaliste inventé par le groupe raciste Breiz Atao (fondé par Marchal) était massivement imposé aux Bretons et tenter d’alerter à ce propos : c’est le sujet du Monde comme siqui, paru voilà vingt ans, a été l’objet d’une censure constante en Bretagne – et, au moment où le culte du drapeau fait rage, est l’objet d’attaques renouvelées. Sans doute n’est-ce pas sans raison puisque l’enjeu pour les militants bretons, dès lors que le lobby patronal breton et les élus leur offrent tout pouvoir, est de taille : il s’agit bien d’enrôler un peuple sous bannière nationale et de le convaincre de gober la potion enivrante qui le mènera au combat pour sa libération. La potion lui est administrée jour après jour jusqu’à mithridatisation. C’est à quoi sert le culte du drapeau. Quoiqu’il soit plus ridicule que jamais, le culte du drapeau, tel qu’il est à présent officialisé, ne me semble plus du tout de nature à faire rire.
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Rappeler quelques faits face à cette opération de propagande n’est, malgré tout, pas inutile : on trouvera sur le site du Groupe Information Bretagne une petite fiche pédagogique qui peut être imprimée à peu de frais, une mise au point concernant le prétendu anniversaire du « gwenn-ha-du » et, sur le site « régionalismes.infos », un dossier de Pierrik Le Guennec appelant à réflexion. Cette réflexion pourrait être prolongée par les protestations de lecteurs qui, depuis de longues années, me font part de leurs efforts pour s’opposer à la propagande ethnorégionaliste.
Il faut louer le courage des quelques lanceurs d’alerte soucieux de résister à ce qui, plus que jamais, entraîne la Bretagne dans une dérive dont les conséquences ne sont que trop prévisibles.
Alors qu’en Bretagne la propagande autonomiste bat son plein, voilà que se fait jour une protestation contre la « réunification » et qu’au même moment, relayant les mêmes observations, le politologue Benjamin Morel évoque le rôle assigné à la Bretagne dans l’éclatement de la France en ethnorégions (La France en miettes, éditions du Cerf).
Dans un cas comme dans l’autre, les arguments sont clairs, étayés sur des faits qui, d’ailleurs, reprennent en les prolongeant ceux que j’ai développés de longue date.
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Pour ce qui concerne les arguments développés par l’Association pour la valorisation et le soutien des Pays de la Loire (AVSPL), il faut être aveugle pour ne pas voir que l’annexion de la Loire Atlantique telle qu’elle a été promue par le lobby patronal breton regroupé dans le Club des Trente et l’Institut de Locarn est un préalable à l’autonomie, en attendant l’indépendance, de la Bretagne. C’est ce que le président de l’Institut de Locarn, un nommé Joseph Le Bihan, exposait dès 1993, et le programme a été repris par Le Drian, la collusion entre les nationalistes et le patronat ultralibéral étant, depuis 2004, ouvertement assurée sous label néosocialiste.
Ayant cessé de se proclamer socialiste, tout en restant acquis au « particularisme breton » (comme l’a déclaré le président de la République en le faisant voilà peu officier de la légion d’honneur au milieu de la « fine fleur des industriels bretons ») Le Drian a laissé à sa place Chesnais-Girard, qui a tenu à garder le label socialiste pour mieux appliquer le programme de Locarn (dont l’un des piliers, le PDG de l’entreprise Hénaff et président de l’association Produit en Bretagne, créée par l’Institut de Locarn, a d’ailleurs été élu sur sa liste au conseil régional). Sous sa présidence, le conseil régional vient de demander l’autonomie de la Bretagne. Une improbable délégation vient d’ailleurs de se rendre au Sénat pour la négocier (sans que les Bretons aient jamais été consultés).
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La « réunification » étant le préalable nécessaire à l’autonomie, la propagande bat son plein (la presse régionale est membre de Produit en Bretagne). Il n’y a là rien de nouveau : c’est ce que j’exposais dans Le Monde comme sivoilà vingt ans. Pourquoi donc y revenir ? Dès lors que la collusion des élus, des puissances d’argent et des médias est acquise, à quoi bon protester ? Et protester pour se heurter à une censure plus lourde que jamais ? Vous n’êtes pas pour l’autonomie de la Bretagne ? Mais c’est que vous êtes antibreton, jacobin, vétuste, réactionnaire ! Vous exposez ce que le programme de Locarn prévoyait voilà trente ans ? Mais c’est que vous êtes conspirationniste ! Vous protestez contre la réhabilitation de nationalistes bretons, auteurs nuls, artistes ringards, nazis jamais repentis ? Mais c’est que vous êtes élitiste, parisien, étranger au monde heureux de la culture bretonne forte de ses racines celtiques.
Tout un petit personnel se presse pour chasser en meute : prébendes, colloques, articles, spectacles, expositions, communications, congratulations… Les nationalistes fulminants sont à présent relayés par ce qu’un livre plus chafouin que les autres désigne comme « authenticité » et « nationalisme soft », le CRBC servant de ralliement à cette mouvance mieux apte à servir la dérive ethniste appuyée par le conseil régional.
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Toute opposition est muselée, cela va de soi. Qu’une association se crée pour protester contre la « réunification » est donc inattendu, improbable, et de nature à susciter, comme Le Monde comme si, un tir de barrage organisé. Ceux qui ont eu le courage de protester ne pouvaient manquer de savoir à quoi s’attendre, le florilège des invectives que j’ai dressé ici en est témoin.
Cependant, il y a maintenant une différence : l’onction, je ne vois pas d’autre mot pour désigner ce ton jésuitique, tout à la fois plein de morgue et huilé d’amabilité, employé pour dispenser la bonne parole au paroissien qui pense mal. Ce ton paternaliste de qui sait être du bon côté du dogme et avoir le soutien de l’Église, ce n’est pas seulement celui du journaliste mais celui du président du conseil régional, et là est bien l’essentiel, au-delà même des arguments développés.
« À bas bruit » – quand le vacarme de la propagande identitaire mobilisée pour soutenir la « réunification » ne cesse de croître depuis des années (un vacarme auquel il participe, d’ailleurs : ne renvoie-t-il pas lui-même à l’un de ses articles célébrant le triomphe des « racines » de Nantes – des racines bretonnes, ça va de soi)… et une « bataille identitaire » – comme s’il fallait coûte que coûte rabattre toute protestation sur une revendication identitaire, quand bien même le but de la toute jeune association serait précisément d’y échapper…
Et de terminer en donnant la parole au président du conseil régional de Bretagne, ce pauvre Chesnais-Girard « contraint » de répondre à ce que ce journaliste désigne comme « un livre polémique» paru « de l’autre côté de la frontière » (la frontière qui sépare la Bretagne de la France, et à laquelle ce même Créhange vient de consacrer un autre essai), à savoir le livre de Benjamin Morel.
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Le président du conseil régional a cru devoir (n’est-ce pas étrange ?) se fendre d’un communiqué alors même que le livre n’était pas encore dans les librairies de Bretagne (du moins ne l’ai-je pas trouvé à Rennes) et ce communiqué, quoique publié sur twitter, se caractérise précisément par le ton plein d’onction du père confesseur attristé de voir qu’un professeur des universités a pu se laisser aller à tenir des propos si peu convenables et, au total, si « poussiéreux ».
Le propre de l’ethnorégionalisme (c’est ce que montre d’ailleurs Benjamin Morel) est de se présenter les revendications les plus éculées sous le jour coruscant de la modernité : le président se déclare fier d’avoir présenté une version dépoussiérée du « Bro Gozh Ma Zadoù », hymne très joli et pas du tout antisémite ; dans la bonté de son cœur, il se dit prêt à ouvrir sa porte à ce professeur momentanément, espérons-le, égaré : l’ayant entendu en confession, il ne manquera pas de le convertir aux vertus du régionalisme car le propre du régionalisme est aussi de vouloir le bien de l’humanité par la vertu des petites patries (autre topos exposé par Benjamin Morel).
Suit une charge contre la vétusté de la France (il faut la dépoussiérer, elle aussi) et une allusion, non pas au glorieux mouvement des Bonnets rouges organisé par le lobby patronal breton, mais à celui des Gilets jaunes. Le pieux cynisme ne connaissant pas de limites, les Gilets jaunes peuvent servir à faire passer le projet de dérèglementation sous habillage identitaire porté par la secte autonomiste (qui se pare du nom de régionaliste pour ne pas effrayer le Breton).
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Naguère encore tout cela m’indignait – or, l’indignation est, malgré tout, la manifestation d’un espoir d’être entendu. Mais ce qu’exposait Le Monde comme si se réalise, et de manière plus bête, plus lâche, plus bigote qu’il n’était possible de l’imaginer. Il m’arrive depuis peu d’avoir honte de me trouver associée à ce répugnant remugle qu’on appelle désormais breton – l’exposition Celtique ? n’a pas été pour rien dans ce sentiment de honte face à la bêtise officialisée…
En l’occurrence, de simples citoyens ont le courage de protester contre une manipulation ; un politologue essaie d’informer sur une dérive dont l’issue est prévisible : cela mériterait un débat. Mais c’est qu’il s’agit d’interdire tout débat – et le président du conseil régional, payant de sa personne, se précipite pour excommunier, avec toute l’onction possible, le pécheur, et proclamer les dogmes de la vraie foi qui n’est qu’amour.
En Bretagne, personne ne proteste.
Et puis, de toute façon, à quoi bon protester ? La messe est dite.
Mais, « de l’autre côté de la frontière », il se trouve des personnes qui ont encore le courage de lutter contre cette soumission et cet abaissement.